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Quand la Juventus rit jaune (et bleu)

Par Matthieu Rostac
Quand la Juventus rit jaune (et bleu)

Le Malmö/Juve est la bonne occasion de revenir sur la relation mouvementée qu'a entretenu le club piémontais avec les compatriotes de Björn Borg. En même temps, rien d'étonnant : le jaune et le bleu, ça ne se marie pas très bien avec le noir et blanc...

Sur la soixante-dizaine de joueurs suédois qui ont évolué en Serie A depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pas moins de neuf l’ont fait avec le maillot bianconeri sur le dos. En Italie, seule l’AS Roma a fait mieux en alignant dix joueurs jaune et bleu durant son histoire. Forcément, la Juve nourrit une relation toute particulière avec le pays des meubles et des vêtements en kit. La première fois qu’ils se sont rencontrés, on pensait encore en noir et blanc et la Vieille Dame était encore toute jeune. C’était à Västerås, une ville de 100 000 habitants située à une centaine de kilomètres de Stockholm, tranquillement posée sur le lac Mälaren. Dans les années 40, la bourgade est surtout connue pour une chose : le concombre, qui lui vaut le surnom de… Concombre City. Malin. Mais des immigrés turinois qui fuient l’Italie mussolinienne vont faire découvrir une toute autre saveur aux locaux : l’amour de la Juventus. En 1948, le fan club Juventus IF – pour Idrottsförening, « association sportive » en suédois – voit le jour. Très vite, le fan club enlève le mot « fan » de sa dénomination et devient le premier cas avéré de club de football européen fondé par des immigrés. Désormais, la Juventus IF évolue en Division 3 Västra Svealand, au troisième échelon national.

Quatre joueurs dans le vent… Ou presque

Si Västerås est donc une incroyable terre d’accueil pour la communauté transalpine, difficile d’en dire autant quand il s’agit de faire le chemin inverse. Et la douce fraîcheur que partage le Piémont avec la région des lacs suédoise n’y changera rien : quand on est Suédois, à Turin, on se ramasse. Et bien que le Torino en ait fait la douloureuse expérience au début des années 50 en recrutant consécutivement et sans grand succès Pär Bengtsson, Åke Hjalmarsson, puis Kjell Rosén, la Juventus décide de renouveler l’expérience quelques saisons plus tard. En 1955, le club bianconeri signe Kurt Hamrin, ailier de 21 ans qui vient de planter 54 buts en seulement 62 matchs avec l’AIK Solna. Mais pas facile d’exister aux côtés de Giampiero Boniperti. Le gamin scandinave marque seulement 8 fois en 23 matchs et part en prêt l’année suivante à Padoue où il inscrit… 20 buts en 30 matchs. Malgré la forme affichée par Hamrin, la Juve le refile en 1958 à la Fiorentina, équipe pour laquelle il marquera 150 fois en neuf ans. Le même été, la Vieille Dame retente le coup en signant Karl-Erik Palmér, solide défenseur faisant les beaux jours de Legnano. Fail à nouveau : Karl-Erik « Laura » Palmér est aux abonnés absents, ne joue que trois petits matchs et rentre la queue entre les jambes se finir péniblement à… Malmö.

Qu’à cela ne tienne ! En 1961, la Juventus entre dans une période charnière. Tandis que le roi Boniperti met fin à son règne, Umberto Agnelli décide de remplacer l’entraîneur Renato Cesarini, qui vient de remporter deux Scudetti d’affilée, par le Suédois Gunnar Gren, bien connu des supporters italiens pour avoir joué au Milan AC, à la Fiorentina et au Genoa dans les fifties. Ce dernier embarque dans ses bagages le meilleur buteur du championnat suédois, Rune Borjesson. Il ne tient que quelques semaines sur le banc de la Juventus, obligé de rentrer au pays suite au décès de son beau-père. Borjesson, lui, ne restera qu’un mois chez les Bianconeri : zéro match dans la besace avant de tailler la route vers Palerme. Une question se pose : pourquoi la Juventus s’est-elle tant évertuée à donner une chance aux footballeurs suédois dans les années 50 ? Sans doute parce que la hype suédoise souffle alors sur l’Europe, après une place de troisième acquise lors de la Coupe du monde 1950 par l’équipe nationale, suivie de celle de finaliste huit ans plus tard à domicile. La Juventus retente une dernière fois le coup en 1967 en signant le patronyme le plus stylé des années 60 : Roger Magnusson. Sauf que la Juventus n’est pas très au fait des règles qui cadrent le foot italien. Déjà. Interdit de jouer dans le Calcio parce qu’étranger, Magnusson ne joue que six matchs en Coupe des clubs champions, puis finit par passer Vintimille pour aller s’éclater à l’OM l’année suivante. Il reste encore un an à Gainsbourg pour composer son Je t’aime moi non plus que la Vieille Dame en connaît déjà les paroles par cœur.

L’exception Ibrahimović

Parce que chat échaudé craint l’eau froide, pendant plus de trente ans, la Juventus évitera précautionneusement de recruter suédois. À tel point que lorsque le pays d’Alfred Nobel connaît une dernière étincelle des suites d’une troisième place à la World Cup américaine en 1994, la Vieille Dame laisse le plaisir à Bologne, Bari et Parme de s’entourer de la Swedish finest. Mais nouveau millénaire = résolution du siècle. Les Bianconeri retentent le coup en recrutant un double mètre de dix-huit ans : Andreas Isaksson. Barré par Van der Sar, le futur portier de Rennes rentre au bled en 2001 en n’ayant jamais joué un seul match avec la team à Del Piero. Le dernier cas de suédite à la Juve a connu une trajectoire similaire : entre 2010 et 2013, Carlos Garcia Ambrosiani se contentera de la Primavera, avant de s’engager avec Parme. Albin Ekdal, lui, aura légèrement plus de chance puisqu’il évoluera trois fois sous les couleurs bianconeri avant de s’envoler pour une squadra véritablement suédophile : Bologne. Quant à Olof Mellberg, malgré une grosse réputation acquise sur les terrains de Premier League et des prestations récurrentes, sa saison 2008-09 a laissé un goût d’inachevé du côté de Turin. En réalité, il n’y a guère qu’un seul Suédois qui soit parvenu à faire sienne la Vieille Dame : Zlatan Ibrahimović. Arrivé dans les dernières heures du mercato estival 2004, le « big fucking nose » s’installe tranquillement dans le onze type de la Juve, et ce, malgré des concurrents tels que Trezeguet, Del Piero ou encore Mutu. En fin de saison, le Suédois émarge à 16 buts et les Turinois remportent le Scudetto. On prend les mêmes et on recommence : en 2005-06, la Juventus écrase le championnat avec 91 points (une seule défaite), même si Ibra est beaucoup moins efficace sur le terrain. Une petite anicroche de rien du tout dans une relation juvento-suédoise qui semble – enfin – idyllique. Mais le casseur d’ambiance s’appelle cette fois-ci Luciano Moggi. Lorsque le Moggiopoli éclate et que la Juventus est condamnée à descendre en Serie B, les cadres du club la jouent remake de Backdraft : « Si tu tombes, on tombe » . Buffon, Nedvěd, Trezeguet, Camoranesi, Del Piero… Tous resteront fidèles à la Vieille Dame en cette période de trouble. À l’exception de Zlatan, qui préfère jouer les filles de l’air pour aller butiner du côté de l’Inter, non sans avoir menacé d’attaquer le club si jamais ce dernier ne le laissait pas partir. Propre. Malgré les tentatives répétées, la Juventus de Turin n’aura donc jamais vraiment pu vivre en harmonie avec ses joueurs suédois. Pourquoi ? Tout aussi étonnant que ça puisse paraître, la famille Agnelli avait pourtant la réponse sous les yeux depuis le début : on n’a jamais fait entrer un moteur de Volvo dans une Fiat.

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