Les 23 à Asnières
Depuis plusieurs jours on ne parlait plus que de ça : Monsieur Raymond, le sélectionneur de l’équipe de France de Football, allait s’adresser au pays le 14 mai 2006, vers 11 heures 30 sur TF1, afin de donner, quasiment à la sortie de la messe dominicale, la fameuse liste des 23 joueurs retenus pour la prochaine Coupe du Monde en Allemagne.
L’heure était grave. Chacun y allait déjà de son commentaire, la main au fond de la poche, les doigts crispés sur sa propre liste des vingt trois. A l’heure dite « the fabulous Raymond » se présentait devant un parterre de journalistes, prêt à annoncer devant les caméras de la première chaîne de télévision française, la liste des gens heureux. Attention Mesdames et Messieurs, ça va commencer.
Afin de conférer à l’évènement toute la solennité qu’il se devait, nous étions préalablement invités à écouter les considérations de politique générale sur ce que doit être une sélection, la difficulté des choix, les inévitables déceptions, les dosages nécessaires sans lesquels une équipe n’est pas une équipe. Une fois ces prolégomènes passés, le sélectionneur annonçait les gardiens dont il reprenait les noms et annonçait que Fabien Barthez serait le numéro un. Ensuite ce fut plus flou. Voici les défenseurs. J’en ai pris huit. Voici les milieux. Vous les connaissez. Voici les attaquants. Rien à dire, vous les connaissez aussi.
Les téléspectateurs n’ayant pas, par définition, la chance d’être présents dans la salle de conférence, donc privés des images qui apparaissaient sur les écrans installés à l’attention de la presse, en furent pour leurs frais, faute de voir les joueurs retenus. Il faudrait attendre le prochain journal télévisé pour connaître les noms des heureux sélectionnés. C’est alors que, tel un chien de Pavlov se rappelant que c’était dimanche, qu’il était bientôt midi, et qu’Estelle (Denis) lui avait promis un gigot purée, l’ami Raymond se levait brutalement afin de nous laisser face à nos doutes, nos espoirs et nos prières. C’était dimanche, et visiblement ce jour est sacré dans la tête du sélectionneur. Il n’est pas question d’en faire trop le dimanche.
Nous nous disions que tout cela sentait l’improvisation et qu’à ce rythme-là nous pouvions craindre que cette piètre annonce augure d’un dilettantisme peu en rapport avec le brillant du parcours que nous promet le sélectionneur. Les caustiques imaginaient déjà le pire quant aux futurs propos footballistiques qui ne manqueraient pas de nous frapper. La foudre ne tarderait pas à nous atteindre, entraînant avec elle les joueurs eux-mêmes. A combien de : « Le score du match vous le connaissez, je n’ai rien à dire de plus ; Messieurs, chacun a une idée de sa place dans l’équipe, je vous laisse le soin de régler les détails ; vous devez imaginer qui seront titulaires, donc pas la peine d’en rajouter » , faudrait-il nous attendre ?
Songe téléphonique d’une nuit de printemps
Puis la nuit aidant, ce fut un tout autre Raymond qui revint le lendemain. Les conseillers en communication avaient-ils fait œuvre de recadrage ? Un rêve prémonitoire avait-il agité le sommeil présidentiel du Roi d’un jour ? Le mystère demeure. Ce que l’on sait, c’est que grâce à une rubrique vidéo diffusée par le biais d’un système de téléphonie sans fil de dernière génération, quelques privilégiés eurent accès à quelques commentaires du sélectionneur sur le choix des gardiens, la sélection de Franck Ribéry.
Pour avoir des informations, il faudrait désormais faire partie d’un cercle, d’un groupe, d’un clan porté sur la haute technologie, et dont les finances permettent d’avoir accès à des services payants offrant des informations privilégiées. L’ironie veut également que cet opérateur de téléphonie mobile est l’un des sponsors de l’équipe de France, et que dans le cadre d’une communication audacieuse ce généreux partenaire avait voulu offrir un plus à ses abonnés.
La méthode fut contestée au nom des principes. Au nom de quoi un sélectionneur pourrait-il désormais communiquer sur des choix stratégiques par le biais des services d’un opérateur de téléphonie, sponsor de l’équipe de France, et non directement avec la presse ? D’évidence, le libre accès à l’information était entravé. Toutefois, personne ne s’interrogeait sur les colossaux droits de diffusion qui seront payés par les chaînes de télévision et qui nous promettent des tunnels publicitaires en perspective des prochains matchs. Certes, l’accès télévisuel aux matchs sera gratuit, mais au prix de quel matraquage rétinien d’avant, pendant et après match. Est-ce finalement un mal que Raymond Domenech ait cédé aux sirènes d’un sponsor pour commenter ses idées au bénéfice immédiat d’un nombre limité d’intéressés ? Nous connaissons l’odeur frelatée de ces confidences sponsorisées, de ces déclarations marketées et de ces discours lénifiants destinés à ne fâcher personne.
Raymond Domenech a choisi d’en dire le moins possible au plus grand nombre et de s’exprimer à l’occasion dans une bulle virtuelle. Bien grand lui fasse. Après tout, il nous évite de subir de sempiternels propos convenus dont nous nous moquons. Comme le dit « Magic Raymond » : les joueurs vous les connaissez. Alors oui, il n’y a vraiment rien d’autre à dire…
Jean-François BORNE
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