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  • Économie du football

Pourquoi Agnelli tient-il autant à créer une Superligue européenne ?

par Pierre Rondeau
5 minutes
Pourquoi Agnelli tient-il autant à créer une Superligue européenne ?

Ce lundi avait lieu le 25e congrès de l’ECA, la réunion du syndicat européen des clubs. L’occasion pour son président, Andrea Agnelli, de réitérer son souhait de créer une Superligue européenne. Quitte à quelque peu modifier la réalité...

Il persiste et signe. Réunis en visioconférence pour le 25e congrès de l’ECA, les dirigeants de 240 clubs européens ont pu écouter, lors du discours d’introduction, une déclaration d’amour de leur président Andrea Agnelli à la Superligue européenne. Pour lui, « le football doit changer, ou mourir » carrément. Citant des études internationales, Agnelli admet que le nombre de fans de foot ne cesse de baisser depuis quelques années, que les supporters sont de moins en moins présents, de moins en moins intéressés et concernés par les questions footballistiques et qu’ils suivent de moins en moins d’équipes. Chiffres à l’appui, « un tiers des fans suivent deux clubs dans le monde, 10% suivent les joueurs et non les clubs, les deux tiers restant suivent uniquement les rencontres parce qu’ils sont attirés par les grands événements. Quant à la génération Z, 40% des 16/24 ans n’ont aucun intérêt pour le football ». Les raisons de ce constat flippant ? Des matchs moins compétitifs, des rencontres et des affiches moins passionnantes, un désintérêt croissant des fans pour des clubs peu ou pas cotés, pour des événements ne suscitant pas d’intérêt, pas de suspense, pas de spectacle.

Le match du siècle : Ligue des champions réformée vs Superligue

Le projet de réforme de la Ligue des champions, voulue dès 2024 par l’UEFA, avec plus de matchs et surtout plus rapidement et très tôt dans la compétition, des affiches spectaculaires entre clubs puissants et prestigieux, à travers un système de poule unique, pourrait être une solution au problème soulevé par Agnelli. Néanmoins, elle n’a pas, pour l’instant, son aval et son assentiment total. Le président de la Juventus admet qu’il s’agit effectivement d’un projet « intéressant », mais dont les contours n’ont pas été totalement précisés, notamment au niveau des formats de qualification, aussi appelé « système d’accès à la compétition ». Tout devrait ainsi encore être discuté et négocié… quitte à modifier quelques éléments dans l’intérêt de certains clubs ? Parce qu’Agnelli est têtu : son rêve a toujours été la Superligue européenne, ce serpent de mer qui prendrait la forme d’un championnat fermé entre gros du continent, sans équipe surprise comme l’Atalanta ou Leipzig.
Avec l’ECA, il souhaiterait encore influencer l’UEFA afin de favoriser une meilleure répartition à la fois des dotations financières et des places en faveur des équipes historiques. Le tout afin de permettre, comme il le précise, de « satisfaire les fans » qui suivent de moins en moins de clubs, sont de plus en plus tournés vers les joueurs-stars et leurs comptes Instagram et ne se reconnaissent plus dans des effectifs d’inconnus.

Y a-t-il encore des fans en Europe ?

Un jeune désintéressé par le ballon et plus préoccupé par la vie extrasportive de son footballeur préféré, plus concerné par ses posts sur les réseaux sociaux que par ses performances sur le terrain : voilà la représentation que se fait Agnelli du fan de foot en 2021. Mais est-ce vraiment à cela qu’il ressemble ? Agnelli aime citer des chiffres et des résultats d’enquêtes pour appuyer ses propos, mais parlons-en de ces enquêtes. L’essentiel provient du rapport de l’ECA « Fan of the futur, defining modern football fandom » publié en fin d’année dernière, et qui a beaucoup fait parler.

À l’intérieur, on trouve une typologie du fan en Europe, entre le fan ultra, minoritaire, le fan occasionnel, qui suit d’abord le football par mimétisme familial ou pour les seuls grands événements type Coupe du monde, ou encore le fan parieur, qui s’intéresse aux résultats sportifs pour ses paris. Pire encore, d’après la courbe de l’intérêt sportif en fonction de l’âge, les jeunes de 14 à 24 ans ne semblent plus du tout attirés et préoccupés par le football, avec un intérêt en chute libre par rapport aux autres catégories d’âge. En d’autres termes, l’ECA voit un délitement de la passion footballistique, un retrait progressif du supporter et une montée du fan occasionnel, vieillissant. La solution ? La réforme du football, la création d’une Superligue ou d’une nouvelle Ligue des champions plus intensive et densifiée.

La Superligue : une mauvaise idée pour répondre à un mauvais constat ?

C’est simple. Quand on veut imposer quelque chose, il suffit simplement de commander une enquête et de lui faire dire ce qu’on a envie de lui faire dire. Parce qu’à regarder et étudier plus précisément le rapport de l’ECA, on est en droit de se poser quelques questions. Déjà, est-ce bien sérieux d’argumenter avec ses propres chiffres ? Un rapport de l’ECA allant dans le sens de l’ECA, ça n’est pas très objectif. Où sont les études et les enquêtes indépendantes qui démontrent un désintérêt de la jeunesse pour le football ? En fait, elles n’existent pas. Et surtout, est-ce qu’un rapport qui porte sur les réponses de 14 000 personnes, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne, en Pologne, aux Pays-Bas, en Inde et au Brésil (oui, c’est intéressant pour le football européen…), est véritablement représentatif de la situation de tout le continent ? Rien qu’en France, où le jeu vidéo FIFA reste, depuis plus de 15 ans, le bien culturel le mieux vendu dans le pays, où l’usage du streaming et de l’IPTV ont explosé, avec plus d’un million de connexions par mois selon HADOPI, où la croissance des paris sportifs a augmenté de manière exponentielle, peut-on vraiment affirmer que l’intérêt pour le football s’essouffle ?
N’irait-on pas, au contraire, précisément à l’encontre de la volonté et du désir réel du fan de foot, qui veut rêver devant des rencontres rares et excitantes, exceptionnelles et mythiques, et pousser, comme le souhaiterait Agnelli, vers une banalisation du gigantisme, vers une normalisation des affrontements européens ? Tout ça parce qu’on s’imagine que ça pourrait marcher. Alors qu’on n’en sait rien, tout Agnelli qu’on soit.

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