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Port du voile en compétition : on était au match des Hijabeuses à Paris

Par Jérémie Baron, à Paris
Port du voile en compétition : on était au match des Hijabeuses à Paris

Après avoir essuyé un arrêté préfectoral le 9 février puis être devenu ces dernières semaines un vrai sujet dans le débat public, les Hijabeuses - collectif se battant pour le droit de jouer voilée en compétition sportive - se rassemblaient de nouveau, ce jeudi, quelques heures après une victoire notable à l'Assemblée nationale. On y était, et l'heure était à la célébration.

Dans les gradins du gymnase Didot, au cœur du 14e arrondissement de la capitale, Founé Diawara est tout sourire : « On est là pour célébrer notre avancée, avec tout ce qui s’est passé. Aujourd’hui, ce 24 février, c’est le dernier jour de discussion de la loi, et elle a officiellement été votée sans l’amendement qui concerne le port de signes religieux. Donc c’est une victoire pour nous. On était quasiment sûres de cette victoire, puisque l’Assemblée nationale avait supprimé cet amendement. Le vote a eu lieu il y a deux heures, j’étais en voiture quand je l’ai appris : l’amendement ne passera pas. » Par ce « on », l’étudiante à Sciences Po désigne les Hijabeuses, collectif créé en mai 2020 au sein de l’association Alliance citoyenne, et dont elle est la fière présidente. Ce jeudi soir, elle et ses camarades célèbrent l’adoption, par l’Assemblée nationale, de la loi visant à démocratiser le sport en France sans l’amendement sur l’interdiction du port du voile, qui avait lui été introduit par les sénateurs.

Match devant le Sénat et cacophonie au gouvernement

Depuis de nombreux mois maintenant, les Hijabeuses, jeunes femmes musulmanes, se battent pour le droit de pratiquer le sport en compétition, et spécifiquement le football, en portant le hijab, chose que la FFF refuse catégoriquement, malgré l’accord de la FIFA depuis 2014 sur cette question. Ces dernières semaines, le syndicat a multiplié les actions. Cela a commencé par l’interpellation du Conseil d’État pour mettre fin aux « lois excluantes de la Fédération française de football », en novembre. Puis, alors que la question était débattue par les sénateurs et députés, les Hijabeuses ont organisé un rassemblement et même un match dans le jardin du Luxembourg, devant le Sénat, le 25 janvier. Cela devait se poursuivre le 9 février sur l’esplanade des Invalides, à deux pas de l’Assemblée, mais la préfecture de police de Paris avait signé un arrêté « d’interdiction d’une manifestation susceptible de créer des troubles à l’ordre public »… Le tribunal donnera finalement raison aux Hijabeuses, mais trop tard pour maintenir l’évènement. Le vrai match retour, donc, a lieu cette semaine et en salle, avec « musique, bonne ambiance, pour célébrer, manger et partager ». Et du beau monde, puisque plusieurs signataires de la tribune publiée dans Libération sont de la partie, dont un Vikash Dhorasoo peu bavard, qui passe une tête à l’heure du goûter.

Car oui : en ce mois de février, le débat a un peu dépassé ce petit collectif et s’est notamment retrouvé dans la bouche du monde politique, ce qui n’a pas manqué de provoquer une belle cacophonie au sein du gouvernement. Mais aussi du soutien d’un peu partout. « Ce soutien-là, on a réussi à le capitaliser avec cette vague autour de l’amendement, développe Founé. On a commencé à beaucoup parler des Hijabeuses, du voile dans le sport. À la base, on a saisi le Conseil d’État contre la FFF, ça a été très discret. Mais à partir de là, la droite a essayé de répliquer et de faire passer en force cet amendement. C’est là que tout le buzz a commencé. Ça a amené toute une vague de soutien, on ne s’y attendait pas forcément. On a quand même travaillé pour avoir ça, on a fait une pétition, on a démarché les gens, on a fait des phoning, on a contacté tous ces soutiens pour la plupart. On est heureuses qu’ils soient réceptifs. On ne s’attendait pas à une telle ampleur. »

On a entendu islam politique, séparatisme, communautarisme, mais qui sont les séparatistes ? Nous sommes des femmes avec différentes manières de penser, qui ont différentes cultures et pourtant on rassemble.

Ce jeudi, comme une semaine auparavant à Lyon, des actions de soutien aux Hijabeuses sont même menées en parallèle à Grenoble et Lyon. « On voit beaucoup de points communs et une certaine synergie entre toutes les discriminations que les femmes musulmanes qui portent le voile peuvent vivre. Donc elles ont décidé de faire des actions un peu partout. » À Paris, plusieurs associations alliées sont présentes, dont Les Dégommeuses – équipe de foot majoritairement composée de lesbiennes et personnes trans. Dans un gymnase qui a fait le plein (une bonne centaine de personnes, voilées ou non, se sont inscrites à l’évènement et répondent présent) et entre deux prises de parole, trois rencontres amicales version futsal sont prévues pour les Hijabeuses qui s’inclinent en ouverture face aux jeunes du CA Paris 14, mais sauvent l’honneur en fin de partie. Bintou, 22 ans, est venue du Val-d’Oise et fête sa première cape sous le maillot rouge du collectif : « C’est la première fois que je participe à un des matchs, explique-t-elle. Je suis la campagne à travers WhatsApp. J’ai fait du foot en club pendant un an à l’AFC d’Argenteuil, mais j’en fais toujours au city-stade, entre amis. Durant les entraînements, j’étais voilée. En match, il est arrivé une fois qu’on nous demande pendant un match de retirer le voile. À ce moment-là, je n’étais pas voilée, mais je portais le turban, donc j’ai dû le retirer, je n’avais pas le choix. Depuis que je suis voilée, je ne suis jamais allée sur un terrain, donc je n’ai pas été confrontée à ça. Avec cette campagne, j’ai espoir à 100% qu’on va y arriver et qu’on pourra un jour jouer sur les terrains avec notre voile. »

« Nous sommes les Hijabeuses, et nous avons gagné »

« Notre cause a été instrumentalisée de tous les côtés, reprend Founé, cette fois au micro face aux tribunes. Depuis un an et demi, nous nous sommes rassemblées et nous nous battons pour faire changer les règlements, et tout à coup, les Sénateurs décident d’accaparer notre combat et d’en faire l’étendard de leur vision de l’islam. On a entendu islam politique, séparatisme, communautarisme, mais qui sont les séparatistes ? Nous sommes des femmes avec différentes manières de penser, qui ont différentes cultures et pourtant on rassemble et on continue de rassembler. Ce pays marginalise des milliers de femmes. Il n’y a pas de chiffre. Donc comment on sait combien de femmes sont exclues ? Comment on met des mots dessus ? L’accès au sport, c’est un droit fondamental. On savait dans quoi on s’embarquait, on savait qu’on s’attaquait à un gros poisson. Maintenant, avec l’amendement supprimé, on se rend compte qu’on est fortes et qu’on a le pouvoir de changer les choses. Peut-être que les rapports de force ne sont pas en notre faveur, mais la force du nombre a gagné. » Après les applaudissements et les « Nous sommes les Hijabeuses, et nous avons gagné », l’équipe de Founé et Bintou affronte une équipe de volontaires descendus des tribunes : succès 3-0 et enflammade à chaque tremblement de filets.

Georgi Joseph en pleine action

Pour la troisième et dernière joute, c’est face à différentes personnalités que les Hijabeuses font face. Crise diplomatique oblige en ce jour d’envahissement de l’Ukraine par les troupes russes, les quelques députés et élus eux aussi prévus dans la liste des invités n’ont pas pu se rendre disponibles. Côté sportifs, le basketteur Georgi Joseph (Tours Métropole Basket), 39 ans, a fait le déplacement pour « supporter les filles », dont la cause lui est parvenue par le bouche-à-oreille, et célébrer « la fusion de toutes les religions et toutes les cultures ». Mais aussi retaper dans le ballon rond – mais non orange – pour la première fois « depuis 25 ans ». L’ancienne championne de boxe Aya Cissoko (également écrivaine, comédienne et metteuse en scène) prend place dans la cage, alors que Matthieu Longatte (auteur de Bonjour Tristesse sur Youtube, mais aussi réalisateur de la série Narvalo), le joueur de foot américain et foot canadien Anthony Mahoungou-Le Moigne (passé par la NFL et aujourd’hui chez les Ottawa Redblacks), le comédien Issam Dîn Kadichi ainsi que l’ex-latéral gauche du PSG et du Stade brestois Tripy Makonda forment un inédit quatuor sur le terrain.

Ce n’est pas à nous de leur interdire quelque chose, c’est leur identité. C’est un problème de droits humains.

Forcément décousu, le match accouche d’un succès 1-0 des invités du jour, malgré une solide prestation des Hijabeuses et notamment des gardiennes tour à tour infranchissables derrière. Après les deux périodes de dix minutes, Makonda lâche quelques mots avant que la salle ne se vide : « Je les ai connues car j’avais été interpelé par quelqu’un sur Twitter lors d’un débat sur « les sportifs doivent-ils être engagés ? » J’estime que c’est la sensibilité de chacun. Aujourd’hui, je suis là pour les soutenir. Ce n’est pas à nous de leur interdire quelque chose, c’est leur identité. C’est un problème de droits humains. Ça n’est pas seulement les Hijabeuses, c’est un problème plus vaste en France. » Si la victoire était le mot du jour, la bataille n’est pas terminée pour ces femmes : l’article 1er des statuts de la FFF, qui interdit « le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, politique ou syndicale », lui, est toujours en application.

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Par Jérémie Baron, à Paris

Tous propos recueillis par JB

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