Jour de calcio ordinaire…
Un match entre deux équipes du Sud par un dimanche après-midi. Sous un soleil printanier et une assistance clairsemée, le Napoli accueille la Reggina, au San Paolo. Jour de calcio ordinaire...
En ce dimanche 4 novembre, le soleil illumine les barres métalliques du Stadio San Paolo de Napoli. Les tifosi déambulent paisiblement entre les vendeurs d’écharpes à la gloire de l’équipe locale. Un doux vacarme, propre aux jours de matchs, s’élève de la foule. Le bruit du tract qu’on froisse et qu’on jette par terre avant même de le lire, les klaxons des vespas, les rires, les insultes. L’ordinaire de l’ultra sudiste. On commente les matchs de la veille, ceux d’aujourd’hui, en attendant ceux de demain. On parle de football et d’autres choses, un peu, tout en terminant de manger. Et puis, paré de ses plus belles lunettes de soleil, on rentre dans le stade, tout en vérifiant que sa coiffure est toujours en place.
Le stade n’est pas vraiment plein : 40 000 spectateurs, sûrement un peu moins. Mais qu’importe : bien avant le début du match, les Curva A et B, archi-pleines, donnent déjà de la voix. Devant ces deux virages, la piste d’athlétisme est soigneusement arrosée, en prévision des fumigénes que jetteraient les supporters. La Curva B, qui regroupe les supporters historiques, se met à scander « Noi non siamo carabinieri », « Nous nous ne sommes pas gendarmes », alors que la Curva A, plus jeune, plus contestatrice, plus violente aussi, agite ses drapeaux. Lavezzi, prodige argentin des Bleu Ciel, est le plus applaudi lors de la composition des équipes. Tous attendent un exploit de sa part, qui pourrait enfin consacrer le nouveau chouchou du public. Lorsque les joueurs du Napoli se regroupent au centre du terrain, une mystérieuse clameur s’élève des tribunes. Il faut attendre que le onze titulaire azzurro se relève auréolé d’un « Olé » général pour en comprendre l’origine. Ces mêmes « Olé » accompagnent le gardien Iezzo lorsqu’il touche superstisieusement ses poteaux et sa transversale. Un petit coucou aux supporters, et le match peut commencer.
La première mi-temps est plaisante. Le Napoli domine sans parvenir à concrétiser des occasions plus ou moins franches. A la dixième minute, Zalayeta profite de son retour sur les prés pour se créer une occasion très nette. Hamsik l’imite peu après. La Reggina plie mais ne rompt pas. A la 37ème, le club de Calabre, le bout de la Botte transalpine, y va d’une improbable aile de pigeon pour tenter de surprendre l’excellent Iezzo. Deux minutes plus tard, ce même Iezzo intercepte parfaitement un centre fuyant, sous les applaudissements de la foule. L’ambiance est surprenante pour le Français habitué à un supportérisme bien moins chaleureux. Il est difficile de se parler en tribune presse, alors que le stade n’est pas plein et que l’adversaire est dernier du championnat. Le biblique Ezequiel Lavezzi court partout. Pas toujours dans la bonne direction, certes, mais il court quand même. A droite, à gauche, devant, derrière : Lavezzi est partout, mais fait preuve de maladresse dans ses centres. Qu’importe, il a les faveurs du San Paolo, qui espère secrètement avoir enfin trouvé un successeur à Maradona. Le doux dingue. Les t-shirts « Tutti pazzi per Lavezzi » s’affichent fièrement sur les épaules des tifosi. Le temps passe vite et déjà l’arbitre siffle la fin de la première période.
Au retour des vestiaires, le soleil a disparu. Il entame, doucement, sa descente. La Reggina revient avec des intentions plus précises, et cadre pour la première fois grâce au surprenant Hallfredsson, chauve, Suédois, numéro 18 et chaussures rouges. Domizzi, défenseur gauche napolitain, tacle tout ce qui lui passe sous les crampons, tandis que Lavezzi affine ses chorégraphies et trébuche toujours lorsque vient le moment du dernier pas de danse. La Reggina ne se laisse pas pour autant impressionner et attaque timidement. Sur son premier corner, Vigiani place une tête décroisée d’école qui laisse le portier autochtone perplexe. 0-1, dans un silence tellement fort que l’on n’entend même pas la joie des quelques supporters calabrais qui ont effectué le court déplacement. Quelques trente secondes de cris, de sifflets à peine audibles, et le public se remet à chanter avec plus d’entrain.
Frustré d’avoir été surpris, le Napoli pousse. La tête de Grava est superbement détournée par le gardien calabrais, Campagnolo, en même temps que 40 000 spectateurs se décoiffent en s’attrappant la tête des deux bras en signe de déception. Le corner qui suit ne donne rien. Hallfredsson, chauve, Suédois, numéro 18 et chaussures rouges, se balade au milieu de la défense napolitaine et frappe au but (75ème minute de jeu) mais son tir n’inquiète pas le très populaire Iezzo. Les Bleu Ciel cafouillent leur football et pratiquent un jeu brouillon. Lavezzi y va de son petit slalom mais est taclé par Amuroso, revenu défendre. Sur l’arrêt de jeu qui suit, Reja, Mister napolitain, fait rentrer Sosa, pour dynamiser l’attaque de son équipe.
Le temps passe, et nos collègues transalpins en tribune presse méprisent l’objectivité anglo-saxonne : le peu d’ongles qui leur reste disparait au fur et à mesure que défilent les minutes. Le tout accompagné de « Dai ! », une injonction de trois lettres qui raconte toute une histoire. Evidemment, le « Forza ! » n’est jamais loin. Et les journalistes d’oublier petit à petit leurs obligations professionnelles pour donner, eux aussi, de la voix.
Calaio, un des principaux responsables de la montée en Série A, fait son apparition en lieu et place de Zalayeta. Depuis l’entrée de Sosa, les Azzurri ont abandonné leur 3-5-2 habituel pour un 4-3-3 électrique qui ambiance leur turbulent following. Il reste un petit quart d’heure et les locaux campent dans le camp calabrais.
Chevelure au vent, Ezequiel, le marathonien porteno, décide de prendre les choses en main. Il élimine un, deux, puis trois joueurs avant de s’empaler sur le quatrième (son spécial) à l’extrême frontière de la surface : penalty tranche le référé et tout le San Paolo s’embrase (tribune de presse comprise bien entendu).
Domizzi, qui en avait transformé deux contre la Juventus la semaine dernière, décide de passer son tour. Mauvaise pioche : Campagnolo, en état de grâce, repousse la frappe molle de Calaio. « Ils n’y arriveront pas » renâcle notre voisine de pupitre. Les défenseurs du détroit ont l’air pourtant fatigués, certains ont des crampes. Gargagno, le « nain » uruguayen, perd la balle au milieu de terrain, la récupère aussitot, s’enfonce dans la défense visiteuse avant de voir son tir repoussé également par le portier adverse. Le jeu est des plus haché. Ulivieri, le nouvel entraineur de la Reggina, coache comme dans le money-time au basket et fait rentrer tous ses remplaçants. Enième coup-franc dans le fort retranché calabrais, une tête puis une deuxième et Ezequiel Lavezzi, l’éternel sauveur biblique, fait taire tous ses détracteurs en expédiant une demi-volée stratosphérique dans les filets de Campagnolo. Ses contempteurs sont désormais aphasiques et le San Paolo entre dans une transe proche de la fusion nucléaire. On joue les ultimes millièmes de seconde du temps réglementaire. En Calabre, le désespoir est mutique (c’est bien connu). Durant les quatre minutes du pourboire arbitral, Calaio – le pauvre bougre – aura l’occasion de plonger la pointe sud de la péninsule dans un désespoir définitif mais sa frappe aux huit mètres enrhumera les nuages. Un nul, donc, qui ne satisfait personne puisque la Reggina demeure lanterne rouge tandis que le Napoli continue de se heurter aux mal classés et de camper dans le haut du ventre mou. En attendant mieux. Tout le Mezzogiorno l’espère et y compte fermement.
Luco Rizzitella
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