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Shems El Khalfaoui : « Il est malhonnête de mettre ça sur le dos des habitants de Saint-Denis »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Shems El Khalfaoui : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il est malhonnête de mettre ça sur le dos des habitants de Saint-Denis<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Depuis samedi soir, tout le monde prend la parole pour essayer de comprendre le naufrage de cette finale de Ligue des champions au Stade de France. Pourtant, on a peu écouté les gens de terrain qui connaissent la situation locale, alors que la recherche du coupable idéal a glissé du supporter de Liverpool au jeune de cité. Shems El Khalfaoui, adjoint au maire de la ville de Saint-Denis, était au cœur de l’ouragan. Il délivre un témoignage qui propose une autre perspective de cet échec et ses causes.

Vous étiez présent sur place dès le matin, avez-vous senti arriver ce fiasco ?En tant qu’élu aux sports et aux Jeux olympiques de Paris, je me suis retrouvé en quelque sorte en première ligne. J’ai participé auparavant au comité d’organisation en alternance avec le maire. Bien sûr, nous avons vu se profiler la catastrophe. Ce fiasco résulte d’une addition de plein de faits : problème dans la chaîne de commandement de la préfecture de police, absence d’orientation du public, etc. Nous avions eu une première alerte voici quelque temps, autour d’un France-Italie en rugby. Notre cher préfet de police avait décidé pour la première fois d’interdire la vente d’alcool autour du Stade de France. Du coup, les gens ont picolé plus loin et sont arrivés plus tard. Pour la finale de la Coupe de France, de nouveau interdiction de la vente d’alcool, ce qui élimine les points de fixation du public à proximité. Nous nous sommes retrouvés avec la Brigade Loire en centre ville, 7000 personnes, qui ont laissé derrière eux des traces, et du côté de la Plaine Saint-Denis, une situation tendue avec les Niçois. On connaît tous en outre les difficultés d’acheminement du public au Stade de France en temps ordinaire. Ajoutez-y les travaux du RER, la grève du RER B – qui était annoncée donc à anticiper – et forcément, tout était compliqué. Mais le vrai drame a été qu’on n’a pas songé à réorienter des supporters anglais à la sortie du RER D et que, de la sorte, ils finissent par s’entasser dans un goulot d’étranglement. Tout cela a pu se produire malgré les alertes durant les réunions préparatoires. Sans parler de la volonté aussi, il faut le dire, des Anglais de pouvoir utiliser des faux billets.

Justement, la question des faux billets revient souvent dans les explications…Il y en avait effectivement beaucoup, mais il est impossible en revanche d’avancer des chiffres. Beaucoup d’Anglais tendaient ces faux billets, mais ils les avaient payés. On a encore des stickers collés sur les murs autour du stade avec des numéro WhatsApp en Allemagne ou ailleurs pour s’en procurer…

Depuis 1998, il n’y a jamais eu de problème autour des matchs. Il s’avère très malhonnête de faire retomber sur les habitants de Saint-Denis les dysfonctionnements de la préfecture de police.

Le nœud du chaos se forme vraiment à la sortie du RER D ?L’enchaînement de la catastrophe commence avec le RER D. Un cheminement dans une avenue large avait été prévue. On ne sait pas pourquoi les supporters anglais sont passés ailleurs, vers le tunnel. Surtout, comment se fait-il qu’aucun responsable n’ait eu la jugeote de songer à mettre en place leur orientation avec des indications, orales ou écrites, en anglais ? Après, les gendarmes mobiles, devant ce qui se préfigurait et le risque d’un drame, ont fait sauter ce goulot d’étranglement qui n’aurait jamais dû exister. Cette première ceinture de sécurité existait pour filtrer et sécuriser le parvis devant le stade. Or c’est l’inverse qui s’est produit. Énormément de gens se sont retrouvés devant les portes d’accès. Des Anglais, mais aussi des personnes en errance – et nous avons un souci d’accueil du côté de la porte de Paris ou porte de la Chapelle comme tout le monde le sait -, des vendeurs de cigarettes à la sauvette, des gens en situation irrégulière… Du coup, certains ont senti la bonne affaire avec ce chaos pour en profiter, des supporters se sont fait dépouiller ou agresser. De même, effectivement, des jeunes des alentours qui vivent de l’illicite ont aussi sauté sur l’occasion d’effectuer leurs larcins habituels…

Du coup désormais, on pointe de plus en plus la population de la ville et du 93…Ce que nous refusons à Saint-Denis, c’est d’être désormais rendu responsables de ce qui s’est produit. La fan zone des Espagnols, chez nous, s’est déroulée sans accroc, sans incident, et ce sont des gens du coin qui en assurait la logistique. Nous avons aussi tenu dans la journée une série d’événements pour la population comme un tournoi de foot avec la venue de Zinédine Zidane. L’équipe vainqueur a été invitée par Adidas au match. Le maire, comme il ne s’agissait pas de Dionysiens, a pris sur le quota des élus pour inviter nos joueurs. Depuis 1998, il n’y a jamais eu de problème autour des matchs. Il s’avère très malhonnête de faire retomber sur les habitants de Saint-Denis les dysfonctionnements de la préfecture de police. Il est malhonnête de mettre tout ça sur le dos des habitants de Saint-Denis. Nous aussi, nous avons subi cette soirée : gazage par les forces de l’ordre ou agressions sur le parvis. Ensuite, tu te lèves le matin et tu te retrouves montré du doigt à la télé. Nous n’avons pas vocation à être le fusible pour cette désorganisation générale.

Justement, la déconnexion entre ce type de grand événement et la population locale frappe encore plus…Les chiffres sont simples pour une finale de Ligue des champions. Il faut les connaître. Deux fois 20 000 places pour les supporters de chaque club en lice, 30 000 invités des partenaires UEFA, 3000 invités politiques ou de prestige, puis 7000 billets mis en vente (pour un million de demandes). Nous avons réussi, cette fois, grâce à une bonne relation avec l’UEFA, à en obtenir 200 pour notre ville et ses résidents, et nous les avons globalement attribués par tirage au sort. Ce sont les gamins d’un de nos clubs qui ont été les ramasseurs de balle. Pour France-Danemark, la FFF nous en a cédé 120, pour les 7000 licenciés de notre commune. J’achète parfois des tickets avec les fonds de la ville. Je ne peux pas me le permettre tout le temps. On va rencontrer le Stade, qui comprend qu’il faut davantage associer la population locale.

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Edoardo Bove : et maintenant ?
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Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov

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