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Pogačar et PSG : les revers de leurs médailles
Une passion peut-elle mourir par manque de suspense ? Aussi brillants soient-ils, le cycliste Tadej Pogačar et les footballeurs du PSG ne seraient-ils pas les deux profils d’un même visage : celui d’une domination qui risque in fine de tuer leur sport ?

Tadej Pogačar se promène tranquillement sur les routes du Tour de France, réduisant le suspense à néant (sauf en cas d’abandon). Un léger sentiment de malaise plane d’ailleurs sur le monde du cyclisme devant cet empereur de la Petite Reine, qui pourrait revêtir dimanche sur les Champs-Élysées son quatrième maillot jaune en six éditions et à seulement 26 ans. Thomas Voeckler, dans Sud-Ouest, n’arrive même plus à simuler son désenchantement : « Pogačar ne m’a pas plus impressionné cette année qu’en 2024… Il essaie de se convaincre qu’il existe un suspense, sinon ça va être ennuyeux. […] Un homme au-dessus du lot, même sympa, ça finit par agacer. » Une situation qui n’est pas sans rappeler les sentiments mitigés que suscite en France l’arrogante domination du PSG sur notre Ligue 1. Alors, la victoire n’est-elle appréciable que si elle demeure inattendue ?
Une histoire de la domination
Cette configuration ne se révèle pourtant pas franchement nouvelle. Dans les années 2000, l’Olympique lyonnais de Jean-Michel Aulas enchaîna sept titres consécutifs, pendant que Lance Armstrong empilait lui aussi sept Tours de France entre 1999 et 2005 – des maillots jaunes finalement retirés pour cause de dopage avéré et confessé. On doit prier du côté d’Amaury Sport Organisation pour que le Slovène ne devienne pas son indigne successeur, du moins de ce point de vue-là.
Le sport moderne repose sur de nombreux mythes, qui fondent le pouvoir d’attraction de cette incomparable – et fort rentable – religion laïque. Parmi eux, une certaine approche de l’égalité des chances. Ou plutôt le très libéral adage « égalité au départ, inégalité des résultats », depuis largement battu en brèche par les sociologues, dont ce brave Pierre Bourdieu. Et bien que de plus en plus capitaliste et productiviste, le sport transformé en spectacle populaire a également besoin, pour se vendre, de légendes, de succès ainsi que de victoires surprises pour tenir en haleine le public devenu client.
La prédiction de Textor
Le philosophe Roger Caillois soulignait de la sorte, dès 1958, l’importance du hasard dans la construction de la figure du champion et l’écriture romanesque d’une compétition : « L’aléa nie le travail, la patience, l’habileté, la qualification ; il élimine la valeur professionnelle, la régularité, l’entraînement. Il en abolit en un instant les résultats accumulés. Il est la disgrâce totale ou la faveur absolue. Il apporte au joueur heureux infiniment plus que ne saurait lui procurer une vie de labeur, de discipline et de fatigue. » Toutefois, que reste-t-il de cette belle illusion si le meilleur, le plus travailleur, le plus fort, le plus riche, le mieux équipé est assuré de gagner ? La réalité des rapports de force – qu’ils soient économiques ou sportifs (souvent les deux, comme dans le cas du PSG) – a parfois tendance à annihiler la tragédie, et à tuer la fameuse poule aux œufs d’or. John Textor, devenu entre-temps un paria, s’en lamentait déjà : « Qui va s’intéresser au championnat de France et le regarder à la télé si on sait déjà qui va gagner ? Tout le monde se bat pour la deuxième place, c’est toujours la même équipe qui l’emporte. »
Le rêve démocratique du sport en prend un coup. Pedro Delgado, vainqueur du Tour en 1988, n’hésite pas à comparer dans AS le règne de Pogačar à une « dictature », laissant entendre que le sport y perd de son essence démocratique. Cependant, la France n’est pas franchement une terre d’élection de l’utopie libérale. Elle continue d’entretenir à sa manière sa passion égalitariste, y compris dans le sport (« nous perdons pour gagner »). En témoignent son amour pour les petits Poucets, les brillants seconds (Brest), les éternels dauphins (Poulidor), ou encore les surprises, aussi éphémères soient-elles (Kévin Vauquelin)… Une chance pour les audiences ou la future chaîne de la LFP ?
Donnarumma cordial avec le PSG et Luis EnriquePar Nicolas Kssis-Martov