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Ronaldo-Messi, la fin de l’amour ?

Par Thibaud Leplat
Ronaldo-Messi, la fin de l’amour ?

Pour la première fois depuis 2005, Leo Messi et Cristiano Ronaldo seront absents d’un quart de finale de Ligue des champions. Nos héros sont fatigués. Le désespoir rôde. (Ou pas).

On a besoin d’héroïsme, que voulez-vous, c’est notre petite transcendance, notre apéritif. Or, depuis quelques mois, nos journées sont rythmées par une étrange litanie. Ce ne sont plus des buts, des records qui tombent. Enfin si, encore quelques-uns. Le but de Messi contre le PSG mercredi soir, par exemple, nous a rappelé notre jeunesse. Ou la semaine dernière Cristiano qui marque contre le Spezia Calcio son 767e but pour égaler Pelé. La belle affaire. Non, en fait, ce qui nous tient depuis un moment, ce ne sont plus les tableaux d’affichage, mais les bulletins médicaux. Tantôt c’est pour un virus célèbre, alors qu’on le croyait invincible (Ronaldo en octobre), tantôt parce que leurs vieilles carcasses n’en peuvent plus (Messi depuis septembre : claquage, malléole, adducteurs, cheville).

Curieusement, le tennis n’apporte aucune consolation efficace. Pire, la seule chose qui nous obsède en ce moment sur les pistes de l’ATP, c’est le genou de Roger Federer. Les déclarations de son préparateur physique à Tages-Anzeiger fin février étaient censées nous rassurer. Elles nous ont accablés un peu plus : « Quand un joueur de bientôt 40 ans doit faire des exercices (pendant sa période de rééducation, NDLR) qu’une personne de 70 ans ferait sans problème, tout en se réjouissant que chaque jour soit meilleur que le précédent : on peut parler de passion ! » L’articulation avait tenu pour son premier tour à Doha. Ouf. Mais Roger est battu au tour suivant. Et Rafa, au fait ? Oui le dos va mieux, merci. Mais il préfère se préserver. Nadal ne viendra pas à Doha finalement. Nos héros sont fatigués. Le désespoir rôde.

D’Achille à Ronaldo

Rappelons une évidence. Depuis (au moins) Homère, on n’a jamais rien trouvé de mieux que l’héroïsme pour enseigner aux hommes. Les petits Grecs de l’Antiquité apprenaient le courage, la colère, le dépassement de soi en écoutant Achille et Hector combattre dans L’Iliade. Troie tombée, ils passaient ensuite à L’Odyssée. Avec Ulysse et son fils Télémaque, ils y découvraient la ruse, ce caprice délicieux de l’intelligence humaine, ils apprenaient ensuite la mélancolie du voyageur et l’amour du foyer. Les héros, à toutes les époques, enseignent. Mais pas à la manière du maître d’école. Chez nous, en effet, ce ne sont pas sur des grandes estrades que Roger nous a donné des cours d’élégance ou Rafa des leçons de détermination. Leurs amphithéâtres, ce sont nos tribunes.

C’est là aussi que Messi nous a donné à admirer une représentation du génie plastique, que Ronaldo a fait admirer les vertus du travail (et du développé couché). Comme à l’école ou à la messe, leurs exploits nous ont été chantés de manière hebdomadaires depuis près de vingt ans. Imaginez un peu. Première victoire de Federer à Wimbledon en 2003. Premier Roland-Garros de Rafa en 2005. Premier Ballon d’or de Cristiano en 2008. Premier Ballon d’or de Messi en 2009. Et depuis ces jours, pas une semaine sans notre comptant de grandeur et d’exploits. CR7 et Leo éliminés tous les deux avant les quarts de finale de C1 pour la première fois depuis 15 ans, et d’un coup, les héros prennent un coup de vieux. Et nous avec.

Pour se rassurer, on se dit que c’est peut-être le jeu des générations. Chacun a droit à son Achille, à son Ulysse. On dira à nos héritiers que jamais dans le football il n’y a eu meilleur duel que le nôtre. On jurera, même. Mais ce sera faux. Car à y regarder de plus près (et contrairement à une indignation assez répandue), c’est bien par duo que se racontent les meilleurs épopées de football. C’est encore pire même. Les grandes époques du football ont toujours été structurées par un même combat homérique : Pelé et Garrincha, Di Stéfano et Kubala, Charlton et Best, Cruyff et Beckenbauer, Diego et Platini, CR7 et Messi. En tennis, il nous reste Djokovic, mais bon. C’est pas pareil, Djoko.

La mauvaise éducation

Alors, nous dit-on, il faudrait désormais faire place au duel Mbappé-Haaland. Soit. Mais on rechigne un peu, comprenez. On aimerait que notre époque dure un peu plus. Qu’on ne dévore pas trop vite ces hommes qui ont transcendé nos admirations. Mais la lucidité (qui vient de pair avec l’arthrose) nous avait avertis. D’après une terrible enquête réalisée par l’ECA, 40% des 16-24 ans européens disent n’avoir aucun intérêt pour le football. La proportion passe même à 80% pour les 8-15 ans, c’est-à-dire nos frères et sœurs, c’est-à-dire nos fils et filles. L’évidence est douloureuse : on a raté quelque chose dans notre éducation.
Javier Marias, l’écrivain espagnol, l’avait pourtant parfaitement écrit. Il est bon de le rappeler, « le football, c’est la récupération hebdomadaire de l’enfance ». Telle est la grande sauvagerie qui nous consume. Intimement liée à l’enfance de chacun, l’admiration pour les héros ne supporte aucune mesure, aucune initiation. Elle a besoin d’une dévotion sauvage, absolue, individuelle. Il est temps donc de remballer nos magazines et nos DVD de vieux cons. Il est l’heure de laisser place nette à ces nouvelles gloires qu’on ne comprendra pas. C’est maintenant au tour de la jeunesse de combler les vides et de tomber amoureuse de Kylian et Erling. Retournons à nos greniers en silence. Dégustons seuls le miel secret de nos années héroïques. Découvrons la nostalgie. Un jour, sans doute, ce sera leur tour. Mais « chut ! », c’est trop tôt. Ils ne sont pas encore prêts pour la fin de l’amour.

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