Tom Cruise, le Real Madrid et les lunettes noires
Dimanche soir, le match opposant le Real Madrid et Majorque fut capital dans l’exercice de compréhension de ce qui ne tourne pas très rond dans le football. Malgré le suspense offert par la double opposition (d’une part Real-Majorque), de l’autre (Tarragone-Barcelone), propre à satisfaire tout fan de football, il y avait quelque chose qui clochait. Mais bon Dieu de nouille, fallait-il encore savoir quoi!
Ce qui clochait, en fait, c’est que dans les tribunes, un couple pas tout à fait anodin regardait le match à sa façon, c’est-à-dire avec des lunettes de soleil. Ce couple, c’était Tom Cruise et Katie Holmes. Tom Cruise et Katie Holmes dans l’enfer de Santiago Bernabeu, c’est un peu comme François Fillon à un concert des Rolling Stones, le signe qu’il est désormais tant de raccrocher, que tout ça va mal finir, et que tout ce qui n’était pas gagné d’avance est désormais bel et bien perdu.
Mais le plus grave, ce n’était pas qu’ils étaient là, dans les tribunes, comme s’il s’agissait d’un match de Roland Garros, non le plus grave, c’est qu’ils regardaient ce match avec des lunettes de soleil. C’est con, mais ce détail vous ouvre forcément les yeux: le problème du foot en 2007, c’est qu’on le regarde avec des lunettes de soleil.
Tenez par exemple, quoi d’autre qu’un article factuel de l’Equipe sur ce qui fut pourtant l’événement footballistique de la semaine, on ne parle pas du mariage d’Eric Cantona avec Rachida Brackni qui a quand même fait la couv du Parisien, mais bien de l’introduction en bourse d’un deuxième club de foot français : le FC Istres Ouest Provence ? Voilà pourtant un événement qui en dit long sur le football d’aujourd’hui, mais rien, un entrefilet de ci, de là, et emballé c’est pesé.
Que l’Olympique Lyonnais soit en bourse, c’est déjà faire injure au fameux aléa sportif évidemment contraire à la logique boursière, mais alors Istres, club relégué en national, c’est-à-dire en 3e division, c’est carrément un aveu. L’aveu que dans un club de foot, désormais, le football n’est plus qu’un alibi.
Bernard Calvignac et Henry Cremades, les nouveaux propriétaires du FC Istres, partent du principe tout à fait contemporain, que le football sera un levier efficace pour leur permettre de faire du business dans l’hôtellerie, la rééducation pour sportifs de haut niveau ou l’élevage d’oursins. C’est toujours plus sûr qu’une victoire sur Louhans Cuiseaux. Et c’est bien là que le bat blesse.
Parce que c’est désormais officiel, tout le monde se fout de ce qui se passe sur le terrain. Frédéric Thiriez, président de la ligue de football, a eu le culot, la semaine dernière, d’évoquer la somme de 750 000 millions d’euros pour les prochains droits de la Ligue 1, soit 150 millions de plus que ce qu’a payé Canal+ il y a trois ans et qui pulvérisait déjà le record du n’importe quoi.
Avec ses petites lunettes et sa moustache, le Thiriez vous dit ça sans être ému une seconde par la faiblesse du jeu – on ne parle pas du spectacle mais bien du jeu – proposé depuis quelques années déjà en Ligue 1. Parce que le jeu, c’est pas ça qui compte. Et le football, quelque part, Thiriez s’en fout.
Ce qui compte c’est qu’il y ait toujours plus de supporters qui raquent leur abonnement pour suivre leur équipe, dans les tribunes ou devant leur télé. Ce qui compte, c’est que des types au physique pas très sportif continuent à jouer avec leur pognon.
Le 18 juin, s’est ouvert le procès en appel des comptes de l’OM devant le tribunal d’Aix-en-Provence. Rolland Courbis risque la prison ferme, Robert Louis-Dreyfus une condamnation avec sursis et une tâche indélébile sur son beau polo.
Ce serait la moindre des choses compte tenu des malversations dont Courbis, Louis-Dreyfus et leurs petits potes se sont rendus coupables à la tête du club marseillais. Cet « autre appel du 18 juin » resterait alors gravé comme une date symbolique de l’histoire du football. Le jour où quelques-uns ont relevé leurs lunettes de soleil sur le front.
Giovanni Seri
Fortement inspiré d’une chronique « So Foot » dans La Bande à Bonnaud (France Inter), une émission remarquable à suivre tous les jours de 16h30 à 18h, et faut pas déconner parce que le plaisir ne dure qu’un temps.
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