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Mais qui es-tu, Otelul Galati ?
Symbole de la montée en puissance des équipes de province en Roumanie, Galati, à l’extrême est du pays, devra se rendre à la capitale Bucarest pour affronter Manchester, ce soir. Propriété d’un milliardaire, le club doit composer avec un budget plus que modeste. L’Otelul n’est plus à un paradoxe près, lui qui a su jaillir sur le devant de la scène nationale. Après 47 années d’anonymat.
CFR 109 Cluj. Unirea Urziceni. Et, désormais, Otelul Galati, le petit dernier. Depuis quelques années, le championnat roumain fait preuve d’une régularité remarquable dans l’inconstance. Après avoir vampirisé la Liga I des décennies durant, le Steaua et le Dinamo, naguère héritiers footballistiques du centralisme si cher à Ceaucescu, ont laissé le haut de la scène européenne à de nouveaux noms compliqués à prononcer. La province se rebelle face à la capitale. Champion pour la première fois de son histoire au printemps dernier, l’Oletul Galati découvre la Ligue des Champions.
Mais la réciproque est vraie : l’Europe découvre Galati. Une petite explication géographique s’impose. A 240 bornes au nord-est de la capitale roumaine, la ville de Galati, 300 000 habitants, se situe à la frontière de la République de Moldavie. Jean-Bernard Canton, vice-président du comité de jumelage de Pessac (Gironde), est allé 5 fois à Galati, dans le cadre du partenariat entre les deux villes. Il plante le décor : « C’est une grosse ville très industrielle, au bord du Danube, à 80 kilomètres du delta. Sur le plan architectural, il y a de belles cathédrales, une promenade le long du Danube et un jardin botanique. Mais ce n’est pas la plus belle ville de Roumanie, c’est sûr » . Pas vraiment une destination touristique.
Lakshmi Mittal, un Nigérian et un Péruvien
Niveau économique, Galati accueille surtout la plus grande aciérie du pays, née de la volonté de Ceaucescu au début des années 70 d’y implanter un grand centre industriel. Oletul signifie d’ailleurs acier, en roumain. Tombée en déliquescence dans les années 90, l’usine a été rachetée par l’Indien Lakshmi Mittal, en 2001. Aujourd’hui, le groupe ArcelorMittal s’affiche sur les maillots du club. Mais les 2 millions d’euros annuels versés ne doivent surtout pas être pris pour un soutien inconditionnel. Après la défaite face au Benfica Lisbonne, Thierry Le Gall, le PDG d’ArcellorMitall à Galati, s’est fendu d’une déclaration peu encourageante pour l’avenir financier du club : « L’avenir de l’Otelul ne s’inscrit pas aux côtés d’ArcelorMittal, ce dernier étant actuellement son principal, voire son seul sponsor. Nous invitons les investisseurs désireux de nouer une relation à long terme avec Otelul à reprendre le club ». Annonce d’un divorce, ou bluff managérial pour remobiliser les troupes après deux défaites en Ligue des champions et un début de Liga I poussif ?
Sportivement parlant, l’Otelul c’est une bonne dose de Roumains et de joueurs de l’Europe de l’Est. Sans oublier le traditionnel zeste d’exotisme, avec un milieu nigérian et un attaquant péruvien. Une recette qui a bien fonctionné l’an dernier avec, en guise de dessert, un titre de champion. Lors de sa dernière visite, en mai, Jean-Bernard Canton, du comité de jumelage de Pessac, a ressenti l’engouement autour du foot : « En mai dernier, nous étions avec des jeunes qui nous faisaient visiter la ville. J’ai vécu l’excitation autour de l’équipe, même si on est repartis le matin même du match contre Timisoara (victoire décisive pour le titre). Je ne sais pas s’ils avaient déjà été champions, mais si c’est le cas, ça devait faire bien longtemps… » . « J’ai des amis roumains qui m’ont appelé, ils m’ont chambré par rapport à Manchester. Dans le stade, même si ce n’est pas celui de Galati, il y aura toute la Roumanie derrière » , renchérit Stéphane Zubar, défenseur en D3 anglaise, à l’AFC Bornemouth, après avoir passé plusieurs mois en Roumanie, au FC Vaslui, entre février 2009 et juin 2010. « Même si je me rappelle qu’ils avaient un bon attaquant, c’est pas une équipe de stars, mais de guerriers qui mouillent le maillot. Le recrutement est basé sur ça : on veut des chiens sur le terrain. En plus ça fait trois-quatre ans qu’ils se connaissent » , précise le frère de Ronald.
Victoire contre la Juve et Coupe Intertoto
La ruse de Jorge Jesus, l’entraîneur du Benfica, comparant le jeune attaquant local Liviu Antal à Karel Poborsky n’aura trompé personne : pour les gros talents individuels, il faudra repasser. Faute d’effectif galactique, Galati mise avant tout sur son esprit collectif. Et, comme souvent dans ce genre d’équipe, le coach est celui qui attire le plus la lumière. En l’occurrence Dorinel Munteanu, recordman de sélections avec les Tricolorii. Arrivé en 2009, il ne lui aura fallu qu’une saison de rodage pour mener son nouveau club à son premier titre de champion. De quoi nourrir des ambitions démesurées ? « Nous visons les 9 points lors de la phase de poules » , s’est enflammé Dorinel à la fin de l’été. Son président, Marius Stan, ancien joueur du club, n’a pas osé le contredire. Les résultats, eux, ont parlé : deux défaites – de justesse – face à Bâle et Lisbonne. Et un sacré retard sur le tableau de marche espéré.
Face à Manchester et ses stars millionnaires, le match de ce soir présentera tous les ingrédients d’un 32e de finale de Coupe nationale. Un rapport de 1 à 300 entre les budgets des deux clubs d’abord, celui de l’Otelul, 3 millions d’euros environ, représentant à peine 4 mois de salaire de Rooney. Une pelouse qui pourrait ressembler à un champ de patates ensuite, dans l’enceinte toute neuve du National Stadium – remember Roumanie-France. Et, enfin, une surprise du petit poucet au terme de la rencontre? Manchester, deux nuls au compteur depuis le début de la compétition, ne peut pas se permettre un faux-pas de plus. Dans les vestiaires, le vétéran Dorinel Munteanu rappellera peut-être à ses joueurs qu’il y a 23 ans, pour sa première participation européenne, l’Otelul s’était imposé à domicile 1-0 face à la Juventus de Turin, en 32e de finale aller de la Coupe de l’Uefa. Depuis, plus rien à se mettre sous la dent. A part une fade Coupe Intertoto en 2007. L’occasion est belle de se faire enfin un nom sur le continent. Pour cela, pas besoin d’une improbable qualification. Accrocher les Mancuniens serait déjà amplement suffisant.
Yann Bouchez