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Uruguay 1930, Les Charruas avant les bœufs.

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Uruguay 1930, Les Charruas avant les bœufs.

Le premier Mondial de l’histoire voit le jour après le Krach boursier de 1929. En Inde, Ghandi commence à faire parler de lui en organisant une marche pacifique pour protester contre l'omnipotence des Britanniques, qui font main basse sur les richesses du Royaume du curry. Dans une Europe à l'orée de tragiques événements politiques, le football n’est encore qu’un jeu futile tandis qu'Outre-Atlantique, il est déjà vécu avec passion, sorte d'exutoire frénétique à la cruauté des dictatures argentine et péruvienne.

Dès sa création, en 1904, la FIFA s’est attachée à mettre en place une compétition dans laquelle s’affronteraient les meilleures sélections nationales du monde. Le Français Jules Rimet, président de ce qui n’est pas encore le plus grand organisme de football de la planète, met ainsi tout en œuvre pour y parvenir. Le 26 Mai 1928, lors d’un congrès à Amsterdam, il annonce que la première coupe du monde se célébrera en 1930. Le 8 septembre de la même année, à Zurich, la FIFA annonce que la compétition n’aura lieu que tous les quatre ans pour ne pas remettre en cause la légitimité des championnats, mais aussi pour s’assurer que les meilleurs joueurs du monde seront assez motivés pour y participer. Le 18 Mai 1929, à Barcelone, le pays d’accueil est désigné. L’Espagne, à travers son monarque, le roi Alphonse XIII, est le candidat européen le plus sérieux, mais c’est finalement l’Uruguay qui l’emporte avec un argumentaire basé sur le fait que la compétition coïncide avec le centenaire de son indépendance. Les Charruas utilisent en outre leurs deux médailles d’or olympiques, obtenues à Paris et Amsterdam, pour faire pencher la décision de leur côté.
Le plus dur commence alors : convaincre les pays d’y participer. La tache est ardue, car en Europe la professionnalisation des footballeurs est déjà amorcée et les clubs ne sont pas prêts à accepter que leurs employés désertent deux mois pour participer à une compétition que beaucoup considèrent comme futile. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la traversée en bateau jusqu’à Montevideo n’enchante personne…A la date limite des inscriptions, aucun pays européen n’a encore donné son accord à la FIFA pour participer à la Coupe du Monde. Rimet entame alors un tour d’Europe pour les convaincre, allant même jusqu’en Roumanie pour demander au roi Carol d’autoriser son équipe à s’y rendre. L’accord obtenu, les représentants des Carpathes embarquent à Gênes, direction Villefranche-sur-Mer où les attendent les Français. Les Belges rejoignent ensuite la petite flotte à Barcelone. Le périple peut alors commencer : Lisbonne, les Canaries, Madère, et enfin Rio de Janeiro où les Brésiliens embarquent à leur tour pour rejoindre Buenos Aires. Les Yougoslaves, en grands seigneurs, affrètent quant à eux un bateau postal nommé ‘Le Florida’ pour traverser l’Atlantique.
Toutes les sélections du Mondial arrivent donc avec leur carton d’invitation, puisque les matchs de qualification n’existent pas encore. A l’arrivée des treize délégations, le tirage au sort n’est pas encore effectué. Rimet craint en effet des désistements de dernière minute. La Coupe du Monde a du mal à prendre, les problèmes s’accumulent. Ainsi, les pancartes annonçant l’événement informent que la compétition aura lieu du 15 juillet au 15 août, alors qu’en réalité elle se déroule du 13 au 30 juillet. Le Brésil décide d’ailleurs de ne pas envoyer ses meilleurs joueurs (ceux du championnat paulista), pensant que le tournoi n’a rien de sérieux. Les infrastructures, elles aussi, laissent à désirer puisque le stade du Centenario spécialement construit pour l’occasion n’est toujours pas achevé le jour de l’inauguration. Du coup, les huit premiers matchs de la compétition ont lieu sur des terrains de fortune tels que Pocitos et Parque Central. Le colosse n’est prêt que le 18 juillet, avec un ciment encore frais. Les spectateurs en profitent pour y graver des messages personnels que l’on peut encore retrouver sur les murs du stade aujourd’hui. Jusqu’au premier match disputé au Centenario, l’affluence est loin d’atteindre des niveaux exceptionnels, la barre des 5000 spectateurs étant difficilement atteinte lors du Yougoslavie-Brésil joué à Parque Central. Néanmoins 70.000 spectateurs assistent à la victoire de l’Uruguay sur le Pérou (2-1), pour le premier match organisé dans la gigantesque enceinte. Une véritable fête, hormis pour les maçons qui n’ont pas encore fini d’installer les douches à l’arrivée des deux équipes dans les vestiaires. France-Mexique est le premier match de la compétition, et donc de l’histoire de la coupe du monde, Lucien Laurent, le premier buteur de cette dernière. Les Bleus sont en outre, et malgré eux, les acteurs du match le plus polémique du premier tour, face à l’Argentine. Après un but de Monti pour l’Albiceleste, l’arbitre décide d’arrêter le match à la 84ème minute. Les supporters uruguayens, furieux contre l’erreur de l’arbitre favorable à l’ennemi juré de la nation, envahissent le terrain. La police doit intervenir durement, jusqu’à ce que l’arbitre du match revienne sur sa décision, et décide faire jouer les six minutes restantes. Cette défaite empêche les Bleus d’aller en demi-finale contre les Américains, qui ont malicieusement profité de l’absence de règlements de la FIFA pour intégrer à leurs rangs une véritable colonie écossaise.
La finale voit s’affronter l’Uruguay et l’Argentine. Les deux pays, séparés par le Rio de La Plata, le sont également politiquement. Le match est par conséquent l’occasion rêvée pour les deux équipes de régler un vieux contentieux. Pour s’assurer de la victoire des leurs, les supporters charruas passent la nuit qui précède le match à bombarder de pierres l’hôtel des Argentins, et à proférer des menaces comme en atteste Varallo : « Ce match a été un désastre. Certains de mes coéquipiers avaient peur. Monti était effrayé parce qu’il n’arrêtait pas de recevoir des cartes qui menaçaient de mort sa famille et lui, si on gagnait contre l’Uruguay. Le dernier soir, les supporters uruguayens nous jetaient des pierres sur les fenêtres de l’hôtel afin que l’on ne puisse pas dormir. C’était horrible. » Le cas de Monti est d’ailleurs révélateur des magouilles qui ont lieu avant la finale. Le talentueux défenseur argentin est le centre d’intérêt de représentants italiens qui veulent bâtir une équipe compétitive afin de servir les intérêts de Mussolini. Le Duce, à travers la mafia italienne, présente à Montevideo, ordonne que le joueur soit déstabilisé afin qu’il rate sa finale. Le but ? En faire le coupable de la défaite et la tête de turc des Argentins, condition sine qua non de son ralliement à la Squaddra Azzura. Le stratagème s’avérera payant puisqu’après le tournoi, le défenseur sera transféré à la Juventus pour y obtenir le passeport italien…
Malgré une ambiance des plus houleuses, le match a finalement lieu. Le premier désaccord tourne autour du ballon utilisé pour la finale. Les Argentins exigent qu’il soit changé puisqu’il est différent de ceux avec lesquels ils ont l’habitude de jouer. Finalement, pour contenter les deux équipes, l’arbitre du match décide jouer chaque mi-temps avec un ballon différent pour ne pas susciter de polémiques. A la mi-temps, les astres de la pampa mènent 2-1, grâce à des buts de Peucelle et Stabile, la star du tournoi. Malgré cela, ils s’effondrent devant l’ambiance hostile qui règne dans les tribunes, usés par les coups violents portés contre eux par les Charruas. Beaucoup pleurent et demandent à ne pas retourner sur la pelouse. Chez les locaux, l’ambiance est toute autre, le capitaine Nazassi demande à ses coéquipiers de mettre le pied, tout en invoquant l’épique. La deuxième mi-temps n’a pourtant rien de glorieux, les tacles, les coups de coudes et les insultes de la fameuse ‘garra charrua’ ont raison des Argentins qui s’inclinent finalement par 4-2. Soulagé par la fin d’un match qu’il ne sut jamais tenir, l’arbitre belge Jan Langenus ne prit pas la peine de rester pour voir les champions soulever la coupe, et s’en alla directement à l’aéroport par peur de représailles des supporters argentins présents au Centenario. Vécu comme une honte nationale, les Argentins auront du mal à s’en remettre, de l’aveu même de Varallo : « Beaucoup affirmaient qu’ils voulaient arrêter le football, ou ne plus jouer pour la sélection nationale. Pour ma part je me rappelle avoir beaucoup souffert dans ma chair quand je voyais les Uruguayens embrasser leur maillot. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps pour cette finale. Aujourd’hui encore, je rêve que nous la gagnons. »

La Finale : 30 Juillet 1930 à 15h30 au Centenario, Montevideo

Uruguay 4 – Argentine 2 Buts : Dorado 12ème, Cea 57ème, Iriarte 68ème, et Castro 89ème pour l’Uruguay, Peucelle 19ème et Stabile 37ème pour l’Argentine.

Uruguay : Ballestero, Mascheroni, Nazassi (C), Andrade, fernandez, Gestido, Dorado, Scarone, Castro, Cea, Iriarte. Entraineur : Alberto Supicci

Argentine : Botasso, Della Torre, Paternoster, J.Evaristo, Monti, Suarez ,Peucelle, Varallo, Stabile, ferreira ( c), M. Evaristo. Entraineur : Francisco Olazar

Arbitre : Jan Langenus (Bel) Assistants : Henry Christophe (Bel), Ulises Saucedo (Bol)

La star : Guillermo Stabile Remplaçant de Roberto Cherro au départ, Stabile profite d’une crise de nerfs de son compatriote lors du match contre la France pour devenir la référence d’attaque de l’Albiceleste et le meilleur buteur du tournoi avec huit réalisations. Fils d’immigrés italiens, le jeune Stabile commence sa carrière sportive dans l’athlétisme où sa vitesse fait ravage. Il choisit pourtant le football et signe à 17 ans à Huracan, club avec lequel il remporte les championnats ‘25 et ‘28, en devenant le meilleur buteur de l’équipe. Grâce à son mondial tonitruant et à sa capacité à perforer les défenses, les Argentins le surnomment rapidement ‘El Filtrador'(Filtreur). Il se fait également remarquer par la Genova, qui débourse 25.000 pesos au ‘Globo’ pour l’enrôler. L’expérience est malheureuse puisque les blessures à répétitions l’empêchent de prouver sa vraie valeur. Après un passage furtif à Naples, il rejoint le Red Star, qui évolue alors en deuxième division française. Il devient la star de l’équipe et permet au club de monter en D1. Stabile se fait naturaliser français et joue même pour les Bleus avec lesquels il inscrit quatre buts contre l’Autriche. Après avoir raccroché les crampons, Stabile devient l’entraîneur du Red Star, puis décide de rentrer en Argentine pour distiller ses conseils à son ancien club. En 1941 il devient le sélectionneur de l’Albiceleste ; il empile les victoires et les records, dont celui d’avoir gagné six fois la Copa America. En 1958, les mauvais résultats de son équipe l’obligent à démissionner. Avant de s’éteindre il déclara : « Les joueurs de mon époque étaient aussi doués que ceux d’aujourd’hui, seulement le rythme était différent. » Avec lui en tout cas, c’était électrique…

L’équipe type du tournoi :

Yaksic(You) – Nasazzi(Uru) – Ivkovic(You)- Andrade Uru)- Monti(Arg) – Gestido(Uru) – Ferreira(Arg)- Castro(Uru)- Stabile(Arg), Cea(Uru).

Chiffres clés :

– 13 équipes, dont les têtes de séries : Brésil, Etats-Unis, Uruguay et Argentine. Aucun européen n’était considéré comme favori.
– 189 joueurs ont participé aux matchs. Des pionniers donc. – 70 buts marqués au total, avec une moyenne de 3,8 buts pour 18 matchs joués.
– Le joueur le plus jeune : le Brésilien Carvalho Leite avec 18 ans et 65 jours. – Le plus vieux : Rafael Garza Gutierrez ‘Record’ avec 34 ans.
– 547.308 spectateurs au total ont assisté aux matchs de la première coupe du monde. Les matchs joués au Centenario ont largement contribué à remonter la moyenne de spectateurs par matchs (32.739 spectateurs) puisqu’à titre d’exemple, le Roumanie-Perou s’est joué devant 300 spectateurs. – La recette totale s’élève à 225.000 dollars. Une ‘misère aujourd’hui’, un sacré pactole autrefois.

Curiosités :

– Le mondial uruguayen est le seul à s’être disputé dans une seule et unique ville, Montevideo.
– Lors du premier match entre la France et le Mexique, les hymnes nationaux furent joués à la mi-temps. – Le seul remplacement du tournoi eut également lieu lors de ce match, lorsque le gardien Français Thépot pris la place de Chantrel.
– Il n’y eu aucun match nul dans cette première édition. – Le sélectionneur bolivien Ulises Saucedo exerça également la fonction d’arbitre pour le match Argentine-Mexico (6-3). En sifflant cinq penaltys au cours de cet affrontement, il détient aujourd’hui encore le record mondial de pénaltys sifflés en un seul match.
– Il n’y eut pas de petite finale lors du tournoi, bien qu’elle ait été programmée. En effet la Yougoslavie qui s’était fait piétiner par l’Uruguay en demi-finale (6-1) s’était vu refuser un but valable. En signe de protestation ils refusèrent de jouer le match contre les Etats-Unis. – Le Roumain Steiner fut le premier joueur blessé de l’histoire du mondial : Fracture de la jambe.
– Le gardien argentin Bossio fut le premier à arrêter un pénalty. Naturellement, le Mexicain Manuel Rosas fut le premier à le rater. – Avec 18 buts marqués l’Argentine est l’équipe qui a le plus scoré dans la compétition, grâce notamment à son buteur Stabile, auteur de 8 buts.
– La Bolivie et la Belgique sont les deux seules nations à ne pas avoir marqué le moindre but. – Certains joueurs de champ jouaient avec des casquettes rembourrées de carton et de papier journal pour se protéger contre les dangereuses coutures apparentes des ballons de l’époque.

JPS

Pardon d’avoir douté, Rayan Cherki

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