S’abonner au mag
  • SO FOOT
  • Hors série Italie

Italie : les gardiens de la dynastie

Par Chérif Ghemmour
9 minutes
Italie : les gardiens de la dynastie

Le football italien a compris avant tout le monde qu’il n’y avait pas de grandes sélections sans grands gardiens de but. Derrière tous les succès internationaux de la Nazionale, il y a un grand portiere. Et Gianluigi Donnarumma l’a rappelé avec classe lors du dernier Euro au sein d’une équipe qui a pu se passer d’un grand numéro 9...

« La marque du champion est peut-être alors de savoir justement se sortir de ces mauvaises passes, de relever la tête en appréciant tous les petits efforts quotidiens, tous les progrès réalisés jour après jour. » Devant un public conquis, ainsi que le rapporte France Football en septembre 2003, Dino Zoff raconte le souvenir pénible du match cauchemardesque du Mundial 1978 où sa responsabilité fut engagée sur les deux buts néerlandais qui privèrent la Squadra Azzurra de la finale (2-1). Sur la grande scène du Festival de théâtre de Bénévent où il est accompagné d’un pianiste, le grand Dino captive l’auditoire. Il évoque, avec images vidéo et photos de sa carrière projetées en arrière-fond, la versatilité du destin qui l’a fait passer de honte nationale en 1978 à héros éternel au Mundial espagnol. Le 11 juillet 1982, le capitaine Dino Zoff, 40 ans, avait levé au ciel du Bernabéu la Coupe du monde remportée avec ses fratelli d’Italia face à la RFA (3-1)… Quel autre pays que l’Italie pouvait ainsi célébrer un grand footballeur dans un lieu culturel aussi prestigieux ? Il faut dire que Dino Zoff, Il Mito (Le Mythe), personnifie dans le sport-roi la grandeur de l’âme italienne faite de gloire et d’humilité au poste si symbolique, là-bas, de gardien de but.

Un poste régalien

De l’autre côté des Alpes, le portiere est celui qui « garde la porte ». La porte de la maison, de la famille et un peu aussi de la patrie. Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si Gigi Buffon est soudain pris d’une transe patriotique à chaque fois qu’il chante à pleine voix le Fratelli d’Italia ! Cette mission sacrée, il l’avait d’ailleurs clairement manifestée quand il avait battu en mars 2016 le record d’invincibilité en Serie A (973 minutes) à travers son étonnant poème dédié à son but : « Il y a plus de vingt-cinq ans, j’ai fait un serment : j’ai juré de te protéger. De m’occuper de toi. Un bouclier contre tous tes ennemis. J’ai toujours pensé à ton bien-être, le faisant passer en premier, même devant le mien. » On comprend pourquoi, avec son bloc haut révolutionnaire laissant de grands espaces dans le dos des défenseurs rossoneri, Arrigo Sacchi avait effrayé le football italien au milieu des années 1980 : comment son équipe osait-elle partir à l’aventure en abandonnant derrière elle la maison livrée aux contres adverses et protégée seulement par son portiere ?

Sans doute pour avoir été champion du monde à l’âge canonique de 40 ans, Dino Zoff a incarné le bon père de famille, l’homme sage et mature qui protège et rassure. Celui aussi qui a fait de la sobriété et de l’efficacité l’un des traits principaux du style italien, parfois altéré par les fantasques Albertosi, Zenga ou Peruzzi. « J’ai toujours pensé que le gardien idéal n’est pas celui qui réalise des miracles pour ensuite commettre quelques bourdes, professait Dino dans France Football. La régularité, la constance représentent des qualités plus importantes. » De l’autre côté des Alpes, personne n’a oublié que le triomphe de 1982, magnifié par les six buts de Paolo Rossi, s’est joué également à la toute fin du dantesque Brésil-Italie (3-2) où Super Dino s’était montré olympien. La Seleção poussait pour égaliser à 3-3, un nul la qualifiant, lorsqu’il bloqua sur la ligne le ballon catapulté d’une tête puissante par Oscar. « Les Brésiliens criaient tous au but : en le maintenant fixement au sol, j’ai dissipé les derniers doutes, narrait-il. C’est peut-être à ce moment que nous avons gagné la Coupe du monde. »

Dans un pays réputé pour la tradition d’excellence incontestée de ses gardiens de but – longtemps concurrencée par la grande école russe – la parade de Zoff face aux Brazilieros s’inscrit dans l’anthologie d’autres actions des « keepers » inoubliables de la Squadra Azzurra. Avant lui, Aldo Olivieri sauva d’une détente phénoménale la patrie face à la Norvège lors de la Coupe du monde 1938, remportée en France. Enrico Albertosi repoussa une tête inarrêtable d’Uwe Seeler lors du match du siècle à Mexico 1970, Italie-RFA (4-3 AP). À Amsterdam, à 10 Italiens contre 11 Oranje, Francesco Toldo avait annihilé tous les assauts adverses en demies de l’Euro 2000 en arrêtant un penalty puis deux tirs au but (0-0, 3 TAB à 1). À Berlin, c’est une claquette décisive de Gigi Buffon sur une tête de Zidane en finale de Coupe du monde 2006 qui avait ruiné les espoirs français et avait peut-être même participé à faire péter les plombs à Zinédine Zidane. L’été dernier, c’est le jeunot de 22 ans Gianluigi Donnarumma qui a repris aux écoles allemande (Neuer, Ter Stegen) et brésilienne (Ederson, Alisson) le magistère mondial qu’elles contestaient à Gigi Buffon. À Wembley, le Milanais devenu parisien fut en fait le véritable héros de la Nazionale, voire de la compétition, en faisant triompher les siens grâce à ses nombreux arrêts, et particulièrement ceux effectués lors des séances de tirs au but en demies, face à l’Espagne (1-1, 4 TAB à 2), puis en finale, contre l’Angleterre (1-1, 3 TAB à 2).

Numéro 1 sur et en dehors des terrains

Dans le football italien, et notamment au sein de la Nazionale, l’art de défendre a toujours associé les grands défenseurs et les grands gardiens. Après tout, le portiere est indissociable du catenaccio : impossible d’imaginer un verrou sans une porte… Les grands gardiens se sont ainsi très souvent vu confier le brassard de capitaine de la sélection. Une tradition remarquée dès le premier sacre mondial en 1934 avec le légendaire portier juventino Gianpiero Combi et perpétuée par Lorenzo Buffon en 1962 (grand-oncle de Gianluigi). Mais c’est à nouveau Dino Zoff qui sacralisa le double registre de portiere et capitano de la Nazionale (à 59 reprises), devenant en 1982 le seul Azzurro à avoir gagné l’Euro (en 1968, le capitaine étant alors Facchetti) et la Coupe du monde en 1982. Super Dino détient toujours le record mondial d’invincibilité en sélection en ayant préservé sa cage inviolée durant 1142 minutes entre 1972 et 1974, ce qui lui valu la Une de Newsweek et la seconde place du Ballon d’or 1973 derrière Cruyff. Avec ses 176 sélections dont 80 fois avec le brassard (record national), Gigi Buffon a perpétué, lui, deux traditions au sein de la Squadra. Celle de gardien-capitaine, donc, à laquelle goûtèrent aussi à une ou deux reprises Pagliuca, Peruzzi, Sirigu et même Donnarumma, et aussi son appartenance à la Juventus. Les Juventini Buffon, Combi et Zoff ont confirmé sur le temps long, et à un poste crucial, tout ce que la Nazionale doit à son club matrice historique en matière de succès internationaux…

On ne s’étonnera donc pas que, fort du prestige de ses gardiens, l’Italie demeure quasiment le seul grand pays de football (outre Leão avec la Seleção ou Raymond Goethals avec la Belgique) à avoir confié les clés de sa sélection à un ancien gardien. Le Hongrois Lajos Czeizler avait coaché les Italiens au Mondial 1954. Dino Zoff fut aussi nommé sélectionneur en juillet 1998. Sa réputation de probité et de compétence acquise à la Lazio en tant qu’entraîneur puis président avait fait l’unanimité lors de sa nomination après une nouvelle déconvenue en tournoi international. Son ex-poste de « gardien » agissant en outre comme gage de stabilité dans une Italie toujours un peu bordélique politiquement et footballistiquement. Son bail remarquable courant normalement jusqu’en 2002 s’était achevé par la finale de l’Euro 2000 perdue sur un but en or face à la France. Juste après le match perdu d’un cheveu, les viles attaques de Silvio Berlusconi ( « On ne peut pas laisser Zidane agir librement à sa guise. C’est indigne d’un entraîneur professionnel ! » ) avaient provoqué la démission immédiate du grand Dino ! Paradoxalement, cette stigmatisation de Sua Emittenza renforça à la fois la stature de rectitude morale absolue de Dino Zoff, très appréciée du peuple italien, tout comme elle rappela que ce même peuple est souvent enclin à transformer ses gardiens adulés en parfaits boucs émissaires. On n’a jamais vraiment pardonné à Galli le but de Maradona au Mundial 1986 et à Zenga le but de Caniggia sur sa sortie ratée en demies du Mondiale 1990 à la maison…

Grands, avant-gardistes et endurants

Grâce à ses deux grands gardiens, Barthez et Lama, la victoire des Bleus de Lemerre à Rotterdam à la suite du triomphe de France 1998 avait sérieusement entamé l’extraordinaire leadership des gardiens italiens lors de la décennie 1990. Walter Zenga (recordman d’invincibilité en Coupe du monde avec 517 minutes, en 1990), Sebastiano Rossi (grand Rossonero, mais jamais appelé en équipe d’Italie !), Gianluca Pagliuca, Luca Marchegiani, Angelo Peruzzi, Francesco Toldo… À leur apogée, tous furent considérés à juste titre parmi les tout meilleurs au monde. Et c’est l’un d’eux, Gianluigi Buffon, qui replacera la Botte au sommet de la discipline et magnifiera la grande école italienne des gardiens en devenant au terme de la Coupe du monde 2006 le numéro un planétaire, voire le plus grand de tous les temps ! À partir des années 1990, l’innovation criante du style italien s’était illustrée d’abord au plan physique, avec ces gars immenses qui dépassaient presque tous le mètre quatre-vingt-dix (sauf Peruzzi, 1,81m). Une tendance poursuivie ensuite en sélection avec Abbiati (1,91m), Sirigu (1,92m) ou Donnarumma (1,97m).

L’autre point fort des gardiens transalpins fut l’adaptation rapide au jeu au pied nécessitée par l’interdiction à partir de 1992 de se saisir du ballon sur une passe en retrait. Pagliuca se distingua dans ce domaine. Tout comme son suiveur Gigi Buffon : « Les changements de règles ne m’ont pas surpris, je les avais anticipés, trancha-t-il dans France Football. Le fait par exemple de jouer plus avec le gardien, de le faire participer ne m’a pas posé de problèmes parce que déjà en cadets ou en primavera, j’avais une approche du rôle assez novatrice. Je pouvais agir comme un libéro et multiplier les interventions au pied. » Le caractère légendaire des grands gardiens de la Squadra tient enfin à leur extraordinaire longévité au plus haut niveau, qu’elle soit passée (Zoff, Buffon et même Peruzzi, gardien remplaçant au Mondial 2006 à 36 ans) ou à venir, avec Donnarumma. « Avec un Buffon de plus en plus vieillissant, nous étions inquiets pour l’avenir, souffle le journaliste italien Simone Rovera. Et puis Gianluigi Donnarumma est arrivé. Du coup, chez nous, beaucoup considèrent qu’en sélection nous sommes tranquilles à ce poste pour 20 ans. » Gigio a donc l’avenir devant lui pour égaler Dino Zoff en gagnant l’Euro (c’est fait) et la Coupe du monde. C’est jouable…

Dans cet article :
Audience TV : les Bleus terminent 2024 sur une note positive
Dans cet article :

Par Chérif Ghemmour

À lire aussi
Logo de l'équipe France
Lucas, Digne de confiance
  • Ligue des nations
  • J6
  • Italie-France (1-3)
Lucas, Digne de confiance

Lucas, Digne de confiance

Lucas, Digne de confiance
Logo de l'équipe France
Les notes des Bleus
  • Ligue des nations
  • J6
  • Italie-France (1-3)
Les notes des Bleus

Les notes des Bleus

Les notes des Bleus
Articles en tendances
03
Revivez Salzbourg-PSG (0-3)
  • C1
  • J6
  • Salzbourg-PSG
Revivez Salzbourg-PSG (0-3)

Revivez Salzbourg-PSG (0-3)

Revivez Salzbourg-PSG (0-3)
02
Revivez Sainté-OM (0-2)
  • Ligue 1
  • J14
  • Saint-Étienne-Marseille
Revivez Sainté-OM (0-2)

Revivez Sainté-OM (0-2)

Revivez Sainté-OM (0-2)
10
Revivez Brest-PSV (1-0)
  • C1
  • J6
  • Brest-PSV
Revivez Brest-PSV (1-0)

Revivez Brest-PSV (1-0)

Revivez Brest-PSV (1-0)
00
Revivez Auxerre - PSG (0-0)
  • Ligue 1
  • J14
  • Auxerre-PSG
Revivez Auxerre - PSG (0-0)

Revivez Auxerre - PSG (0-0)

Revivez Auxerre - PSG (0-0)

Votre avis sur cet article

Les avis de nos lecteurs:

30
Revivez la défaite de Monaco à Arsenal  (3-0)
Revivez la défaite de Monaco à Arsenal (3-0)

Revivez la défaite de Monaco à Arsenal (3-0)

Revivez la défaite de Monaco à Arsenal (3-0)
32
Revivez Lille-Sturm Graz (3-2)
Revivez Lille-Sturm Graz (3-2)

Revivez Lille-Sturm Graz (3-2)

Revivez Lille-Sturm Graz (3-2)

Nos partenaires

  • Vietnam: le label d'H-BURNS, Phararon de Winter, 51 Black Super, Kakkmaddafakka...
  • #Trashtalk: les vrais coulisses de la NBA.
  • Maillots, équipement, lifestyle - Degaine.
  • Magazine trimestriel de Mode, Culture et Société pour les vrais parents sur les vrais enfants.
  • Pronostic Foot 100% Gratuits ! + de 100 Matchs analysés / semaine

Italie

Gianluigi Buffon