Tu as disputé la Coupe du monde de 1978, en Argentine, une compétition qui a pas mal fait parler à l’époque à cause de la dictature mise en place dans ce pays. Quelle était ta position à ce sujet, à l’époque ?
En ce qui me concerne, quand t’as 23 piges et que tu dois aller jouer une Coupe du monde, tu ne penses pas à ça. Et puis, il faut remettre les choses dans leur contexte. En 1978, l’Argentine, pour nous, c’était à des années-lumière. On était allés là-bas un an avant avec l’équipe de France et nous, joueurs, on n’avait pas vraiment ressenti cette dictature. Après, c’est sûr qu’on en a pas mal entendu parler et ça te fait réfléchir. Mais, avant toute chose, tu y vas pour l’événement mondial du football, c’est tellement un truc de fou…
Et dans les mois qui ont précédé, jamais il n’a été question de boycotter cette Coupe du monde ?
Pour être honnête, je ne m’en souviens pas. Après, il y a certainement des gens qui ont émis l’hypothèse de la boycotter, j’imagine. Mais il faut se rappeler qu’à l’époque, ça fasait douze ans que la France n’avait pas mis les pieds en Coupe du monde, tout le monde attendait ça avec impatience. Dans mes souvenirs, il n’était pas dans l’air qu’on puisse la boycotter.
D’ailleurs, comme tu viens de le dire, la France n’avait plus pris part à une Coupe du monde depuis 1966. Du coup, est-ce que vous ressentiez une pression supplémentaire, due à cette attente ?
La pression, non, je ne pense pas, mais, en revanche, on savait très bien que c’était quelque chose d’important. On sentait bien que cette Coupe du monde était quand même attendue. Après, la pression, on l’avait, bien sûr, mais pas outre mesure.
Toi, personnellement, dans quel état d’esprit étais-tu d’aller disputer une Coupe du monde, à seulement 23 ans ?
Ah bah là, je vais être clair, moi j’allais à un événement extraordinaire ! Je me rappelle très bien que Michel Hidalgo avait annoncé que j’étais sélectionné la semaine avant la finale de la Coupe de France, et ça a vraiment été un moment très fort. Quand j’étais gamin, je me rappelais avoir vu la Coupe du monde au Mexique à la télé, c’était déjà super, t’en prenais plein la gueule. Et là, dix ans plus tard, je me retrouve, moi, à participer à cette compétition. C’est incroyable. Je vivais vraiment un truc de fou. J’étais déterminé comme jamais, j’avais un enthousiasme de dingue, une envie de tout bouffer. Enfin, c’était vraiment monumental, quoi.
En plus, toi, du haut de tes 23 ans, tu n’y vas absolument pas dans la peau d’un titulaire…
Bah évidemment ! Mais je ne me posais même pas la question. Moi, j’étais dans le groupe qui partait à la Coupe du monde, et c’était déjà incroyable. Après, je voulais jouer, bien sûr. Et j’ai eu la chance de participer aux matchs, d’ailleurs.
Les matchs en eux-mêmes, tu en gardes un souvenir précis ?
Là, tu m’en parles, je m’en souviens comme si c’était hier. Je me souviens de tout. Le but de Lacombe contre l’Italie au bout de 18 secondes, je l’ai devant les yeux, là. On n’y croyait pas, t’imagines, même pas une minute de jeu et on mène 1-0 contre l’Italie, c’est absolument dingue. Bon après, malheureusement, on s’est fait rattraper par la force collective des Italiens. Ensuite, le deuxième match, on joue contre l’Argentine et là, bon, l’arbitre nous a enfilés, faut dire ce qui est. Notamment quand il siffle un penalty inexistant pour une soi-disant faute de Marius (Trésor, ndlr). Autant tu vois, contre l’Italie, il n’y avait pas grand-chose à dire finalement, autant là, contre l’Argentine, on fait un vrai bon match. On est à la hauteur. Le problème, c’est qu’on se fait voler, c’est terrible. Ce match, ça reste un énorme regret. Bon, après au dernier match, on met 3-1 à la Bulgarie, mais ça comptait pour du beurre, on était déjà éliminés.
Et après ce match contre l’Argentine, qui scelle votre élimination, est-ce que tu te souviens de l’état du groupe le soir ?
Je me souviens qu’il y avait surtout beaucoup de colère. On était dégoûtés car on avait réussi notre match, on n’avait rien à se reprocher et on se fait voler, donc on en voulait vraiment à l’arbitre. Plus que de la déception, c’était de la colère, ouais.
Ensuite il y a donc ce dernier match contre la Bulgarie, et après, qu’est-ce qui s’est passé, vous êtes rentrés directement en France ?
Non, on est partis en vacances au Brésil avec une partie du groupe, on était une dizaine. Il y en a qui sont repartis directement en France, et nous, on s’était pris une petite semaine de vacances à Rio.
Et aujourd’hui, rétrospectivement, tu retiens surtout la joie d’avoir participé à une Coupe du monde, ou l’amertume de cette élimination ?
Moi, je retiens la joie de l’avoir disputée. Le bonheur d’être à la Coupe du monde, de représenter son pays, c’est quelque chose de vraiment fort. Mais, je ne m’enlèverai jamais de la tête que l’arbitre nous a volé notre plaisir, et que si on gagne contre l’Argentine, je reste persuadé qu’on aurait pu faire un truc. C’est vraiment quelque chose qui me reste en travers de la gorge.
Edoardo Bove : et maintenant ?