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  • Deux ans à la tête de la LFP
  • Interview

Nathalie Boy de la Tour : « Je pense que je casse les codes »

Propos recueillis par Eric Carpentier
Nathalie Boy de la Tour : « Je pense que je casse les codes »

Volontiers définie comme discrète, Nathalie Boy de la Tour se répand rarement dans les médias. Au mitan de son mandat, la présidente de la LFP accepte toutefois de lever le voile sur son boulot dans un milieu « dur, oui, il ne faut pas se mentir ». Fiche de poste et entretien de personnalité au programme.

Vous avez été élue présidente de la LFP fin 2016 et pour quatre ans. À mi-mandat, qu’est-ce qui vous semble le plus loin : le début, ou la fin de la mission ?C’est marrant comme question… Je ne me la suis jamais posée, je vis vraiment au jour le jour. J’essaie de faire en sorte qu’il y ait une valeur ajoutée quotidienne dans ce qui est réalisé et je ne me pose ni la question du futur, ni celle du passé. Vraiment l’instant présent. C’est aussi mon tempérament.

À quoi ressemble une journée de présidente de la Ligue de football professionnel ?Je parlerais plutôt de semaine, parce que c’est du sept jours sur sept, un full time job comme on dit. Le football ne s’arrête jamais ! Mais si on essaie de tracer une répartition du temps, je dirais qu’il y a trois tiers.

Ce n’est pas une course à la taille, mais ça veut dire qu’on a besoin de gérer la Ligue comme une entreprise pour faire grandir notre football.

Un premier tiers en interne, un boulot de chef d’entreprise comme ailleurs, pour définir un cap, donner des moyens. Nous sommes passés de 50 à 80 salariés, mais il reste beaucoup à faire. La Liga, par exemple, c’est 300 ou 400 personnes. Ce n’est pas une course à la taille, mais ça veut dire qu’on a besoin de gérer la Ligue comme une entreprise pour faire grandir notre football. Ensuite, un tiers de mon temps est consacré à tout ce qui n’est pas interne : les élus – présidents de clubs et autres familles – et les bénévoles. On en a 200 qui travaillent avec nous : délégués de match, commissions de discipline, DNCG… Ça ne se gère pas de la même manière. Et puis un dernier tiers consacré à mieux faire connaître le football et nos enjeux auprès de personnalités extérieures : politiques, chefs d’entreprise, leaders d’opinion et cetera, ce qu’on appelle traditionnellement du lobbying. J’étais par exemple à France Digitale récemment, la grand-messe annuelle du monde digital. Pour moi, ça, c’est important. Parce que tous ces entrepreneurs vont être les investisseurs de demain, il faut leur expliquer ce qu’on fait et leur montrer qu’ils peuvent y avoir leur place.

Pour expliquer votre attrait pour le monde du foot, vous évoquiez en 2016 « un écosystème particulièrement riche » . En d’autres termes, une jungle. Vous arrivez à y respirer ? C’est sûr que c’est un lieu unique, le foot. Il n’y a aucun secteur d’activité où on va retrouver à la fois des enjeux économiques de cette hauteur, une exposition médiatique juste inégalée – le foot représente 10 % de l’espace médiatique, c’est un truc de dingue ! –, des enjeux sociaux, sociétaux, politiques… Et tout cela à gérer avec une compétition qui n’arrête jamais, des intérêts qui évoluent en fonction des résultats de la semaine. Oui, c’est complexe. Mais c’est ce qui fait la richesse et l’intérêt du job. Je dois avoir les qualités pour faire la part des choses entre l’urgent, le prioritaire, l’anodin et puis, pas le détachement, mais la prise de recul nécessaire.

Jean-Michel Aulas dit de la Ligue qu’elle est un « monde de brutes » . Vous êtes d’accord avec cette vision ?

Jean-Michel Aulas m’a aidée, comme beaucoup d’autres présidents. Quand vous êtes élu, vous l’êtes par plein de personnes. Donc heureusement que vous avez des soutiens !

Alors j’aimerais bien revenir sur la proximité que certains m’attribuent à Jean-Michel Aulas. Quand je suis arrivée à la Fondation du football (en 2008, N.D.L.R.), je travaillais beaucoup avec le foot amateur et je me disais qu’il y avait à faire avec le foot professionnel. À l’époque, en fondations, il y avait le PSG, Toulouse et l’OL. Je me suis donc rapprochée de ces fondations pour monter des dispositifs RSE (responsabilité sociétale des entreprises, N.D.L.R.). Le délégué général d’OL Fondation de l’époque, Laurent Arnaud, m’a dit : « Comme on commence à faire beaucoup d’actions ensemble, il serait bien que tu intègres le conseil d’administration de la fondation » , qui se réunissait deux fois par an. Voilà. Jean-Michel Aulas m’a aidée, comme beaucoup d’autres présidents. Quand vous êtes élu, vous l’êtes par plein de personnes. Donc heureusement que vous avez des soutiens ! Mais ce n’est pas parce que vous avez des soutiens que vous perdez votre intégrité, que vous êtes le pantin, comme je peux l’entendre dire. Ce n’est pas le cas.

Ce sont ce genre de choses qui participent à faire du football professionnel un monde de brutes ?C’est un monde qui est dur, oui, il ne faut pas se mentir. Il y a des tensions du fait des résultats sportifs, avec des conséquences financières et sportives extrêmement importantes, et c’est aussi un monde de pouvoir. Après, la tension est consubstantielle au secteur d’activité, il ne faut pas la prendre contre sa personne. C’est dur dans l’absolu, mais ce n’est pas plus dur parce que je suis une femme. C’est aussi dur pour une femme que pour un homme.

Vous êtes donc une femme et vous n’êtes pas issue du sérail (NBLT est arrivée dans le foot à 36 ans avec la création du salon Galaxy Foot en 2004, N.D.L.R.). C’est un atout pour vous ?

C’est un sport où énormément de place est faite aux femmes, mais pas encore suffisamment, et c’est un de mes combats. Comment faire découvrir le football aux femmes, changer leur regard, leur montrer qu’on vit des choses incroyables pour leur donner l’envie d’aller au stade et ne pas laisser uniquement le père accompagner le petit garçon.

En tout cas, je pense que je casse les codes. Un, je suis une femme, deux, je suis beaucoup plus jeune que mes prédécesseurs et trois, je ne suis pas issue du terrain. Il ne faut pas en avoir honte. Je suis d’une époque où les petites filles, on ne les mettait pas au foot. C’est regrettable et je suis très heureuse de voir que les choses évoluent. J’ai deux garçons de 21 et 11 ans qui ont joué au foot dans le même club : il y a dix ans, il n’y avait qu’une fille qui jouait avec les mecs, aujourd’hui il y a plusieurs équipes féminines ! Donc tout le travail fait par la Fédération est en train de changer les codes. Si maintenant, on peut les changer également au niveau de la gouvernance en faisant davantage de place aux femmes – elles représentent 52 % de la population, hein –, alors le foot n’aura pas à rougir. C’est un sport où énormément de place est faite aux femmes, mais pas encore suffisamment, et c’est un de mes combats. Comment faire découvrir le football aux femmes, changer leur regard, leur montrer qu’on vit des choses incroyables pour leur donner l’envie d’aller au stade et ne pas laisser uniquement le père accompagner le petit garçon.

Il y a une part de féminisme là-dedans ?C’est marrant, je n’étais pas du tout féministe, absolument pas, parce que j’avais intégré un certain nombre de difficultés qui se présentent aux femmes. Et en vieillissant, je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses à dire sur la place des femmes, pas uniquement dans le football, mais dans la société toute entière, pour faire évoluer les mentalités. Parce qu’on n’a pas les mêmes codes que les hommes, pas la même façon de s’imposer, pas les mêmes gestes, les mêmes postures, qu’on n’emploie pas les mêmes expressions, pour tout cela le regard des uns et des autres peut être assez violent. Donc si je peux contribuer, notamment par mon expérience, à porter la bonne parole et à faire évoluer les choses, c’est avec plaisir.

Vous êtes nettement moins médiatique que votre prédécesseur, le controversé Frédéric Thiriez. C’est volontaire pour votre travail, ou simplement dans votre caractère ?Il y a un peu des deux. Je ne recherche pas la lumière, naturellement je préfère être dans la réalisation concrète des choses plutôt que dans le faire savoir. C’est à la fois quelque chose qui correspond à mon tempérament personnel, et à la fois je pense qu’on n’a pas besoin… Je n’aime pas parler pour ne rien dire. Une parole maîtrisée est souvent plus efficace que se répandre régulièrement dans les médias.

Avez-vous un « club de cœur » ? Il y en a un, mais je le garderai pour moi ! (Rires.) C’est pour ça que j’adore aller sur les coupes européennes ou les matchs de l’équipe de France, parce que ce sont les seuls moments où je peux véritablement vibrer, montrer ma joie ou ma déception. C’est un peu frustrant d’assister à des matchs et d’être neutre ! (Rires.) Mais j’ai tendance à être pour le club recevant, parce que je n’ai pas envie d’être le chat noir. Et puis vous êtes invité, c’est de la politesse.

Vous assistez à combien de matchs par an, en moyenne ?Un peu plus de 50 par saison, j’oscille entre zéro et trois par semaine. Ce qui m’importe, c’est de prendre la température sur tout ce qu’il y a dans et autour du stade, de comprendre le quotidien des présidents, de m’imprégner de l’écosystème de chaque club. Parce que dans chaque stade, vous avez une ambiance particulière, des supporters dont les comportements sont différents, des façons dont les matchs sont retransmis à la télévision. Ça nous permet de prendre des idées, d’identifier des axes d’amélioration. C’est quelque chose de stratégique pour moi.

Vous pouvez y constater que la LFP n’a pas toujours une bonne image…Ça, c’est vous qui le dites !

Des banderoles régulièrement sorties, aussi.

Le travail des clubs, le comportement des uns et des autres, tout ça nous semble aller dans le bon sens. Même s’il y a encore beaucoup de travail à faire.

Mais l’image de la Ligue est très différente en fonction de la cible que vous analysez. Chaque année, début novembre, on réalise une enquête d’opinion. Cette année, c’est tombé en plein dans les Football Leaks, on s’est dit « hmm, ça ne va pas être bon » . Mais en fait si, l’image s’est améliorée de huit points. Il y a eu un effet Coupe du monde, c’est certain. Et puis j’espère que toutes les actions entreprises depuis quelques années y contribuent : mieux faire connaître le football, l’intégration de la VAR, montrer nos innovations… Le travail des clubs, le comportement des uns et des autres, tout ça nous semble aller dans le bon sens. Même s’il y a encore beaucoup de travail à faire.

Vous avez donc le sentiment d’être sur la voie de la réconciliation avec les supporters ?Sur les supporters, il faut bien comprendre que la Ligue a deux missions. Il y a une mission davantage économique, attendue notamment par les présidents. Et puis une mission régalienne, disciplinaire, d’établir des règles et de les faire respecter. C’est toujours un peu compliqué parce qu’on est perçus comme la police, et la police, on ne l’aime pas toujours. Mais on en a besoin. C’est un rôle qu’on doit assumer, cette mission qui fait qu’on est souvent conspués. On ne pourra pas transiger sur la violence et la sécurité. Mais pour moi, les supporters sont indispensables, ils font partie du spectacle, ils font le football, en partie. Dès mon arrivée, j’ai souhaité ouvrir le dialogue avec les supporters. Et on a un échange responsable et constructif avec l’Association nationale des supporters. On a été moteur dans la mise en place de l’expérimentation des tribunes debout, par exemple.

Quels sont les chantiers prioritaires pour la suite de votre mandat ?Le dossier des relations avec les supporters doit faire l’objet d’un travail de fond. L’évolution de la gouvernance est aussi un chantier important. Avoir une gouvernance plus efficace, plus agile, plus transparente, qui fonctionne mieux pour nous permettre d’aller plus vite et d’être en phase avec cette réussite économique. Et puis les sujets arrivent quotidiennement, on le voit tous les jours.

Pouvez-vous développer sur la gouvernance de la Ligue ?

Il ne s’agit pas de raisonner en fonction de personnes et de postes, mais en fonction de l’intérêt général du football. On a des statuts qui ont été faits, non pas en définition d’une vision, mais plutôt pour tenir compte de rapports de force entre les uns et les autres. Ça ne peut pas marcher.

Historiquement, on a entassé des structures. On se retrouve avec une assemblée générale de 40 présidents de clubs et des représentants des différentes familles, qui se réunit deux fois par an. On a le conseil d’administration, où nous sommes 25, avec à chaque fois des équilibres assez complexes entre les familles, les clubs, les gros, les petits… Nous avons aussi un bureau, l’organe de direction de la Ligue, qui se réunit tous les mois. Et puis on a des collèges, un de Ligue 1, un de Ligue 2, qui ont des responsabilités sur un certain nombre de sujets. On a aussi deux syndicats de clubs, l’UCPF et Première Ligue, dans lesquels on retrouve un mix L1 et L2. Et puis on a l’ensemble des syndicats d’acteurs, les arbitres, les médecins, les joueurs, les entraîneurs… Tout ce monde-là doit cohabiter avec une répartition subtile et très sensible du poids de chacun. Alors, quand on est parfois 25 autour de la table, on pourrait aussi bien fonctionner à 12 ou 15. Il ne s’agit pas de raisonner en fonction de personnes et de postes, mais en fonction de l’intérêt général du football. On a des statuts qui ont été faits, non pas en définition d’une vision, mais plutôt pour tenir compte de rapports de force entre les uns et les autres. Ça ne peut pas marcher. Il faut remettre du bons sens dans cette organisation.

Au fait, que va-t-il se passer avec cette Coupe de la Ligue dont personne ne semble vouloir ? C’est vous qui le dites ! En fait, on a voulu faire la Coupe de la Ligue et la Ligue 2 au même moment, en pensant que les enchérisseurs qui n’auraient pas eu ce qu’ils voulaient sur la Ligue 2 pourraient se reporter sur la coupe. Or les deux diffuseurs qui ont enchéri sur la Ligue 2 ont été satisfaits. Mais on n’a aucune inquiétude. Il ne s’agit pas de se prononcer sur son avenir ou d’être déçu, ça fait partie du jeu. On ne l’a pas interprété comme un camouflet. On s’est juste dit : « On s’est plantés sur le timing. »

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