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Nelson Mandela, Goodbye Bafana

Par Victor Le Grand
Nelson Mandela, Goodbye Bafana

Si Nelson Mandela n'est pas connu pour être un grand fan de foot, il a croisé quelques ballons ronds sur son chemin. À trois reprises en tout cas. Lors de son séjour en prison sur Robben Island, à l'occasion du Mondial 2010 bien sûr, et, plus méconnu, lors d'une visite en 2005 en Angleterre. Souvenirs.

Le foot comme échappatoire à la prison

466/64. Cinq chiffres derrière lesquels se cache Nelson Mandela. Pendant dix-huit de ses vingt-sept années de détention, ce matricule est son unique pièce d’identité. Il signifie qu’il est le quatre cent soixante-sixième prisonnier à avoir débarqué ici. Où ? Sur l’île-prison de Robben Island, au large du Cap. Les geôles du régime raciste de l’Apartheid : un pénitencier ouvert à l’arrivée des Néerlandais dans la région au XVIIème siècle et qui se résume pour l’essentiel en une terre rocailleuse d’un peu plus de 5 kilomètres carrés, entourée d’eaux peuplées de requins. « Voilà l’île ! C’est ici que vous allez mourir » , précisaient les gardes, en afrikaans, lors de l’arrivée des nouveaux détenus, pour la plupart des membres de l’ANC (African National Congress) et du PAC (Panafrican Congress), les deux grands mouvements d’opposition de la politique ségrégationniste sud-africaine. S’il n’est finalement pas mort ici, c’est là-bas que se situe vraisemblablement l’origine de ses problèmes pulmonaires à répétition. Les séquelles d’une tuberculose contractée pendant son séjour carcéral… Pour joindre la parole aux actes, les geôliers leur ordonnaient de se déshabiller, de jeter leurs vêtements dans les flaques d’eau avant de leur signifier par la force qu’il fallait les enfiler de nouveau.

Le quotidien sur l’île n’est guère plus réjouissant. Après un réveil musclé sur les coups de 5 heures du matin, le premier atelier de la journée consiste à courir nu dans la prison. Après quoi, l’administration des lieux envoie ses opposants politiques se faire ronger les mollets par des bergers allemands pendant qu’ils manient la pelle, la brouette et le marteau dans les carrières environnantes. Quant aux repas, ils se résumaient à une immonde bouillie de maïs. Pour rompre ce quotidien morose, les prisonniers parviennent parfois à se fabriquer des jeux de cartes, systématiquement détruits lorsqu’ils sont découverts. Avec une balle constituée de chemises roulées en boule, une seule activité passe néanmoins entre les mailles du filet : le football, pratiqué sur des terrains de fortunes en contre-bas du cachot. Les buts sont faits de planches et de filets de pêches. Une fédération est même mise en place, avec l’élection d’un président, d’un vice-président, la confection de maillots, la constitution de neufs équipes pour trois divisions et d’une commission arbitrale que dirigeait Jacob Zuma, aujourd’hui président d’Afrique du Sud, solide défenseur capitaine du club des Rangers, créé sur place. Dikgang Moseneke, deuxième plus haut magistrat de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, a été l’artisan et le président de cette ligue. Un autre joueur, Steve Tshwete, deviendra même le premier ministre des Sports du pays après l’Apartheid. Et Nelson Mandela ? « Mandela n’avait pas le droit d’assister aux matchs, comme ses compagnons d’isolement, note Anthony Suze, enfermé de 1964 à 1978, précisant qu’un mur était même érigé devant sa cellule pour leur bloquer la vue. Mais je pense que c’était important pour eux de savoir qu’on jouait au football et qu’on parvenait à s’organiser. » Le foot comme mince espoir donc, et à l’arrivée, une des raisons majeures de l’obtention de la Coupe du monde par l’Afrique du Sud en 2010.

La Coupe du monde 2010 Nelson Mandela voue un amour pour la boxe, le rugby mais aussi pour le golf, sport qu’il pratiquait quotidiennement avant son incarcération. Mais quid du football ? « Je ne pense pas qu’il fut un gros passionné de ballon rond. Je pense que c’est quelqu’un qui aimait le sport puisque c’est une activité essentielle de développement » , nous explique Claude Leroy, qui a eu la chance de le rencontrer en 1996 lors de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations en Afrique du Sud. Il faut dire que durant l’Apartheid, le soccer est le sport de la majorité noire et pauvre, tandis que le rugby est celui des riches blancs. Dans les années 1920, les patrons des mines encourageaient les ouvriers noirs à jouer au foot dans leurs temps libres pour les distraire de l’activité syndicale. « Le petit ballon de foot, c’était une arme de combat révolutionnaire, alors que le ballon ovale, le ballon « cabossé » comme on dit, ce n’était pas beau. Une forme bizarre, un peu comme les blancs » , ironise l’éducateur français. En effet, cela peut de nos jours paraître difficile à imaginer, mais durant plus de 20 ans, le pays a été suspendu par la FIFA de toute compétition internationale en raison des pratiques racistes de son ancien gouvernement. À l’époque, le pays compte même deux fédérations ! La Football Association of South Africa (FASA), fédération réservée aux blancs, et une organisation interraciale, jumelage des fédérations noires, mixtes et indiennes, nommée South African Soccer Federation (SASF). En 1990, la libération de Nelson Mandela pousse la FIFA à remettre l’Afrique du Sud sur la carte du football international. D’abord avec la CAN en 1996, puis, apothéose, avec l’organisation de la Coupe du monde 2010. Evènement pour lequel « Mandela a pesé de tout son poids » dans la désignation, est convaincu Claude Leroy. « Il s’est démultiplié parce qu’il a été présent à chaque réunion, à chaque instant de décision dans l’attribution de cet évènement » . Pour s’en assurer, les responsables du projet sud-africain font même parcourir les 10000 km de distance jusqu’à Trinité-et-Tobago afin d’obtenir le vote de Jack Warner, président de la Concacaf. « Jack Warner avait passé la nuit dans la suite présidentielle, dans le lit de Mandela. Qu’est-ce que les Sud-Africains pouvaient faire de plus, s’interroge le journaliste d’investigation écossais Andrew Jennings dans son livre Foul! : The Secret World of Fifa. Les médecins avaient pourtant demandé à Mandela, 85 ans, d’arrêter de voyager à l’étranger, et Desmond Tutu, 72 ans, luttait contre un cancer. Mais s’ils voulaient avoir la Coupe du monde en Afrique du Sud, ils ne pouvaient pas refuser » . De la même façon, la Fifa aurait insisté pour que Mandela vienne « saluer les fans » dans le stade de Soccer City à Johannesburg juste avant la cérémonie de clôture du Mondial 2010. Jusqu’au dernier moment, sa présence reste incertaine en raison de son état de santé et du décès de l’une de ses arrière-petites-filles dans un accident de voiture, la veille de l’ouverture de la compétition. « Nous subissons une pression extrême de la part de la FIFA pour que mon grand-père soit à la finale, assure Mandhla Mandela à l’AFP. Mon grand-père aura 92 ans la semaine prochaine. Son état de santé est délicat. Ses fans peuvent très bien comprendre cela. » C’est finalement Nelson Mandela qui comprendra ses fans et gratifiera le public du Soccer City Stadium d’un vibrant tour d’honneur.

Mandela et le foot anglais Des fans ? Durant toute son existence, Mandela n’en a jamais réellement manqués. Politiciens, artistes et autres sportifs de haut niveau, « c’était comme rencontrer le Pape » , analyse Leroy. « Quand on demandait aux joueurs africains: « Mais qu’est ce qui te ferait plaisir ? » C’était tout le temps : « Rencontrer Nelson Mandela. » Les joueurs devenaient fous. Il faut vivre en Afrique pour se rendre compte à quel point il a marqué ce continent et les couches populaires » . En 2005, lors d’une visite officielle en Angleterre, le 1er président de la république d’Afrique du Sud se fait la douceur d’aller voir un match de football, du côté de Leeds. Dans les travées du stade, il reconnaît aussitôt un visage familier. « Mais qu’est ce que vous faites ici ? » , lance-t-il à Lucas Radebe, dit « le Chef » . Facile : Lucas joue depuis six ans pour United. « Je pensais que j’étais à Liverpool » , poursuit Mandela, dans un langage décousu qu’on lui connaît peu. Si Lucas est un héros ? Ce type est un véritable héros oui. L’Afrique du Sud ne serait pas libre et indépendante aujourd’hui sans les sacrifices et le leadership de cet homme » . « J’ai cru que j’allais mourir. Moi ? Un héros pour LUI ? » , réagira le principal intéressé à l’évocation de cette anecdote dans une interview au Mirror quelques années plus tard. C’est d’ailleurs Mandela qui a rédigé la préface du livre Madiba’s Boys : The Stories of Lucas Radebe and Mark Fish, retraçant le parcours des deux coéquipiers sud-africains des Peacocks. Où l’histoire fascinante des deux plus grands joueurs de l’histoire du pays, le premier noir et le second blanc, amis hors des terrains et symboles d’un nouveau pays en transition. Deux défenseurs rugueux qui réussiront le pari de conquérir les terrains du Royaume-Uni, ancien empire colonisateur. Comme un symbole, Manchester City, Liverpool, Chesea, Arsenal mais surtout Sunderland célébreront le 18 juillet 2014 le prochain Nelson Mandela Day, organisé par l’Unesco à la date de son anniversaire. Ce jour-là, comme chaque année, les Black Cats contribueront à leur manière à la lutte contre le racisme et à la promotion « d’une culture de la paix » : message sur écran géant à l’intention du défunt, tee-shirts et drapeaux à son effigie, ainsi qu’un ensemble percussionniste du Burundi viendra se produire à même la pelouse pour divertir la foule. Plus qu’un coup de publicité, le club travaille depuis des années en étroite relation avec la fondation Nelson-Mandela, qui, parmi ses nombreux projets, poursuit deux objectifs principaux que sont la lutte contre l’épidémie du Sida et l’amélioration de l’éducation dans les régions rurales. « Sunderland va devenir le premier club de Premier League en Afrique » , explique Mike Farnan à CNN, directeur marketing du club, qui confesse au passage que Mandela a toujours l’un de leurs premiers supporters. Un fan désormais éternel.

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