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René Higuita : « Tous les gardiens sont fous »

Par Thomas Broggini, à Medellín
René Higuita : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tous les gardiens sont fous<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Gardien et buteur. Dingue et génial. Connu pour son amitié revendiquée avec Pablo Escobar, un passage en prison de neuf mois ou deux contrôles positifs à la cocaïne. À 56 ans, René Higuita reste surtout célèbre pour avoir réalisé un coup du scorpion lors d’un match amical entre l’Angleterre et la Colombie, en 1995. Entretien avec une légende vivante, actuellement membre du staff de l’Atlético Nacional, à Medellín.

Votre célèbre coup du scorpion fêtait il y a quelques jours ses 27 ans. Le téléphone a dû chauffer, non ?(Il souffle.) Vous n’imaginez pas ! J’ai reçu des appels et des messages de partout. D’Arabie saoudite, d’Espagne, du Mexique, d’Équateur… Grosso modo, de tous les pays dans lesquels je suis déjà allé, et même d’ailleurs. Cette action a fait le tour du monde, et je continue aujourd’hui encore à être félicité tous les jours. C’est la plus belle des récompenses pour tous mes efforts.


Ce geste a-t-il changé changé votre vie ?Probablement. Ce geste est né de mon amour pour le jeu. Sur un terrain, je m’amusais avec sérieux, si je puis dire. J’utilise cette expression, car j’apportais aussi quelque chose à mon équipe, il ne faut pas l’oublier, je n’étais pas juste là pour faire le show comme certains pourraient le croire. Ce geste qui semble sortir de nulle part, mais que j’ai en fait beaucoup travaillé, est devenu le plus beau de l’histoire. C’était une manière de dire que le football est un spectacle avant tout.

Pourquoi teniez-vous tant à le réaliser ?Parce que le football est un spectacle, justement, et que les gens viennent au stade pour se régaler. Ensuite seulement viennent les résultats. Ce geste naît par hasard, sur le tournage d’une publicité pour Frutiño (une marque de boissons fruitées), dans laquelle je devais jouer avec des enfants. À un moment, je relance le ballon et l’un de ces gamins me sort un enchaînement contrôle de la poitrine et ciseau retourné ! Alors moi, pour lui répondre, je décide de faire une sorte de bicyclette, mais à l’envers. (Rires.) Le scorpion vient de là. Quand la pub est passée à la télé, les gens qui me voyaient au stade ont commencé à crier « Frutiño ! Frutiño ! » pour me demander de faire le scorpion. Et mes coéquipiers m’envoyaient parfois des ballons pour que je le tente à l’échauffement. J’ai fini par me dire que je devais un jour faire ce geste durant un match et j’ai donc commencé à le travailler. J’ai finalement dû attendre sept ans avant que l’opportunité ne se présente.

Lors d’un match amical devenu célèbre contre l’Angleterre, à Wembley, le 6 septembre 1995…Tout le monde ne le sait pas – ou l’a oublié -, mais j’ai vite vu, sur ce centre-tir de Jamie Redknapp, que le juge de ligne levait son drapeau pour signaler une position de hors-jeu. On ne le voit pas sur la vidéo de l’action. (Sourire.) C’était le moment parfait puisque si je me ratais, il n’y avait pas but. Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai fait ce geste et que le juge de ligne a baissé son drapeau pour laisser le jeu se poursuivre. Cet arbitre de touche a eu un grand rôle dans ce moment de légende.

Malgré le scorpion, les buts marqués et les arrêts effectués, je crois que ma plus grande contribution au football reste d’avoir participé à changer la règle sur la passe au gardien.

Vous aimiez prendre des risques ?La vie est faite de risques, le football aussi. Si je voyais mon équipe en difficulté avec le ballon, je sortais de ma surface pour aider, pour apporter de la confiance. C’était une manière de dire à mes coéquipiers : « Venez, on va jouer, ça va bien se passer. » Et cela aidait souvent les gars, qui se disaient : « El Loco est là, ça va aller. » Je me suis toujours considéré comme un joueur de champ de plus, capable de faire des choses avec ses pieds (il a joué attaquant, plus jeune, NDLR). Finalement, malgré le scorpion, les buts marqués et les arrêts effectués, je crois que ma plus grande contribution au football reste d’avoir participé à changer la règle sur la passe au gardien (connue comme la « loi Higuita » , intronisée juste avant les JO de Barcelone en 1992 par la FIFA, qui stipule qu’un gardien ne peut pas prendre le ballon avec les mains lorsqu’un joueur de sa propre équipe lui transmet, NDLR). C’est mon plus grand héritage, mon plus grand accomplissement et ma plus grande fierté, après avoir été considéré comme un fou ou un clown.

Méritiez-vous ce surnom, « El Loco » ? Je crois qu’on m’a toujours appelé comme ça de manière affectueuse. Quand on parle du « Loco Higuita » aujourd’hui, on parle de quelqu’un d’abordable, d’étonnant ou génial. Je l’ai toujours pris comme ça en tout cas, donc ça ne m’a jamais déplu.

Qu’enseignez-vous aux gardiens dont vous avez aujourd’hui la charge, à l’Atlético Nacional ?À ne pas subir. On leur fait beaucoup travailler le jeu au pied en compagnie du professeur Milton Patiño (le préparateur numéro un des gardiens, NDLR). Ils participent toujours au jeu lors des échauffements. Et bien sûr, ils bossent aussi avec leurs mains. Aujourd’hui, au niveau professionnel, les gardiens sont formés pour savoir tout faire.

Qui est l’héritier de René Higuita aujourd’hui ?Ce pourrait être Keylor Navas, un gardien très technique, toujours bien placé et bon sur sa ligne, mais je crois qu’il ne prend pas autant de risques que j’en prenais. Ce serait plutôt (Manuel) Neuer je dirais, qui est le parfait exemple de ce qu’un gardien peut apporter à son équipe. J’aime aussi beaucoup (Thibaut) Courtois et le gardien de Barcelone (Marc-André ter Stegen). Tous les gardiens apportent quelque chose de différent. Il n’y pas qu’une seule manière de faire les choses.

Votre style aurait-il été plus adapté au jeu moderne ?Peut-être. En tout cas, j’aurais adoré jouer dans des équipes comme le Barça ou le Real Madrid. On me dit souvent que ce serait compliqué à cause de ma taille (1,76 m), mais je ne vois pas en quoi ce serait un problème dans une équipe qui tient le ballon. Passez-le moi et vous verrez ! (Rires.)

Les « fous » ont-ils disparu du football ?Je ne le pense pas. Tous les gardiens sont fous. À ce poste, si vous ne l’êtes pas, vous ne résistez ni à la pression ni aux critiques. J’ai toujours considéré qu’il fallait être dingue pour prendre place dans le but. Le football est une affaire sérieuse, et encore plus aujourd’hui avec tous ces investissements qui demandent toujours plus de résultats, mais il n’arrêtera jamais d’être un jeu. Regardez Ronaldo, Rivaldo, Ronaldinho : ce sont des footballeurs différents, qui ont réussi à gagner tout en s’amusant sur le terrain. La preuve que c’est possible.

Où vous situez-vous dans la hiérarchie des meilleurs gardiens de l’histoire ?Pas tout en haut, car je n’ai jamais gagné la Coupe du monde. Mais statistiquement, je suis dans le top 5, si on parle des gardiens-buteurs (plus de 40 réalisations, selon divers comptes, NDLR). J’ai été le premier gardien à marquer en Copa Libertadores, à tirer les penaltys, les coups francs, et j’ai ensuite été dépassé par (José Luis) Chilavert et Rogerio Ceni. Je fais partie de ce groupe-là, avec aussi (Jorge) Campos. Au-delà des chiffres, je suis surtout fier de ce que j’ai laissé au football, malgré mes erreurs.

Comme celle qui a précipité l’élimination de la Colombie face au Cameroun de Roger Milla, en huitièmes de finale de la Coupe du monde 1990 ?Par exemple, oui. Et dans le football, comme dans la vie, on peut toujours apprendre de ses erreurs. J’ai pris des risques tout au long de ma carrière et j’ai toujours été conscient des potentielles conséquences et prêt à assumer. Mais j’ai surtout été la preuve que le gardien pouvait jouer avec ses pieds, et même plutôt bien. J’ai été un exemple. Mon plus beau but reste le coup franc que j’ai inscrit face à (Germán) Burgos, le gardien de River Plate (en demi-finales aller de la Copa Libertadores, le 9 août 1995, NDLR).

Pourquoi les Colombiens vous aiment tant ?Je ne sais toujours pas comment l’expliquer. Je dirais que ça vient du footballeur que j’ai été, mais surtout de l’être humain que je suis. J’ai connu des échecs, j’ai pleuré et souffert, et j’ai su me relever, comme tout ce peuple. C’est sûrement pour ça que les gens s’identifient à moi, et que beaucoup me considèrent comme un ami ou un membre de leur famille.

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