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La Jordanie, du désert au Brésil

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La Jordanie, du désert au Brésil

Et si la Jordanie était l’invité surprise en juin 2014 au Brésil ? Deuxième de son groupe de qualification dans la zone Asie, la sélection du roi Abdallah II est en passe de sortir de l’anonymat dans lequel elle végète depuis toujours. Plongé au cœur du royaume hachémite où le football est une affaire de prince et débrouille.

21h45, mardi 11 septembre, stade Abdullah II d’Amman. Des feux d’artifice illuminent la nuit alors que résonnent les trois coups de sifflet marquant la fin du match entre la Jordanie et l’Australie. Les supporters exultent, les joueurs jordaniens s’effondrent de joie, un fan manque de se vautrer du haut d’un grillage, et un gendarme oublie qu’il porte l’uniforme et serre ses poings vers le ciel : la Jordanie est championne du monde. Enfin, c’est tout comme.
En réalité, les Nashamas (« les braves hommes« , surnom de l’équipe jordanienne) viennent de battre l’Australie, 2-1, à l’occasion de son troisième match de qualification pour la Coupe du monde 2014. De l’extérieur, ca sonne comme un Strasbourg – Guingamp. Mais ici, aux portes du désert, pour ce pays oublié entre la Syrie, l’Irak, et Israël, David a vaincu Goliath.

Parce que la Jordanie et ses 80% de territoires désertiques, une dette publique de 21 milliards de dollars, et un déficit de 3 milliards prévu pour 2012, ce n’est pas vraiment le berceau du football. Perdu au 87e rang mondial du classement FIFA, le royaume du roi Abdallah II côtoie l’Ouganda et la Géorgie ou le Malawi dans la cour des tout petits du ballon rond. Seules fiertés : deux quarts de finale de Coupe d’Asie, en 2004 et 2007. Ici, on manque de terrains d’entrainement, on change de gouvernement très régulièrement, et le secteur privé ne voit pas le football comme un terrain d’avenir. De quoi pousser les Ammanais au pessimisme. Au Jafra, sorte de café de Flore oriental et pro-palestinien, on discute autour d’une shisha. Nour Al Kisbi, 22 ans, est la seule de ses amis à croire que la Jordanie peut se qualifier. « On a de nouveaux joueurs et de l’enthousiasme autour de l’équipe. Inch’Allah, on peut y arriver. »

Le doute avant la victoire

Alors aujourd’hui, rêver du Brésil, c’est presque inespéré : la Jordanie n’a jamais disputé une Coupe du Monde. Et ce soir, elle est en deuxième position de son groupe, derrière les sumos japonais, mais devant les Socceroos australiens. Sur les deux groupes de qualification asiatiques, les deux meilleurs de chaque poule seront automatiquement qualifiés, et les deux troisièmes s’affronteront. Autant dire que la route est encore longue. Mais ce soir, l’envie et l’abnégation ont triomphé.

Pourtant, quelques jours plus tôt, le pays entier en doute. Beaucoup pointent du doigt le quasi-amateurisme de leur équipe nationale, et le manque de moyens alloués au football. Les critiques fusent après la branlée administrée à la mi-juin par les Nippons (6-0). « Le gardien japonais a eu le temps de fumer une shiha » s’amusait-on alors, pour ne pas en pleurer. Des railleries, que la fédération de football jordanienne ne pouvait pas laisser passer. Et là-bas, la fédé, c’est un homme. Sa altesse Ali ibn al-Hussein. Un des onze rejetons de feu roi Hussein, et petit frère du roi Abdallah II. Un atout non-négligeable, quand on veut trouver un job sympa : en plus du football, il aime le cinéma. C’est donc bien normal de la retrouver à la tête de la Royal Film Commission, le CNC local.

Quelques jours plus tôt, il nous reçoit dans son loft-bureau, idéalement placé au cœur d’Amman. Une sorte de grand vestiaire quatre étoiles aux murs ornés de maillots dédicacés par quelques grands joueurs européens. Dans les coins de son bureau, des tas de ballons, tous paraphés, probablement par d’autres étoiles du foot. Le prince, entouré de Reema et Marrissa, ses deux assistantes en communication, a la parole rare. Petit, rondouillard et barbu, il n’a d’allure que lorsqu’on le sait prince. Monsieur tout le monde, en somme.

Ce qui ne l’a pas empêché de réagir avec force, au lendemain de la défaite face au Japon. Ali, aussi vice-président de la FIFA, s’était alors fendu d’une lettre regrettant les dysfonctionnements de la gestion du football jordanien et demandant le soutien « inconditionnel » de tous : médias, clubs, supporters mais aussi gouvernement et secteur privé. En effet, quelques jours avant le rendez-vous australien, il précisait : « On nous promet beaucoup, mais ces promesses ne sont pas suivies de faits, nous ne nous demandons pas grand-chose. Seulement une augmentation du nombre de terrains d’entrainement et une aide pour le transport des joueurs. » Une petite pique à l’égard du gouvernement qu’il nuance. « Nous n’avons n’a jamais été aussi proches de nous qualifier pour une Coupe du Monde, un objectif que beaucoup ont considéré comme étant absolument impossible » .

Raison de plus pour ponctuer les murs d’Amman de posters à l’honneur de l’équipe nationale. A trois jours du match, Ali jette ses dernières forces communicantes dans la bataille en recouvrant la capitale Amman de panneaux montrant une équipe soudée et portée par le slogan « Yallah ala Brazil » ( « Allons au Brésil ! » ). Ali le sait : une victoire contre l’Australie ou un billet pour le Brésil réconcilieront le peuple avec la famille royale et les aspirations de plus en plus pressantes pour des changements politiques se tairont pendant un moment. D’ailleurs, en Jordanie, les fanas de football, ceux des tribunes, sont plus royalistes que réformistes. Et, ils le font savoir.

Le roi, son frère et le football

Peu avant le coup d’envoi, le stade s’époumone aux cris de « Le peuple veut qu’Abdullah reste » – un slogan détourné du printemps arabe ( « Le peuple veut faire chuter le régime » ), celui qui a réuni des dizaines de milliers de personnes dans les rues d’Amman sans aboutir à grand-chose. Ali prend place dans la tribune d’honneur, le pas tranquille sous les clameurs de tout le stade. L’homme joue la simplicité, jean et chemise blanche pour son altesse. Et lorsque les supporters lui demandent en chœur de se lever, il s’exécute modestement agitant une main docile. A lui tout seul, il fait office de 12e homme. Lorsqu’ils marquent, les buteurs le pointent du doigt en signe de loyauté. Et c’est vers lui que se ruent les chefs de supporters pour le congratuler à la fin du match. Rassuré et euphorique, Abdullah est en représentation mais la joie est sincère : il a apprécié le spectacle.

Il faut dire que ce soir, il n’y avait rien à jeter dans le jeu jordanien. Les Nashamas ont offert à leur stade un grand match. Et devant son poste de télé, Jeris Tadrus, le « Zidane » de la Jordanie dans les années des 90, a dû apprécier cette réussite surprise. Jeris Tadrus, c’est 50 sélections en équipe nationale, et un statut d’idole. En 1997, il gagnait à lui tout seul les jeux panarabes face au Liban, 1-0, et devenait un héros national. Comme les autres, il dressait avant le match un constat assez violent de l’état du foot jordanien : « Nos clubs font la manche pour payer les joueurs » . Réformiste, il milite pour une économie globale du sport, qui soutiendrait les clubs, créant ainsi une meilleure formation pour les espoirs jordaniens.

C’est, en effet, un joyeux bordel : l’organe qui est en charge du football en Jordanie change de nature au rythme des remaniements gouvernementaux (4 gouvernements différents en 2011 et 2012). L’instance en charge du football, le conseil supérieur de la Jeunesse, devient ministère de la Jeunesse, avant de changer de nom une nouvelle fois établi au printemps 2012. Un labyrinthe administratif qui a freiné le développement du football au sein du royaume hachémite. Réponse simple du gouvernement, les coffres sont vides.

D’où l’heureuse surprise de tout un peuple de voir son équipe jouer comme le Barça (ou presque). Une domination qui s’est installée sur des Australiens donnés favoris. Le Messi local, c’est le n°18, Hasan Abdel Fattah. Passements de jambes, percussions, c’est le leader naturel des Nashamas. Et il le sait : le mec est acclamé a chaque fois qu’il touche la balle. C’est lui d’ailleurs qui ouvre le score à la 48e minute, sur penalty, après une belle simulation de l’autre attaquant de la Jordanie, Odai Al Saify.

Après son but, le public ne s’arrête plus, et encourage son équipe avec la fougue d’un Gignac 2012/2013. Rien ne semble arrêter l’équipe rouge et blanche, qui enfonce le clou d’un contre ultra rapide à la 82e minute de jeu. Dans les buts de l’Australie, le vétéran Mark Schwarzer (40 ans), penaud, va chercher les ballons au fond du maillage de ses buts. Presque anecdotique, le superbe but australien de Tompson plonge le stade pendant une demi-seconde dans un silence de mosquée. Puis la libération de la victoire. « Dans les bons moments comme dans les mauvais, il faut supporter son équipe » , avait dit le prince Ali. Ce soir, la confiance à regagné les esprits, la Jordanie est à la deuxième place de son groupe avec 4 points derrière le Japon. Le prince l’avait souligné en rigolant : « On y va pour la première place » . L’Asie est prévenue. Rendez-vous au Brésil.

Par François Hume-Ferkatadji, Thameen Kheetan et Pierre Millet-Bellando

Lyon, au carrefour de ses ambitions

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