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Le foot ne se repose plus sur ses lauriers

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Le foot ne se repose plus sur ses lauriers

Fred Perry et son non moins mythique polo orné d’un discret – dans sa version classique tout du moins - laurier fêtent leurs 60 ans. L’occasion de valoriser le produit en mettant en avant sa relation intime - bien que largement involontaire - avec la culture pop anglaise. Il s’agit également d’un biais idéal pour s’adresser aux consommateurs froggies, éternellement complexés sur ce chapitre « music & style » vis-à-vis de la perfide Albion. Mais il existe toutefois un autre registre, guère éloigné, bien que nettement moins reluisant en matière de marketing, tout en étant tellement plus excitant, qui mérite d’être mis en lumière : la relation très complexe entre le foot, et notamment le petit monde des tribunes, et la marque du plus célèbre joueur de tennis britannique.

1966, Fred Perry, qui s’était donc d’abord lancé à la conquête du très smart et élitiste univers du tennis, en jouant sur l’aura de son porte-étendard, ancienne gloire de l’équipe britannique en Coupe Davis, décide de s’attaquer au foot en sortant des polos aux couleurs des principaux clubs. Il faut dire que derrière la marque se cache aussi, et même à sa genèse, Tibby Wegner, un ancien et modeste joueur de football autrichien. C’est peut-être à cette occasion que se réalise la première rencontre entre les lauriers et le ballon rond. « Je me rappelle une photo d’Eddie McCreadie portant un Fred Perry, se souvient John King, auteur du cultissisme Football factory et immense fan des Blues. McCreadie était l’arrière droit de Chelsea à la fin des années 60, début 70, et très aimé des fans. Je pense que les joueurs des années soixante étaient davantage portés vers Fred Perry que leurs successeurs. Les supporters, quant à eux, en adoptaient généralement les polos si les couleurs correspondaient à celles de leur club. Donc les gars de Chelsea affichaient souvent le bleu avec les bandes blanches. »

Les skins, VRP bénévoles…

On le voit, ce cross-over n’eut franchement rien d’un mouvement naturel. L’appropriation de la marque par les jeunes anglais (voir le très beau docu de Don Letts sur la « subculture » anglaise commandé par la marque, qui pour le coup ne se résume pas à un simple outil de promo) aura plutôt eu tendance à créer un fossé entre les tribunes, et leurs évolutions, et le style Fred Perry, qui, de son coté, cultivera plutôt son image élégante liée au tennis, bref pas franchement « working class » (en gros, les cours de Wimbledon davantage que le « Crazy gang » du FC).

Les mods, arborant souvent fièrement les lauriers, ne se sentaient guère concernés par la chose sportive. Seule et brève exception, les skinheads, dans la continuité de leur aînés en scooter et en accord avec leur volonté de témoigner de leur particularisme ouvrier et anglais, adopterons, y compris dans les stades, leurs véritables « maisons » , le celèbre polo, tout comme la chemise Ben Sherman et plus tard les sweet Lonsdale. « Finalement Fred Perry fut révélé par les skinheads et les mouvements assimilés, tout comme Lacoste le fut par les soulboys ou les casuals, poursuit John King. Il se produisit une cassure assez définitive. Un skin, un boot-boy, un herbert, un punk n’auraient jamais enfilé un Lacoste. Il me semble que la différence tenait peut-être dans la qualité du vêtement. Les Fred Perry donne l’impression d’être plus « rugueux », la texture du tissu je veux dire, et c’est peut-être pourquoi les skins et les boot boys ont négligé les Lacoste qu’ils devaient trouver un peu trop « efféminés », jusque dans le touché et l’apparence. Les Lacoste se révélaient en effet plus doux au contact avec des couleurs plus vives. Finalement, les casuals me semblent plus proches des soulboys, qui se sont ensuite tournés vers le jazz funk et le disco, que dans la continuité des hooligans traditionnels, bien que je sache que ces termes sont aujourd’hui interprétés différemment. » Aujourd’hui encore, les skins sont occultés de la mémoire publicitaire de la marque qui préfère privilégier sa réappropriation par une partie de la brit pop (notamment Damon Albarn de Blur avec sa respectable fascination pour le Two Tone), bon moyen de toucher au passage un nouveau public de popeux tricolores ayant trop regardé Quadrophonia ou évidemment la « communauté » gay avec Macé-Scaron en homme sandwich.

Si l’on excepte le cas très particulier de Manchester avec ses Perry Boys et l’étrange fusion des styles dans la période « Madchester » où se culbutaient l’héritage de la northern soul, des scooters boys, l’avènement des raves, la boîte de nuit Hacienda du label Factory et – un peu – le foot (cf. le long papier dans le nouveau So Foot du mois de décembre), la logique de ce schisme culturel et générationnel s’imposa dans tout le Royaume-Uni. Lorsque que les Britishs déboulent en 1984 à Paris pour un célèbre France-Angleterre émaillé de violents incidents, souvent présenté comme l’acte de naissance du hooliganisme chez nous, c’est désormais du coté des frenchies que l’on affiche fièrement les lauriers.

Détournement mineur de logo

Amusant chassé-croisé, quand les jeunes casuals britanniques au début des 80’s se mettent à triper sur les marques italiennes comme Lotto et ne rêvent que de chausser des Adidas (tout comme les RUN DMC dans la scène hip-hop naissante aux States, mais ceci est une autre histoire), ce que relate le film Awaydays, tiré du roman du même nom par Kevin Sampson. En France, les premières bandes de skins et tout le following punk-friendly qui gravite autour imposent le Fred Perry comme un habit distinctif et quasiment identitaire, à l’instar des Doc Martens. Des biens qu’il faut alors savoir défendre férocement, tant les lieux où se les procurer sur la capitale s’avèrent rares – et il faut souvent traverser le Channel pour se fournir. Ce polo devient un insigne subversif typique, par goût de l’imitation de la Mecque londonienne, tant au niveau de la musique (cf. le groupe Oi R.A.S. de Bois-Colombes – ) que comme référence footballistique incontournable dans les gradins parisiens.

Ces diverses tribus jouent ainsi un rôle non négligeable dans la constitution des cultures ultras en France, ce qui fonde par la suite l’utilisation abondante du laurier sur de nombreuses écharpes, dans les logos des associations, sur les bâches ou lors des tifos, et cela toutes tendances ou colorations politiques confondues (des Ultramarines bordelais aux Commandos Ultras marseillais en passant par les feus BSN). Une imprégnation qui nous a récemment valu de contempler Aulas s’adressant aux supporters Lyonnais avec une écharpe des Bad Gones, ornée des fameux lauriers, autour du cou. Au-delà de la symbolique impériale et de la facilité de reproduction qui pèsent sûrement aussi, il n’en reste pas moins que l’on trouve désormais peut-être bien davantage de symbolique et de produits Fred Perry dans les tribunes de L1 qu’en Premier League. Nul n’est prophète en son pays !

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