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Kumzar FC, le football pour l’identité

Par Quentin Müller
Kumzar FC, le football pour l’identité

Kumzar, isolé et situé à l’extrême nord des montagnes du détroit d’Ormuz, fait figure de village d'irrésistibles Gaulois. Accessible uniquement en bateau ou en hélicoptère, le lieu renferme environ 4000 âmes dont la culture et la langue ne collent pas vraiment avec celle du reste de la péninsule. Même si l’arabe y est massivement parlé, le kumzari, mix de quarante-cinq langues dont le portugais, le français ou encore l’anglais, reste numéro un. Favori de la Coupe de football des gouvernorats d’Oman, son équipe joue son honneur et même un peu plus.

La salle est spacieuse, agrémentée de coussins, d’un immense écran plat et d’une Playstation 4. Des hommes en dishdasha et en massah se servent des thés et mangent quelques dattes sur des tapis. D’autres fument une chicha. Chacun échange dans un joyeux brouhaha devant un film taïwanais où une fille pleure le destin de son héros. « Ici, c’est réservé aux Kumzaris, aux vrais hommes » , balance Hassan Ali, le regard pétillant. Le jeune homme de vingt-sept ans est ingénieur. Il représente la nouvelle jeune génération moderne et connectée de Kumzar. Le football ? C’est le sport préféré « des siens » , malgré l’absence totale de terrain vague dans son village. « La ligue des governorats d’Oman a commencé. On la gagne chaque année depuis deux ans maintenant » , glisse Hassan un poil confiant. Dans une poule de trois, composée des rares équipes de la péninsule de Musandam, Kumzar a très mal débuté sa compétition en faisant 0-0 lors de son premier match. « Je n’ai pas compris ce nul. Normalement, on humilie tout le monde. Mes gars sont révoltés. » En cause, un vieux contentieux qui date du début des années 70, quand s’est posée la question de l’appartenance de Musandam. L’écrasante majorité des tribus locales, dont la principale, les Shihuh, font allégeance à Oman. Les Kumzaris veulent eux rejoindre les Émirats arabes unis. « Pendant longtemps, les gens de la ville à Khasab nous ont regardés de travers, nous ont fait des réflexions sur nos tenues, nous demandant pourquoi on s’habillait comme des Émiratis. » Même si Hassan avoue aujourd’hui que les tensions se sont calmées, l’ingénieur continue de penser que le sultanat d’Oman ne traite pas les gens de Kumzar de la même manière que le reste du gouvernorat de Musandam. « Quelques-uns de nos joueurs ont eu des touches avec de grands clubs émiratis, comme Al-Ahli Dubaï. Mais le gouvernement leur a fait des ennuis pour de la paperasse. » Sur ces paroles, Hassan est appelé dans un coin de la salle pour jouer un match de PES 2016. Les esprits se calment, chacun attend patiemment le prochain match de Kumzar prévu le surlendemain.

Fierté

Le soleil a diminué d’intensité. Il se cache désormais derrière les immenses montagnes rouges de la vallée. Les cinquante degrés de 14h sont redescendus à une température un peu plus acceptable. À 1h30 du coup d’envoi, quelques voitures climatisées commencent à converger vers le flambant neuf stade de Khasab de 11 000 places, ouvert il y a un peu plus d’un mois. À l’intérieur de ses travées, on s’agite pour préparer le match en tribune. On tire des tissus et dresse des drapeaux floqués « Kumzar » . Chacun vient sapé en orange, couleur du club et du village. Les plus jeunes sont en combo maillot-dishdasha, les plus anciens ajoutent quelques turbans orange dans leur massah. Diuaba, 18 ans, la moustache du pré-pubère, s’active. « Cette équipe est la nôtre. Tous les joueurs et tout le staff viennent du village. Ils ne se parlent qu’en kumzari sur le terrain. Un peu comme Bilbao. Ils sont une fierté, car beaucoup d’entre nous sont de simples pêcheurs. Peu vont loin dans les études, alors que les gens de Khasab, qui sont davantage des citadins, ont des postes plus importants. Ce qui crée forcément un sentiment d’infériorité. » Le temps d’un soir, l’équipe de Kumzar pourra ou non redonner un peu d’estime au peuple kumzar.

« Eux, à l’année, il se déplacent en voiture climatisée »

Dans les vestiaires, le stylo velleda pointé vers le ciel, Mohammed Ali, dit « Rooney » pour sa corpulence, peaufine avec ses joueurs les derniers préparatifs tactiques. Son speech raisonne. Kumzar doit impérativement s’imposer. Ce soir, son équipe jouera en 4-2-3-1 contre les Shebebs de Khasab devant 600 de ses supporters. Assis en tailleur sur un tapis, les joueurs sont attentifs. Personne ne rate une miette du discours d’avant-match. L’enjeu pour le tenant du titre dépasse les standards du sport. Ali Abdulrahim, le capitaine et numéro 10 de l’équipe, en a bien conscience. Premier joueur kumzar à avoir joué pour l’équipe nationale, le milieu de terrain chauve parle de match « pour notre identité » . À l’entrée des deux équipes sur la pelouse assoiffée mais uniforme du stade de Khasab, le chef des arbitres fait les cent pas, le regard inquiet. Au milieu des bruits de tambour, de haut-parleurs et de microphones, sa voix fluette passe mal : « J’espère que ça va aller ce soir. Les Kumzaris sont un peuple à part… Même s’ils sont arabes comme nous » , précise-t-il. Symbole d’une identité à part entière, un hymne kumzar retentit. Les joueurs font face à leur tribune, têtes baissées, les yeux fermés. Après le coup d’envoi, sur le rectangle vert clair, les humeurs n’ont pas vraiment le temps de se chauffer. Dès la troisième minute de jeu, sur une mauvaise sortie du gardien des Shebabs, le numéro 6 des Kumzaris ouvre le score d’un magnifique lob. À 1-0, la tribune des visiteurs s’enflamme. On scande « Allah-Allah Kumzar » avant de chanter en kumzari les louanges de l’équipe. Dix minutes plus tard, un joli coup franc sorti par leur gardien aurait pu réveiller les supporters des Shebabs. Mais les Khasabis, un peu moins d’une quarantaine, semblent endormis, à l’image de leur formation. « Eux, à l’année, il se déplacent en voiture climatisée, klaxonnent devant les boutiques pour commander quelque chose. C’est la facilité. Alors que nous, on vit isolé de tout, cernés par les montagnes, dans un petit village où le soleil tape plus fort qu’ici » , rigole Hassan, tambour à la main. À la 37e, le match semble prendre des allures de correction quand, en pleine surface, l’attaquant Kumzar humilie un défenseur d’une Bergkamp du pauvre, avant de fusiller le gardien. 2-0, puis 3-0 presque sur le coup d’envoi adverse. À la mi-temps, les gens s’en vont prier dans les salles du stade prévues à cet effet, ou sur les pelouses environnantes du parking.

Clapping

À la reprise, il faut un petit quart d’heure aux visiteurs pour enfoncer encore le clou. Sur une superbe passe en retrait du capitaine Ali Abdulrahim, Kumzar fait plier les Shebabs. Les Kumzaris en veulent plus, mais leur gardien commet une bourde et concède un penalty transformé par les adversaires. 4-1. Les petits pots d’eau piochés dans les glacières sont balancés de toute part. Malgré d’autres offensives, le Kumzar FC en restera là. Les joueurs se saluent, saluent le corps arbitral, puis se rejoignent en rang devant leur public. La séance de clapping peut commencer. Au vestiaire, malgré l’écrasante victoire, les joueurs restent calmes. Mohammed Ali est rassuré : « J’avoue que j’ai peu dormi ces derniers jours. J’avais tout un peuple derrière moi. Car même si le seul terrain qu’on a pour jouer c’est la cour de l’école, le peuple Kumzar adore le football. On a tous des abonnements aux chaînes sportives et beaucoup de nos joueurs ont appris à jouer en se contentant de regarder. Heureusement, en raison des températures trop chaudes dans notre village, on doit s’exiler trois mois avant la compétition ici à Khasab. J’y ai une maison et un petit terrain de foot en terre battue où on s’entraîne. » Tout heureux, Hassan zone dans les vestiaires et se prend en selfie avec les joueurs et le coach. « Pour nous, cette victoire, c’est le dernier pied de nez qu’on peut faire aux gens de Khasab » , sourit-il avant de disparaître dans l’immensité silencieuse des montagnes du détroit d’Ormuz.

Par Quentin Müller

Photos : @SebastianCastelier

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