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Walid Acherchour, dans la cour d’écran

Par Maxime Brigand et Andrea Chazy

Il est, à 31 ans, le débatteur foot qui occupe le plus d’écrans chaque semaine. Mais comment Walid Acherchour en est-il arrivé là ? Pourquoi une telle ascension ? On a remonté le chemin.

Walid Acherchour, dans la cour d’écran

Il n’est plus assis au fond d’un siège, quelque part dans une tribune, mais il se tient là, debout et droit sur le gazon, à quelques pas à peine de la ligne médiane du stade Vélodrome, à Marseille. C’est une nuit d’été, un soir de prime time pour la Ligue 1. L’OM accueille le Stade de Reims et, à une petite trentaine de minutes du coup de feu, Walid Acherchour glisse sa main gauche au fond de la poche de son pantalon noir, plante ses yeux dans une caméra et tient fermement à l’aide de sa main droite un micro à bonnette. Pas n’importe laquelle : celle de DAZN, devenu au début du dernier été le diffuseur principal du championnat de France après un western interminable. Il est 20h17 quand Smaïl Bouabdellah, en couple avec un mic’ depuis une quinzaine d’années, le lance, lui, « la voix du peuple », et lui pose une question simple : « Tu vas bien ? » Les images ne mentent pas : Walid Acherchour a chaud, très chaud. Il peine à cacher une bonne dose de stress alors qu’à portée de vue, le journaliste Thomas Bonnavent a « les larmes aux yeux » de voir son pote dans une telle situation.

À cet instant, il se joue un beau bordel sous le crâne lisse du bonhomme, sur lequel il tente de mettre des mots quelques jours plus tard, lors d’un rendez-vous à Paris, dans le 7e arrondissement. « Je suis convaincu de tout ce que j’ai fait pour en arriver là. À 31 ans, j’ai cocréé un média ; je collabore encore aujourd’hui avec le Winamax FC qui marche très bien ; j’ai interviewé Zidane lors d’un événement Adidas, chez moi, à Saint-Denis, devant mon père ; je travaille pour l’émission dont je rêvais, L’After et, là, je me retrouve à commenter le gros match de Ligue 1, pour le diffuseur principal du championnat. Pourtant, à ce moment-là au Vél’, je me dis : “Mais qu’est-ce que je fous là ? Est-ce que je mérite tout ça ?” J’ai bossé, c’est vrai, mais c’est quand même gros, non ? » Gros, on ne sait pas. En revanche, c’est un fait : Walid Acherchour est devenu le type dont l’avis est écouté par des milliers de fans de foot et, de fait, un mec que pas mal de médias ont eu envie de poser quelque part sur leur plateau ces dernières années. Mais pourquoi ? Autour de lui, on parle d’un truc évident, de quelque chose de l’ordre du « destin ». Ce serait presque un raccourci.

« Je ne sais faire que ça de ma vie »

Si Walid Acherchour en est là aujourd’hui, c’est avant tout car il a réussi à créer ce que peu ont su se tailler avant lui : une patte. Il ne se passe même presque plus un jour sans que sur les réseaux sociaux, cette patte soit là, posée quelque part, au milieu du flux de posts. On la voit, on la lit, on l’entend. Si DAZN est venu draguer l’éditorialiste en envoyant Jamel Debbouze jouer l’intermédiaire, ce n’est d’ailleurs que pour elle. Contacté, Stefano Bernabino, le chargé du contenu éditorial chez DAZN France, dit : « DAZN n’est pas une chaîne de télé. C’est un player OTT digital natif au croisement de plusieurs écosystèmes dans lequel le foot est une expérience immersive, proche des fans. On veut casser certains codes bien installés. Pour ça, on a cherché un profil du monde du digital, qui a l’habitude d’échanger avec les jeunes. Walid, c’est un éditorialiste 2.0 : il a une connaissance extrême du foot tout en ayant le langage de quelqu’un qui regarde les matchs à la maison. »

Quand, à la 60e minute, le score est plié, qu’est-ce qui va te donner envie de rester regarder l’après-match ? Tu veux savoir ce que pense Walid Acherchour.

Johnny Séverin, rédacteur en chef de DAZN

Autre tête pensante du projet, le rédacteur en chef Johnny Séverin parle, lui, d’un profil qui doit « dépoussiérer la consommation du match en direct en apportant du relief dans les commentaires, de la punchline, de l’instantanéité, de l’émotion brute. Quelque chose de complémentaire avec une description emphatique que va parfois faire un commentateur et celle très dogmatique d’un consultant technique. Je trouve que ça manquait. Quand, à la 60e minute, le score est plié, qu’est-ce qui va te donner envie de rester regarder l’après-match ? Tu veux savoir ce que pense Walid Acherchour, comment il va rebondir aux propos de Luis Enrique, de De Zerbi… » 

Cette fois, l’affaire ne s’est pourtant pas faite sans petit remous, le débatteur ayant, durant l’été, critiqué à plusieurs reprises, notamment via un post sur son compte Twitter, l’offre d’abonnement du nouveau diffuseur avant de venir travailler pour lui, ce qui lui a valu d’être un brin secoué. Sur ce point, Walid se montre clair et net : au moment des négociations sur les droits télé, il était « dans son rôle », filant son point de vue sur un sujet comme il le fait à longueur de journée. « Je trouvais ça cher, et ils ne me l’ont jamais reproché. » Reste qu’au moment de recevoir l’offre de DAZN et après avoir pris l’avis de tout son entourage proche, l’éditorialiste 2.0 a aussi pris conscience qu’un tel rôle – celui de troisième commentateur sur les matchs, sans avoir été joueur ou entraîneur – est presque inédit dans l’histoire de la diffusion du sport à la télévision française. Et qu’il tenait là l’occasion de montrer qu’un type issu du digital pouvait très bien faire le job. « Ils m’ont dit : “Nous, on n’est pas la LFP. C’est ton rôle, tu dis ce que tu penses, il n’y a aucun problème.” Depuis, j’essaie de donner mon maximum et je respecte le fait qu’ils aient eu envie de faire bouger les lignes. Aucune autre chaîne n’aurait pensé à moi, et là, j’aurais dû dire non et terminer ma vie avec des regrets, alors que c’était mon rêve depuis tout petit de débriefer la Ligue 1 ? Non. Beaucoup de gens me disent de faire attention à ne pas être partout, à ne pas saouler les gens… C’est un risque, et j’en suis conscient, mais avec mon parcours, qu’est-ce que tu veux faire ? Je ne sais faire que ça de ma vie. » Une porte s’ouvre : il faut rembobiner l’histoire pour bien comprendre à qui on a affaire.

Fulgurances, Domino’s et Manuel Pellegrini

Retour au 28 janvier 1998, date de la sortie de terre officielle du Stade de France. Un peu plus de six mois avant le premier sacre mondial des Bleus, Boualem Acherchour conseille à son fils aîné de faire une petite sieste. Dans quelques heures, ils vont tous les deux assister à un historique France-Espagne dans le froid de Saint-Denis, à un kilomètre à peine du domicile familial. « Quand il a ouvert les yeux, un peu farceur, je lui ai dit : “Walid, je suis désolé, j’ai essayé plusieurs fois de te réveiller, mais le match est terminé…” Il était inconsolable », rejoue aujourd’hui le paternel. Passé cette blague du daron, Walid Acherchour, né en 1993 dans le 93, file voir Zizou inscrire le seul but d’une rencontre qui sera suivie d’un paquet d’autres grâce à un oncle bossant chez Coca-Cola. « On a fait des matchs du Mondial 1998, les qualifs pour l’Euro 2000, des finales de Coupe de France, pose-t-il. France-Algérie, on y est aussi, même si on ne comprend pas trop ce qu’il se passe à ce moment-là. » À chaque match, Boualem Acherchour va alors être frappé par les connaissances folles de son gamin, « qui savait même où jouait le remplaçant de la Bulgarie », mais aussi par son attention pour le jeu. Logiquement, il va, assez longtemps, jouer en club à Pierrefitte, au FCMA d’Aubervilliers avec Haris Belkebla, et même au PSG. Le papa sourit : « Il avait des fulgurances dans ce qu’il faisait, mais il pouvait s’éteindre pendant un match. Il n’aimait pas les exercices sans ballon, le foncier, les jongles. Il n’a pas passé le cap du grand terrain. »

Walid Acherchour en crampons, avec un certain Haris Belkebla.
Walid Acherchour en crampons, avec un certain Haris Belkebla.

Un élément ne bouge pas : l’ado, qui va obtenir un bac pro commerce au rattrapage avant « deux-trois ans passés à faire de la merde », ne s’épanouit qu’en matant du foot. Tableau de l’époque : « Je vis à Stains, je suis avec mes potes, c’est la galère, je ne suis pas épanoui. Je fais des petits boulots à droite, à gauche, chez Domino’s Pizza, chez Picard… Je n’ai pas de but, en fait, et quand je ne bosse pas, je regarde du foot et je débats. On fait ça toute la nuit : on parle de Messi, de Ronaldo, je mange du foot turc avec mes potes turcs, ça discute, c’est parfois violent, et il faut avoir le bon verbe, le bon argument, mais ça, c’est en moi. » À la maison, Acherchour senior cherche justement à ce que son fils utilise cette arme, qu’il la transforme en quelque chose de concret, que toutes ces heures cramées devant des matchs servent un objectif. Alors, quoi ? Agent ? Trop compliqué. Éducateur ? La flemme. Journaliste, peut-être ? « Impossible. Pour moi, à la base, c’est un métier d’élite, qui demande de faire Henri IV. »

J’étais le footix ultime. Je me ramenais en cours avec une grande parka de Manchester City, je ressemblais à Manuel Pellegrini…

Walid Acherchour

En 2012, deux hommes trônent au-dessus du game français de l’éditorialisme foot : Daniel Riolo d’un côté, Pierre Ménès de l’autre. Deux profils très éloignés du gamin de Seine Saint-Denis. « Sans rentrer dans du communautarisme primaire, il n’y a, à l’époque, pas de Noirs et d’Arabes, appuie Sofiane Zouaoui, pilier du Winamax FC. Même si tu peux t’identifier à des gens qui ne te ressemblent pas, et Walid l’a fait avec Daniel Riolo, c’est vrai que quand tu démarres dans un milieu où aucun mec ne te ressemble, tu ne sais pas exactement où aller. » Alors, Walid Acherchour va chercher des réponses. Au Studio École de France, d’abord, où il ne va rester qu’un an après avoir pris la tête de profs voulant lui faire parler des municipales quand lui ne souhaite que parler du pied droit de Santi Cazorla. « Ça ne matchait pas. J’étais le footix ultime. Je me ramenais en cours avec une grande parka de Manchester City, je ressemblais à Manuel Pellegrini… Puis à la toute fin de l’année, alors que j’avais sorti de ma poche les 6000 euros en bossant comme un chien, ils ont convoqué mon père. » Deuxième tentative : l’Institut européen du journalisme de Paris. Hormis un coup d’éclat lors d’un cours de journalisme digital avec Redwane Tehla, journaliste de France Inter, lors duquel il chope un 18 en brillant sur Periscope, contrairement à Serge Aurier, le constat est le même : Walid Acherchour est un type hors système, loin des cases.

Il va finalement trouver sa place ailleurs, dans les locaux d’une radio étudiante, Radio VL, avec d’autres dingues de foot. C’est là-bas qu’il rencontrera Daniel Riolo, un soir, lors d’une émission. « J’y suis allé, ça a duré une heure et j’ai remarqué Walid, remet le journaliste de RMC. Il était différent, au-dessus, et un an après, j’ai refait l’émission, où j’ai eu la même impression. Je me suis dit à l’époque : “Ok, il n’y a pas de place chez nous en ce moment, mais ce gars-là, je le surveille. Hors de question qu’il aille dans un grand média si ce n’est pas chez nous.” » Après avoir pensé un temps continuer de s’occuper d’un commerce de déstockage alimentaire à Saint-Denis, comme son père, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui, Walid va faire sauter un premier verrou en lançant fin 2017 un concept novateur : Le Club des 5.

Suroptimisation permanente 

C’est avec trois potes, Romain Beddouk, Samuel Vaslin et Bilal Achour-Tani, qu’il se jette à pieds joints dans cette nouvelle bataille. L’idée est simple sur le papier : tourner chaque jour une émission parlant des cinq grands championnats européens et la diffuser sur YouTube. « Un truc ambitieux, jamais fait, remet Samuel Vaslin. On suivait quasiment tout, il fallait bien que ça nous serve. Sauf que les trois premiers mois, on fait ça devant cinquante personnes en live alors qu’on bosse six soirs sur sept. Walid a même parfois dû dormir au studio pour qu’on puisse tourner le week-end ! » Romain Beddouk ajoute : « On débutait tous, on essayait de peser nos mots, d’approcher la chose avec un énorme professionnalisme par rapport à ce qu’on voyait ailleurs, et parmi tous, il y avait Walid, qui a tout défoncé avec son phrasé. Tu sens vite le mec bousillé, pas formaté, fou, qui retient tout, qui a une grande gueule et tous les codes de la jeunesse, mais qui, surtout, a d’énormes connaissances. Il casse tout de suite les codes, et après les émissions, ça continue. On va prendre un grec, on continue de débattre et on s’arrête juste parce que le mec qui tient le kebab nous dit : “Bon, les gars, je ferme.” »

La sauce finit par prendre au moment du Mondial 2018. En parallèle du CD5, Walid Acherchour cumule un job de surveillant au lycée Federico Garcia Lorca de Saint-Denis, où a été tournée La Vie scolaire. Un temps partiel qui lui permet de bouffer du micro dans tout Paris : 20h Foot sur CNews, Clásico sur France Info, puis Winamax où il va finir d’aiguiser son style monté aux influences raps. Comment ? En fouillant ce qui se fait sur les différents réseaux puis en assumant un humour qu’il a longtemps caché, s’estimant simplement « pas drôle ». Il ajuste : « Moins bien m’exprimer que les autres, au début, a été un complexe. J’ai demandé énormément de conseils et au fur et à mesure, j’ai compensé par de la sincérité, par mon naturel, et les gens se sont reconnus dans ce truc un peu à part. » Sofiane Zouaoui, qui le vanne volontiers sur le fait qu’il n’aurait « que 50 mots dans son dictionnaire », abonde : « Ce côté un peu brut, qui cherche ses mots, qui se trompe de mot aussi parfois, le phrasé qu’il peut avoir, je pense sincèrement que des mecs se reconnaissent aussi en lui. »

Ce qui plaît, aussi, c’est sa capacité à ne jamais jouer de rôle. Walid Acherchour, marié depuis 2022, vit par et pour la vie en bande, pour l’émulation collective et dit même : « Moi, j’ai besoin des autres. J’ai besoin de rebondir, d’interagir, de me nourrir des avis. D’ailleurs, les quelques trucs que j’ai essayé de faire tout seul, ça n’a jamais fonctionné. » Ce sosie de Jérôme Commandeur traîne surtout ce trait de caractère dans la vie. En discutant avec sa garde rapprochée, il est facile de compiler les anecdotes d’un mec qui a toujours préféré ramener quelqu’un chez lui en voiture pour continuer à causer ballon que de le voir prendre le dernier métro. Mieux, Walid a toujours essayé d’embarquer d’autres talents dans son sillage. Illustration avec Elton Mokolo, devenu lui aussi récurrent sur RMC et rencontré début 2018, avec qui Walid Acherchour partage ceci : « On se dit souvent qu’on ne vit pas de ce qu’il s’est passé, mais de ce qu’il va se passer, affirme Elton Mokolo. Vu qu’on ne maîtrise pas l’avenir, on n’a donc pas le choix : on bosse, on se remet en question, on fouille plus que les autres, et c’est ce qui a fait le secret de la réussite de nos projets. Si Walid a percé, c’est avant tout pour son avant-gardisme, sa capacité à sentir le coup d’après qui va marcher. Il ne vit pas de confort, il pense toujours à demain. »

Je pense qu’il a réussi à se faire porte-parole de la pensée la plus globale du foot et c’est marrant, car dans la vie, il ne sait pas vraiment se débrouiller.

Thomas Bonnavent, présentateur du Winamax FC

Ce flair est un autre point, au-delà d’une force de travail XXL, qui revient de la bouche de plusieurs témoins. « C’est lui qui nous a fait comprendre, chez Winamax, que pour être visible sur le digital, on devait capitaliser sur le côté bande de potes, détaille Thomas Bonnavent. Ensuite, passer toutes nos journées ensemble a fait qu’on a créé des tics de langage, des axes de débat, des personnages… Et ça a marché, car les gens se sont attachés, notamment au sien, et veulent aujourd’hui l’écouter. Que tu sois d’accord ou pas, tu vas cliquer pour savoir ce qu’il a dit sur un sujet X ou Y. Je pense qu’il a réussi à se faire porte-parole de la pensée la plus globale du foot, et c’est marrant, car dans la vie, il ne sait pas vraiment se débrouiller. Il est vraiment en suroptimisation permanente de son talent. »

Ainsi, il n’est pas rare que Thomas Bonnavent reçoive un appel de son pote pour qu’il lui apprenne à faire une quiche ou à allumer un barbecue. Sofiane Zouaoui : « Un truc qui résume bien cette incapacité à se débrouiller, c’est aussi sa gestion administrative, qui est totalement éclatée. Là-dessus, c’est un mec de 13 ans. À nos débuts chez Winamax, il est venu un jour et m’a dit : “Gros, j’ai un énorme problème. Je viens de recevoir un courrier du Trésor public.” Il avait des amendes impayées depuis 2008, la facture s’élevait à 17 000 euros parce qu’il avait tout laissé traîner, qu’il n’avait pas d’argent… Il suffit aussi de regarder ses voitures pour comprendre : il en a eu une avec la portière éclatée, une autre avec un trou en forme de balle comme si on avait tiré juste à côté de son réservoir… » Tout ça fait aussi le sel du personnage, grand enfant, que Thomas Bonnavent résume ainsi : « En fait, tout dans sa matrice est un sujet à jeux. Il se passionne vite et on l’a vu, par exemple, quand il s’est mis au padel qu’il a souvent pratiqué avec Mathieu Bodmer. Ne pas faire un truc à fond, ce n’est pas possible pour lui. C’est comme s’il était dans une grande cour de récré, qu’il utilisait tous les jouets à disposition avec son côté excessif. »

Reste qu’en l’espace de quatre ans, grâce à tout cet ensemble, le bonhomme a changé de cadre, forçant même, parfois, les médias traditionnels à reformater leur logiciel. Un temps dans le système médiatique avant d’en sortir pour occuper, avec succès, le rôle de directeur sportif du Havre, Bodmer, très proche de Walid Acherchour après avoir été un suiveur attentif du Club des 5, souligne la preuve par l’exemple que « tout le monde peut faire carrière sans être connu à la base. Je suis peut-être le moins bien placé pour en parler parce que je suis un ancien joueur, mais je trouve ça sain. C’est le travail qui finit par payer, la passion. Tant que l’avis est constructif, qu’il est travaillé, ça doit fonctionner, et Walid a la qualité de poser beaucoup de questions là où, dans le foot, on n’en pose peu, souvent par ego ou parce qu’on n’ose pas dire qu’on ne connaît pas la réponse. »

Le déclic Nasri

Comme dans pas mal de success story, le point de bascule de cette histoire est arrivé au moment où on s’y attendait le moins : au beau milieu du Covid. Bloqué chez ses parents, loin de ses potes, des émissions et des plateaux, Walid Acherchour aurait pu sortir un peu des radars. Évidemment, ça n’a pas été le cas. Le journaliste rap Mehdi Maïzi lui conseille alors de faire des lives sur Instagram le soir pour faire vivre sa communauté, alors il s’y met. Petit à petit, les centaines de spectateurs qui squattent ses lives deviennent des milliers, attirés par le « ton Acherchour », mais aussi son humour, soit par le bouche-à-oreille ou via des extraits publiés sur Twitter.

Une idée émerge dans le crâne de Walid : et si c’était le moment de tenter d’inviter, le temps d’un live, Samir Nasri, son joueur préféré, comme venait de le faire Bertrand Latour ? « Je savais qu’il avait entendu parler de moi, donc je lui envoie un message. Pas de réponse… La dernière semaine du confinement, comme mon petit frère avait mon compte Instagram sur sa montre connectée, il me réveille vers 14-15h, l’heure à laquelle on se levait à cette époque-là, et il voit que Nasri a répondu : “Ouais pourquoi pas.” J’ai travaillé pendant une semaine, fait un teaser pour l’annoncer le dimanche, tout le monde dit que c’est extraordinaire et finalement, à 17h, il me dit qu’il a une galère avec son fils. Je n’en ai pas dormi. Il m’a pourtant rassuré en me disant qu’on allait le faire le lendemain. Le lundi, quand je lance le live et que je ne le vois pas pendant dix minutes alors qu’il y a 5000 personnes qui attendent… Ma légitimité était en jeu : si j’annonce Nasri et qu’il n’est pas là, je suis mort. Puis là, je vois qu’il arrive enfin. Toute la pression redescend. On a fait un live de deux heures, partagé par tout le monde. Là, j’ai senti qu’un autre step était passé : Walid, ce n’était plus juste le mec qui parle fort et qui critique. »

« Je veux rester ce mec »

Trois ans plus tard, force est de constater que le coup est retentissant : Walid Acherchour est sur les écrans des fans de Ligue 1, dans les oreilles des chauffeurs de taxi, sur les écrans des millenials sur YouTube et même sur certains panneaux publicitaires visibles depuis le périph parisien. Chauffeur de taxi depuis près de 40 ans, bien qu’il n’écoute pas L’After, son père le constate aussi dans la vie réelle : « C’est marrant parce que ça arrive dans un café qu’un mec me reconnaisse et me dise : “Hey, tu diras à Walid de ne pas parler comme ça du PSG” ou “Wallah c’est pas bien comment il a parlé de l’Algérie”. Moi, ça m’amuse. » Cette omniprésence a cependant un coût : ne jamais déconnecter. Vraiment jamais. « Il n’y a qu’à son mariage où il n’a pas parlé foot. Quoique, encore… », rigole Thomas Bonnavent. La suite est racontée par l’intéressé : « C’est vrai que le soir de mon mariage, Mathieu Bodmer, qui était invité, commentait un match à Auxerre pour Prime Video et est arrivé après, sur les coups de deux heures du matin. Bon, oui, on a fini le mariage à parler de foot… » Aujourd’hui encore, Walid Acherchour mange du foot comme un boulimique, jusqu’à frôler l’overdose, sans prendre la moindre note. Sa consommation a cependant évolué avec le temps, ces dernières années l’ayant vu davantage prendre la route des stades, notamment sur les conseils d’un Stéphane Guy lui ayant glissé un jour qu’« un match au stade en vaut quatre à la télé ».

Son programme hebdomadaire a aussi gonflé, au point d’atteindre aujourd’hui un rythme de plus d’une prise d’antenne par jour entre Winamax, RMC, le Club des 5 – qui publie aujourd’hui des entretiens en longueur et non plus des quotidiennes – et DAZN, donc. À ce total, il faut ajouter une heure, chaque jour, avant de s’endormir, en tête à tête avec TikTok. Il le concède : « Une fois par mois, c’est dur. Y a un moment où j’ai une barre dans la tête, où je suis épuisé. Et le lendemain, je me lève à 10h et je me dis : “Oh, t’es en train de faire quoi là ?” et je m’y remets. » Vous l’aurez compris : pour ses proches non plus, la vie n’est pas toujours rose. « Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir une femme formidable qui sait ce dans quoi elle s’est embarquée, et qui, depuis quatre ans, a vu tout ce par quoi je suis passé. Elle m’a accompagné, c’est elle qui m’a permis d’avoir tout ça, cet équilibre. Elle fait des concessions, car elle sait que tout peut s’arrêter. Demain, il y a un nouveau patron à RMC, Winamax arrête la télé, c’est terminé. On retrouvera un truc normal. Maintenant, je dis souvent que si je n’ai pas ma femme, peut-être que je pète les plombs. » Cela aurait déjà pu arriver par le passé, comme lorsqu’il y a quelques années, il a été victime d’accusations de racisme pour ne pas avoir pris parti pour Édouard Mendy, alors en course avec Gianluigi Donnarumma pour le titre de meilleur gardien de l’année 2021. « Pendant deux jours, il n’a plus parlé, se remémore Thomas Bonnavent. Derrière, il a fait un recul frein sur les avis tranchés et c’est revenu naturellement. Mais ce jour-là, il a compris que sa parole avait une portée énorme. »

Le voilà donc à 31 ans où il rêvait d’être : face à un micro, à parler de foot. Ce qu’il avait promis à ses potes d’enfance, qu’il retourne voir pour mater un match dans une chicha supplément verre de thé, s’est réalisé. « C’est ça, la vraie vie. Je sais que c’est être avec mes potes de toujours, qui me disent les choses, sans ego. Je veux rester ce mec et j’estime ne pas avoir trop changé. Il fallait juste rester persuadé tout au long que c’était le bon chemin. » Son crew le jure : Walid Acherchour ne sera jamais aussi heureux qu’autour d’une table, avec un Coca, à parler de foot pendant des heures. Rien de plus. Comme un gosse capable de craquer devant Fred Verdier, le commentateur de tennis, qui a sorti un jour son commentaire favori – « Il l’a fait ce dingue, ce siphonné de Gaël Monfils » –, de filmer un match intégral de son pote Thomas Bonnavent pour le troller sur Instagram ou d’emmener sa femme au stade Bauer, pour un Red Star-Ajaccio, un lundi, sur son seul soir de repos de la semaine. « Ça restera toujours un mec curieux, sourit Daniel Riolo. L’autre soir, Polo Breitner disait à l’antenne qu’il avait lancé une semaine Alain Delon sur Twitter et on se met à parler de deux ou trois films ensemble. Visiblement, Walid n’avait jamais entendu parler d’Alain Delon. Un grand mystère. Mais du coup, il a demandé : “Ok, par quoi vous commenceriez si je dois m’y mettre ?” On était sciés, mais on lui a conseillé un film. C’est aussi ça, Walid : toujours le bon esprit, la bonne humeur. » Et un petit peu plus qu’un destin qui aurait été simplement tracé. Plutôt celui d’un défonceur de barrières, qui a trouvé dans un grand bain médiatique où il pensait ne jamais avoir le droit de nager un jour un géant espace de liberté.

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Par Maxime Brigand et Andrea Chazy

Tous propos recueillis par MB et AC. Photo de couverture : Renaud Bouchez pour So Foot.

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