- Bolivie
Le match que vous n’avez pas regardé : Nacional Potosí – Real Potosí
Ce week-end, certains championnats résistaient encore à l’envahisseur COVID-19. Dans la ville bolivienne de Potosí, là où le football tutoie les nuages, le clasíco le plus haut du monde avait lieu à huis clos. Et ça, c’est le match auquel vous n’avez pas pu assister.
Nacional Potosí 4-0 Real Potosí
Buts : Paolo Jiménez 24e, Diego Navarro 69e et 91e, Miguel Suarez 81e
Il y a 400 ans, il aurait été inutile de présenter Potosí. Pendant l’époque coloniale, la ville bolivienne était la plus peuplée du continent sud-américain et sa montagne, le Cerro Rico, abritait le plus grand gisement d’argent du Nouveau Monde. Perchée à 4 000 mètres d’altitude dans la solitude des Andes, Potosí possède deux équipes professionnelles qui partagent le même stade : le Nacional Potosí et le Real Potosí. Comme si la région était frappée par un manque d’inspiration, les deux clubs ne se sont pas gênés pour pomper à la perfection deux logos déjà bien connus, offrant à ce clasíco un vieux parfum de coupe intercontinentale. D’un côté le Nacional, qui utilise les mêmes couleurs et un écusson similaire au club argentin de River Plate. De l’autre, le Real Potosí, champion de Bolivie en 2007, qui a littéralement copié-collé le logo du Real Madrid. L’Espagnol Samuel Blanco, fondateur du club à la fin des années 80 ne s’en est jamais caché. Cet écusson, c’est la preuve de tout l’amour qu’il voue au club madrilène. En fin tacticien, il a quand même pris le soin de remplacer les lettres MFC (Madrid Football Club) visible sur le logo du club espagnol par un simple triangle représentant l’âme de la ville, le Cerro Rico. Malin.
Le silence du nid des condors
Déjà frustrés l’an dernier lorsque la crise politique bolivienne avait obligé à repousser leur clasíco au 25 décembre, les potosinos ont encore été contrariés lorsqu’ils ont appris que leur derby, le plus haut du monde, allait se jouer à huis clos. Pandémie oblige. Malgré tout, si on tend bien l’oreille, l’entrée des acteurs est accompagnée par une petite acclamation des Imperio Realista, le groupe des hinchas du Real posté aux abords du stade. Les joueurs posent dans une franche camaraderie devant une banderole contre le racisme et le coup d’envoi de ce 40ème clasíco potosíno est donné. L’estadio Victor Agustin Ugarte, surnommé El nido de los cóndores, laisse place au silence pour la première fois de son histoire. Seul l’écho entendu à chaque touche de balle et les cris des footballeurs animent le paysage sonore. Côté football, les deux équipes sont situées en deuxième partie de tableau et ont l’opportunité de s’approcher des places qualificatives en Copa Sudamericana, équivalent sud-américain de la Ligue Europa. En Bolivie, il suffit d’être classé 8ème (sur 14) pour décrocher une place continentale. Lors de leur dernier affrontement, les lilas du Real avaient battu les Ranchos Guitarras du Nacional, privant ces derniers d’une qualification inédite en Copa Libertadores.
Pour les 22 acteurs, jouer à près de 4 000 mètres n’est pas un problème. En général, les clubs de Potosí laissent à leurs recrues une quinzaine de jours pour s’acclimater parfaitement à l’altitude. Les organismes des joueurs des deux équipes sont donc prêts à disputer la totalité d’une rencontre sans ressentir aucune gêne. Ces matchs à huis clos sont aussi l’occasion de découvrir les couleurs d’un stade, à nu. A Potosí, la pelouse est entourée d’une piste olympique bleue tandis que les couleurs des sièges en tribunes (rouge, jaune, bleu et blanc) nous rappellent les toiles de Mondrian. Habitués à mettre du rythme pour déstabiliser leurs adversaires mal acclimatés à jouer à une telle hauteur, les deux équipes provoquent de nombreuses situations de buts. Finalement, le Nacional ouvre le score grâce à l’ancien international costaricien Paolo Jiménez qui laisse sur place un défenseur adverse avec un crochet qui n’est pas sans rappeler celui qu’avait réalisé Lionel Messi sur Jerome Boateng (1-0, 24ème). Le Real n’est pas récompensé avant la pause lorsque la frappe de Yecerotte heurte le poteau de plein fouet. Les locaux rentrent au vestiaire avec un petit but d’avance au cours d’une belle première mi-temps animée par dix-sept frappes. Prends ça, Ligue 1.
Credits : Piet Mondrian
Le Real échappe de peu à la manita
Pendant la pause, la télévision bolivienne diffuse des publicités détaillant les précautions à prendre pour se protéger du COVID-19. La Bolivie a -pour le moment- recensé une douzaine de cas positifs au virus. Sur la pelouse, le Real reprend le second acte comme il l’avait terminé : en frappant sur le montant. Cette fois-ci le missile de Maxi Gomez s’écrase sur la barre et résonne dans le stade aussi fort qu’un coup droit de Roger Federer. Et puis, c’est le Nacional qui s’y met. Sur un coup franc bien botté, le ballon vient s’écraser sur la transversale adverse. Alors que la pluie fait son apparition, Leonel Morales perd ses nerfs face au talent du buteur Paolo Jiménez : le Real va finir le match avec un homme en moins. Dès lors, le Nacional va profiter de son avantage numérique pour prendre le large par l’homme du match, Diego Navarro, puis par Miguel Suárez, avec un but qui n’est pas sans rappeler celui inscrit par Emmanuel Petit en finale de la Coupe du Monde 98. Enième preuve qu’on maîtrise bien l’art du copié-collé à Potosí.
L’arbitre siffle la fin du match sur le score sans appel de 4-0 pour le Nacional. Le Real évite de peu la manita. Arrivé il y a cinq jours seulement à la tête du club, le nouvel entraineur chilien Sebastian Núñez a confirmé qu’il savait manier les équipes d’altitude. En décembre dernier il avait qualifié Always Ready, le club le plus haut au monde (perché à 4 100 mètres à El Alto), à sa première Copa Sudamericana. The Special Heights.
Malgré la contre-indication du ministère des sports, la fédération bolivienne avait souhaité achever cette douzième journée du Torneo Apertura afin que toutes les équipes aient disputées leurs douze matchs. Désormais, le championnat bolivien va marquer une pause de quelques semaines, à l’instar de la quasi-totalité des championnats sud-américains. Pour le bien de la santé publique mais aussi pour celui des clubs. Poursuivre les rencontres à huis clos privait les équipes de leur principal revenu : la billetterie. Les droits télévisuels du championnat boliviens sont peu élevés et la recette générée par l’affluence est indispensable à la survie des petits clubs du championnat. Adiós, fútbol…
Nacional Potosí (4-3-3) : Roca; Añez, R. Cabrera, A. Cabrera, Mansilla; Pérez (Suarez, 75’), Quiroga, Hinestroza, Jiménez; Barbery (Navarro, 46’), Muñoz (Fierro, 62’). Entraîneur : Sebastián Núñez
Real Potosí (4-2-3-1) : Salvatierra; Baldomar, Ferrufino, Aguirre (Rivaldo Melchor, 63’) , Yecerotte (Díaz, 77’); Ávila, Borda, Pastor, Morales; Gómez, Laguna (Maldonado, 46’). Entraîneur : Marcos Ferrufino
Par Thomas Allain