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  • Euro 2012
  • Reportage

On était dans le Gdansk-Poznan de 13h18

Par Ronan Boscher, entre Gdańsk et Poznań
4 minutes
On était dans le Gdansk-Poznan de 13h18

La Green Army effectue son dernier baroud d’honneur. Les siens se sont fait torcher dans le groupe C et vont affronter l’Italie, lundi à Poznań, pour la forme. Dernière transhumance, en train, au départ de Gdańsk.

Les rues de Gdańsk et Sopot – le St-Tropez de Pologne, paraît-il – vont pouvoir enfin respirer, après quatre jours d’apnée alcoolique et mélodique. Les dames aussi vont pouvoir souffler. Avec 90% de mecs dans le contingent vert, la Green Army a forcément vacillé au gré des mini-jupes et des talons aiguilles de Polonaises avides de faire connaissance, sans demande de rançon. Garanti 100% fûts de bière sur pattes, en orange, blanc et vert.
Toute cette furie sympathique – estimée à 20 000 environ – s’est donnée rendez-vous pour le week-end à Poznań, histoire de bien se chauffer avant la rencontre contre l’Italie. Sur le quai numéro 7 de la gare de Gdańsk, un petit millier – à vue d’œil fatigué – de supporters irish sont dans les starting-blocks, prêts à investir les sept malheureux wagons du Gdańsk-Poznań de 13h18. À raison de 10 compartiments par wagons et de 8 sièges par compartiment, on comprend rapidement qu’il n’y aura pas de places assises pour tout le monde. Une bonne centaine reste à quai, alors que le train est plein. Le triptyque « train bondé et assez sommaire / personnes debout / Pologne » fait inévitablement ressurgir pour certains à l’humour taquin quelques inspirations du siècle dernier. Le président du CRIF, Richard Prasquier, aurait sans doute crié à l’acharnement, lui qui ne digère pas bien l’absence de visite de l’équipe de France à Auschwitz pendant cet Euro (si elle était partie de Strasbourg, l’EdF en aurait eu pour moins long que de Donetsk : plus de 1300 bornes, juste pour info, ndlr).

« Tu crois que ce serait possible d’aller en taxi à Poznań pour à peu près le même prix ? »
Dans le train, les odeurs se tirent la bourre : celle des pieds d’abord, qui ont bien macéré ces derniers jours, celle du sommeil ensuite, celle des évaporations de l’alcool englouti la veille et enfin celle des toilettes, ouvertes, qui sentent le Canard WC d’école primaire. L’enthousiasme retombe quelque peu. L’horloge a dépassé 13h18 et le train est toujours à quai. Le chef de bord prend son micro et annonce en polonais une phrase longue comme le bras. Un local se lève, perdu au milieu d’un compartiment d’Irlandais, prend ses affaires et se casse. Quelques instants plus tard, alors que la rumeur d’un long retard se répand, les haut-parleurs la jouent en anglais, de façon plus succincte : « 40 minutes delay, sorry » . La Pologne sort alors l’artillerie lourde, à savoir quelques volontaires féminins de belle facture, pour faire ce que les politiques appellent hypocritement de la « pédagogie » , plus quelques contrôleurs avec deux-trois phrases types d’anglais sur une feuille A4. « On attend pour attacher des wagons supplémentaires, pour que tout le monde puisse entrer » , explique la jeune volontaire Anja, que beaucoup ont du mal à regarder dans les yeux. À 13h50, le délai est repoussé d’une nouvelle heure. Les Français auraient sans nul doute gueulé, les Irlandais ont surtout considéré qu’ils avaient là une belle fenêtre de tir pour aller faire le plein aux échoppes proches de la gare. Certains, comme Damian, reviennent la gueule triste, avec une bouteille de Coca dans les mains et deux bouteilles d’eau, ce qui ne manque pas de surprendre Rob, son mate : « Je suis arrivé trop tard, les autres ont acheté toutes les bières, putain ! » Les deux compères, la vingtaine, arriveront tout de même à poser la question du mois à Anja : « Tu crois que ce serait possible d’aller en taxi à Poznań pour à peu près le même prix ? » On parle d’un trajet de plus de 300 bornes, alors que le billet de train a coûté 50 zlotys (13 euros). Anja sourit poliment et leur propose d’aller négocier directement avec un chauffeur.
En gare, accoudés aux fenêtres, on discute avec les trains à l’arrêt de la voie d’en face. Des petites ados polak testent leur anglais. « Vous êtes anglais ? » Un quadra répond : « Ah non, je crois pas, on n’est surtout pas anglais, mais irlandais. Et toi, tu vas où avec tes copines dans ton train, là ? » La petite, qui ne comprend rien et surtout pas l’accent de salopard des Irlandais essaie de s’en sortir : « Oui » Dans le fond du train, un type, qui a entendu la voix des petites filles, veut poser sa blague de lourdingue : « Vous aimez les sucettes, les filles ? » La petite, qui ne comprend pas plus Shakespeare que quelques secondes auparavant, répond qu’elle est pour l’Espagne. Fin de la discussion intergénérationnelle. Il est 14h50, le Gdańsk-Poznań de 13h18 décolle enfin. La Green Army est très calme et s’endort, claquée par sa soirée de la veille et désireuse de reprendre des forces pour ce samedi soir. Que Poznań se prépare. C’est de nouveau à son tour de se faire retourner. Sans arme, ni haine, ni violence. Mais avec beaucoup d’amour et une haleine à apprivoiser.

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