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Mikaël Hanouna, l’homme qui a eu la peau des Chamois niortais
Tristesse générale : les Chamois niortais, rétrogradés en Régional 3 l’été dernier, ont probablement disputé le dernier match de leur histoire ce week-end à René-Gaillard (défaite 3-0), avant la liquidation de l’association attendue le 8 avril, à l’aube du centenaire du club. Sur place, tout le monde cible le même coupable : le directeur général Mikaël Hanouna. Un drôle d’oiseau, dont So Foot avait dressé le portait cet automne.

→ Cet article a été publié dans le numéro 221 de So Foot, paru en kiosques en novembre 2024
Personne n’avait de nouvelles de lui depuis juillet. Puis au mois de septembre, son nom est apparu dans la base de données mondiale du poker. Celle-ci révèle le passage de Mikaël Hanouna dans un casino tchèque, et au Liechtenstein, pour un bilan de quatre tournois et 4620 euros de gains. Avant cela, les dernières apparitions du directeur général du Chamois niortais FC remontaient à la fin de saison dernière, terminée à un point d’une remontée en Ligue 2 pour les Bleu et Blanc, et à un passage raté devant la DNCG. « L’autre Hanouna » devait y justifier un trou de plus de 3,2 millions dans les caisses du club. Malgré la présentation, en appel, d’un projet de reprise porté par l’agent Rochild Dzabana, le club se voyait exclu de toute division nationale. À la fin de l’été, il apprenait sa liquidation judiciaire, avec une chute de huit étages à la clé, direction l’enfer du Régional 3 de la ligue de Nouvelle-Aquitaine, le tout à quelques mois de son centenaire (1925-2025).
Cible de toutes les critiques de la part des supporters des Chamois, celui qui vit désormais en Israël a enfin fini par décrocher son téléphone en octobre dernier. Essentiellement pour se défendre des attaques et raconter « la vraie histoire des Chamois niortais, sans les fantasmes » des locaux. « Parce que la majorité, soit ils mentent, soit ils racontent n’importe quoi… » Curieux personnage, ce Mikaël Hanouna. Un homme capable de disparaître pendant plusieurs mois, mais aussi d’envoyer des messages en rafale à 23 heures pour balancer « du lourd » sur l’un de ses détracteurs, ou de demander « comment ça va, toi, avec les meufs ? » en se grillant une clope accoudé à la rambarde du vétuste stade René-Gaillard.
Qu’elle fait mal au cœur cette photo…🖤Dernière image à René-Gaillard sous l’appellation @ChamoisNiortais avec ce maillot, ces couleurs. Le club s’apprête à disparaître le 8 avril avant de revivre, on l’espère, sous une nouvelle forme. Et les fautifs dorment tranquilles.📸: NR pic.twitter.com/aK4rZg6qa8
— Manu Roux (@ManuRouxJO) March 30, 2025
Entre Hanouna et les Chamois niortais, tout a commencé par un communiqué émis par le club, le 30 octobre 2017. « Mikaël est un ancien agent, dirigeant ou encore manager général, passé dans différents clubs amateurs et professionnels, en France et au Royaume-Uni notamment. » Difficile d’être plus imprécis. Difficile, aussi, de comprendre en quoi son profil était plus séduisant que celui de Jérôme Bonnissel, l’ancien responsable du recrutement des Girondins de Bordeaux, venu passer un entretien dans la capitale française des compagnies d’assurance, mais jamais rappelé par Karim Fradin, à l’époque président des Chamois. « À partir du moment où tu n’arrives pas à attirer des gros CV, tu donnes une chance à quelqu’un qui a l’air de connaître le football », tente aujourd’hui ce dernier. Un « pari » raté comme seul le football français en est capable.
Le service Civic et les stades pourris
Au départ, l’histoire est belle, comme toujours. Celle d’un mordu de football, né à Casablanca en 1967, débarqué à Montpellier à 9 ans, qui passe sa vie entre les terrains amateurs héraultais et la concession Honda de ses parents. À force de squatter les entraînements du MHSC, Hanouna se lie d’amitié avec Didier Agathe, un attaquant de la Paillade au genou récalcitrant. « À la fin des années 1990, je souhaitais quitter Montpellier, et Mika voulait devenir agent, rejoue le Réunionnais. On est un peu partis au hasard. On a jeté une pièce sur une carte et elle est tombée sur l’Angleterre… C’est véridique. » À l’été 1999, les deux hommes grimpent donc dans la Honda Civic de Mikaël Hanouna, traversent le tunnel sous la Manche et passent une première nuit à se les geler dans la voiture. Il n’y en aura pas deux puisque le joueur appelle alors à la rescousse celui qu’il considère comme un grand frère depuis qu’ils se sont croisés au centre de formation de Montpellier : Laurent D’Jaffo. Ce dernier joue à Bury et s’apprête à signer à Stockport County, en First Division, le Championship de l’époque.
L’attaquant franco-béninois, passé par Niort et le Red Star, accepte d’héberger le duo pendant plusieurs jours. En bonus, il leur arrange même un essai dans son nouveau club. Agathe valide toutes les étapes, sauf celle de la visite médicale. Après quelques jours d’errance dans un hôtel de Wigan, les deux pieds nickelés montpelliérains entrent en contact avec Willie McKay. L’intermédiaire écossais, organisateur du vol fatal d’Emiliano Sala, dirige leur Honda Civic vers son pays natal et la ville de Kirkcaldy, ses 49 000 âmes, sa plage et ses Raith Rovers, pour lesquels Agathe inscrit un triplé dès son premier match. Quatre nouveaux buts plus tard, le Réunionnais attire enfin les convoitises. « Et là, ça s’est un peu mal passé avec Mika, confie l’attaquant. Il m’avait dit qu’il avait beaucoup de clubs intéressés, mais arrivé en fin de saison, je ne voyais rien venir. J’avais galéré, j’avais reculé pour mieux sauter, mais je me retrouvais sans rien… » Agathe laisse son pote sur le bas-côté, troque la deuxième division pour le Hibernian FC avant de finalement stationner pendant six ans au Celtic.
En bon joueur de poker, Hanouna tente de se refaire avec Romain Larrieu, un autre produit du centre de formation du MHSC, coincé en D2 sur le banc de l’ASOA Valence. « J’étais assis dans la demi-tribune, et ce gars, que je ne connaissais pas, m’a dit : “Tu vas passer ta carrière à regarder des matchs de deuxième division dans des stades pourris ou tu veux jouer ?” », se souvient Larrieu. Quelques semaines plus tard, le portier découvre à son tour le siège passager de la Honda Civic. Au programme, beaucoup de kilomètres pour rien jusqu’à ce contrat signé avec Plymouth, en quatrième division anglaise. « C’est un coup de cul terrible pour moi d’avoir rencontré Mika, remercie encore Larrieu, 318 matchs et deux montées avec les Pilgrims. Même quand la porte était fermée, il passait par derrière… »
La personnalité de Mikaël, sa façon de faire, de parler… Il ne respectait pas les joueurs et parlait mal dans leur dos. Ça me rendait dingue !
Le pied-de-biche entretient le filon et fait faire le même chemin à David Friio, le futur patron du recrutement de Sainté, de l’OM et de l’OL. À la fin de la saison 2003-2004, il offre même ses services au SCO d’Angers où restent à son actif un stage estival organisé en Écosse, une dizaine de joueurs mis à l’essai, et… c’est à peu près tout. « On ne le prenait pas au sérieux », dézingue Noël Tosi, l’entraîneur de l’époque. Le président Patrick Norbert, lui, tient à affirmer « de la manière la plus ferme qui soit que Mikaël Hanouna n’a jamais été salarié au SCO ». « Mika » s’est-il grillé ? Tout le laisse à penser. À l’été 2004, il délaisse en tout cas le football pour se marier et fonder une famille en Israël où il aurait tenu un glacier pendant des années. Une reconversion que l’intéressé préfère laisser dans « le domaine de la vie privée ». Hanouna préfère qu’on le définisse comme un « ancien agent, dirigeant ou encore manager général ». C’est en réalité un phénix, car malgré une absence longue de treize ans dans le milieu du foot, Karim Fradin – ex-coéquipier de Laurent D’Jaffo à Stockport – lui confie l’opération survie des Chamois niortais en Ligue 2.
Le tacos de la discorde
Une opération qui, vétusté des installations niortaises et football moderne obligent, repose en grande partie sur la capacité à flairer les bons coups sur le marché des transferts. « Chaque saison, le million d’euros qu’on ne pouvait pas faire en loges, en billetterie ou en événements, on allait le chercher sur le trading de joueurs », concède Fradin. À l’époque, Hanouna est chargé de rajeunir l’effectif et de se séparer des plus gros salaires du club. Un sale boulot qu’il prend plutôt à cœur. « Nos premiers échanges ne se passent pas bien, souffle Denis Renaud, entraîneur des Chamois de 2016 à début 2018. C’est une question d’éducation. Sa personnalité, sa façon de faire, de parler… Il ne respectait pas les joueurs et parlait mal dans leur dos. Ça me rendait dingue ! » Lui et les autres racontent un groupe qui se fracture en deux, les jeunes d’un côté, les plus chevronnés de l’autre. Une bagarre de statut dans laquelle brille notamment Didier Lamkel Ze, le joueur le plus coté du club. À ce titre, il bénéficie donc d’un régime spécial. Au point de se faire livrer un tacos lors d’un repas collectif d’avant-match. « S’il a envie d’en manger, il a le droit, s’agace Hanouna. C’est une polémique inutile. Il aurait pu manger des rats s’il le voulait, j’en ai rien à foutre, c’est pas mon problème ! Quand il est parti (au Royal Antwerp, NDLR), il a rapporté 1,2 million. Quel joueur des Chamois peut en dire autant ? »
Malgré son management peu orthodoxe, Niort réalise son meilleur début de saison depuis 1998 en relançant notamment des espoirs déchus tels que l’ancien Lyonnais Olivier Kemen ou l’ex-Marseillais Bilal Boutobba. « On a inventé des joueurs en permanence », se félicite le recruteur-trader. Hélas, l’embellie ne dure pas. Le coach Patrice Lair, excédé par « le manque de respect » et une gestion « selon l’humeur de Mikaël Hanouna », claque la porte en décembre 2018, à trois jours d’un match à Lorient. « C’était lui ou moi », grince l’ancien coach de Châteauroux. Le début des emmerdes pour les Chamois, qui doivent disputent des barrages pour sauver leur peau en Ligue 2. C’est le moment choisi par le joueur de poker pour disparaître une première fois du club. Officiellement, il est « en mission de recrutement ». Fradin explique aujourd’hui l’avoir mis au placard et songé à une procédure de licenciement, quand Hanouna dit s’être éloigné de lui-même, « exaspéré » par les décisions du président.
Il nous appelait toujours “mon bébé”. Avec une collègue, on se débrouillait pour partir ensemble…
Miracle des ressources humaines, il réapparaît dans le trombinoscope du club en tant que directeur général, à la fin de l’été 2020. Son frère Eytan, un ancien avocat d’affaires parisien, est entre-temps devenu actionnaire majoritaire du club en s’offrant les parts de Karim Fradin, le 7 août 2020, par le truchement de sa société Yael Investissement, après avoir déjà investi 280 000 euros pour entrer au capital. Ces opérations financières font l’objet de plusieurs procédures au tribunal de commerce de Paris et convainquent la DNCG d’exclure dès septembre 2020 les Chamois de la Coupe de France, en plus de les condamner à une amende de 250 000 euros pour « non-respect de la procédure de contrôle avant concrétisation du changement d’actionnaire de référence ». Une première dans le football français. « Le vrai sujet, c’est que font les autorités footballistiques ?, interroge Jérôme Baloge, maire de droite de Niort et opposant farouche des Hanouna. En matière culturelle, par exemple, il y a une présence du ministère, des audits pour s’assurer que tout va bien. Dans le foot, n’importe qui peut acheter n’importe quoi avec de l’argent dont on ne sait pas d’où il vient. »
Anxiolytiques, bombe lacrymo et factures impayées
Comme son homonyme de C8, « Mika » ne laisse personne indifférent. Au club, bon nombre de salariés voient carrément son retour d’un mauvais œil. « J’angoissais de voir son nom s’afficher sur mon téléphone, confie Romain Lechat, alors chargé de communication des Chamois. Il m’appelait tous les jours, parfois le soir ou le dimanche, afin de récupérer les codes du club pour regarder la Ligue 1. » Sous anxiolytiques, l’employé part au terme de son CDD fin 2020, éprouvé par les caprices de son patron, capable d’une idée géniale à 10 heures, puis de tout annuler à midi. « Il me rendait fou », résume le jeune homme. Il n’est pas le seul. Comme lui, trois autres salariés des services administratifs quittent le navire. Seulement deux arrivent en compensation. « Pendant ce temps-là, moi, j’attendais la rupture conventionnelle qu’il m’avait promise, se rappelle Carole*, une autre employée, qui a décidé de s’en aller dès qu’elle a revu la Toyota Yaris marron de son N+1 sur le parking du stade. Et ça a duré un an… »
Gérer un club, c’est un truc que j’ai toujours rêvé de faire dans ma vie. Mon erreur, c’est de l’avoir fait à Niort.
Douze longs mois pendant lesquels elle explique elle aussi avoir subi les lubies du DG, qui lui demandait tantôt de travailler en face de lui dans son bureau personnel, tantôt sur une table haute aussi large que son ordinateur. Le tout dans une atmosphère pesante. Des anciens salariés évoquent même des blagues lourdes et des gestes déplacés d’Hanouna à l’encontre des femmes. « Il nous appelait toujours “mon bébé”, frissonne Carole. Avec une collègue, on se débrouillait pour partir ensemble… » Un jour où elle devait monter dans la voiture du patron, la jeune femme se souvient avoir caché une bombe lacrymogène dans son sac, « au cas où… » Hanouna balaie toutes ces accusations d’un revers de la main : « Ce sont des procès de mauvaise intention, se défend-il. S’ils ne sont pas allés porter plainte, c’est que je ne les ai pas harcelés. »
De jeunes joueurs en larmes qui disent adieu à leur public. Un club centenaire qui disparaît. Des images terribles... Les @ChamoisNiortais c'est fini.https://t.co/nzvloTGr4i
— SO FOOT (@sofoot) March 30, 2025
Et le foot dans tout ça ? À défaut de faire parler d’eux sur le terrain, les Chamois deviennent des habitués des citations aux prudhommes, la plupart du temps pour licenciement abusif. S’ils obtiennent gain de cause face à leur ex-coach Patrice Lair, ils sont condamnés contre Fabrice Fontaine, préparateur physique historique du club, mais également contre l’ex-entraîneur Denis Renaud – « dégoûté du football moderne » – et son adjoint Stéphane Figureau. L’enveloppe des indemnités dues atteint ainsi plus de 670 000 euros. « Renaud et son adjoint ont été licenciés un mois après avoir été renouvelés, râle Hanouna. Ça tue. C’est un moment très important dans l’histoire du club. » D’autant plus important que la recherche du « petit million » annuel pour faire tourner la boutique se complexifie. La grave blessure au genou d’Ibrahim Sissoko – 15 buts en 25 matchs avant l’arrêt des championnats –, le covid, le crash de Mediapro et la chute des droits TV qui en découlent viennent s’ajouter aux condamnations judiciaires.
Pour remédier à ce manque à gagner, le DG, en froid avec les partenaires locaux, ferment les robinets les uns après les autres : arrêt des U19 nationaux, fin de la section foot-fauteuil, puis de l’équipe féminine. Au terme d’un exercice 2022-2023 catastrophique, qui a vu cinq entraîneurs se succéder et le club descendre en National, c’est finalement au tour du centre de formation de fermer ses portes. De quoi alarmer pour de bon les fournisseurs qui, dès lors, multiplient les relances pour factures impayées. « Mikaël Hanouna répondait à chaque mail dans le quart d’heure, il avait toujours le bon mot pour vous faire patienter, grogne Laurent Ferdonnet, ostéopathe et porte-parole d’un collectif de créanciers, qui n’a pas vu un centime sur la saison 2023-2024. Pour moi, c’était calculé… » Eytan Hanouna abandonne finalement le navire le 19 février 2024. Son frère, déjà physiquement absent depuis de longs mois, est rentré en Israël auprès d’une famille ébranlée par la guerre. L’ère Hanouna, qui promettait « d’embarquer vers la L1 », se termine donc sur une liquidation judiciaire, qui devrait être prononcée par le tribunal de commerce la semaine prochaine, le 8 avril. « Gérer un club, c’est un truc que j’ai toujours rêvé de faire dans ma vie, réécrit le joueur de poker. Mon erreur, c’est de l’avoir fait à Niort. » Bonne nouvelle pour les Chamois : après deux ans à l’OL et quatre au Stade rennais, il semblerait que Jérôme Bonnissel soit à nouveau dispo.
Niort a disputé le dernier match à domicile de son histoire, une semaine avant la liquidation judiciairePar Elliott Bureau, à Niort, avec Nicolas Taiana
* Le prénom a été modifié
Tous propos recueillis par EB et NT