Hector Vieira – « Diego a toujours compris ce que je lui demandais »
Ancien international argentin et plus jeune meilleur buteur de l'histoire du championnat national à seulement 18 ans avec San Lorenzo, tout comme Maradona avec Argentinos, Hector Veira est une exagération vivante. Un don pour l'hyperbole qui en a fait néanmoins le premier entraineur de Caniggia ainsi que le coach du grand River de Francescoli. Après avoir purgé un an de prison pour un supposé détournement de mineur - la victime est aujourd'hui travesti et vend ses services sur internet - Veira est devenu commentateur vedette pour la chaîne Fox sports et un habitué de l'émission la Ultima Palabra, sorte de 100% foot argentin. Rencontre avec le dernier entraineur de la carrière de Maradona dans les fastueux locaux de Fox sports, à Buenos Aires.
Vous avez été le dernier entraîneur de Diego Maradona, quels souvenirs en gardez-vous ? Je garde un excellent souvenir de Diego. C’est une personne très attachante qui a toujours donné le maximum pour l’équipe. Avec moi, il n’a jamais eu de problèmes, car je lui laissais carte blanche. Son dernier match, c’était contre River Plate, un match que nous avions gagné 2-1. Ce jour-là, je le fais jouer mais normalement il n’aurait pas dû, car il n’était pas vraiment à 100% physiquement. Il revenait de blessure, mais je ne pouvais pas le priver de son dernier au revoir, qui plus est dans un Superclasico.
C’est vous qui avez demandé à l’avoir ou ce sont les dirigeants du club qui ont tout fait pour son retour à Boca ? Non, ce n’est pas moi qui ai organisé son retour. En fait, je voulais déjà qu’il vienne avec moi lorsque j’étais entraîneur de San Lorenzo, mais finalement ça ne s’était pas fait, surtout pour des raisons économiques. Aussi quand j’ai su que j’allais pouvoir l’avoir sous mes ordres à Boca, c’est comme si un rêve s’était réalisé.
Franchement c’était un choix sportif ou un rêve de gamin, parce que sa meilleure période était déjà loin derrière lui ?!! Nonnn ! Moi j’étais sûr qu’il pourrait revenir à son meilleur niveau. En plus de cela, il a un mental d’acier, c’est un vrai leader dans un groupe, il fait grandir les autres juste par sa présence. Quand il est venu à Boca, je ne me suis pas trompé sur lui, il était comme je l’imaginais. A l’entraînement, il était hyperactif, motivé, il donnait des conseils aux autres, les reprenait, c’était un vrai patron. Le jour du match, il faisait ce qu’il prêchait pendant la semaine. Vous savez, pour un joueur, savoir que Maradona joue à ses côtés, c’est très important, il joue libéré. Maradona était le centre d’attention de tout le monde, la pression de l’équipe c’était pour lui. Maradona aime la pression, il aime l’adrénaline, c’est ça qui distingue les très grands joueurs du reste de la meute.
Comment se sont passées les négociations ? A vrai dire, ça s’est fait rapidement, tout simplement parce que Diego est fou amoureux de Boca, c’est un fanatique de ce club. C’est le seul club pour lequel il aura fait des efforts financiers, et je pense même que c’est le seul club pour lequel il aurait payé pour jouer. Pour lui, il s’agissait aussi de boucler la boucle en revenant au club de ses débuts, celui de ses premières amours. C’est un grand romantique dans ce sens-là. A l’époque, son retour avait d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt en Argentine, mais aussi à l’étranger. Ca avait permis de faire beaucoup de publicité au club : le meilleur joueur de l’histoire du club et du football mondial était de retour à la maison !
S’il n’y avait pas eu les propositions millionaires des clubs européens, vous pensez que Maradona aurait aimé jouer toute sa carrière en Argentine? Oui, il me l’a même déjà dit. Mais il faut bien vivre, et je pense qu’il a quand même pris du plaisir à l’étranger. S’il avait fait toute sa carrière à Boca, il serait devenu un deuxième Bochini, qui a toujours représenté Independiente, ou un Pelé, qui a toujours joué avec Santos. Il est véritablement en adoration devant Boca, mais à l’époque les clubs européens étaient prêts à jeter la maison par la fenêtre pour s’attacher ses services. Boca ne pouvait pas suivre financièrement.
C’est facile de diriger Maradona ? Oui très. Il est très réceptif, il s’investit beaucoup. Vous savez, ce n’est pas moi qui allais apprendre le football à Maradona. La seule chose que j’avais à faire, c’était de lui expliquer mon schéma de jeu, et comment je voulais qu’il joue. Et il a toujours compris ce que je lui demandais.
Et comment vous le faisiez jouer ? Je ne voulais pas qu’il s’épuise dans les phases de récupération, je voulais qu’il exprime tout son talent là où il a toujours été le plus fort, du milieu de terrain vers l’attaque. Il tournait autour de Latorre et Palermo…A vrai dire, je le faisais jouer comme Bilardo en 86.
Il avait des défauts ? Non, la seule chose, c’est qu’il se blessait constamment, c’était vraiment dommage. Mais même à la fin de sa carrière, il avait gardé toutes ses qualités de vision, de passe, de lecture du jeu. Il palliait son manque de vitesse par son expérience, mais ce gars-là avait de l’or dans les pieds.
Si vous aviez eu le Grand Maradona, vous en auriez fait quoi ? Oh lala ! Ceux qui ont le plus profité de la plénitude de son talent sont El Flaco Menotti et Bilardo. Ca a dû être un bonheur pour eux de l’avoir.
Et pas pour vous ? Bien sûr ! La dernière année de Maradona a été fabuleuse, malgré tout ce qu’on peut entendre. Nous avons fini deuxièmes du championnat, à un seul point de River qui avait une très grande équipe : Salas, Francescoli, Montserrat…C’était du grand River !
Vous êtes connu pour être une grande gueule, comme Maradona. Comment ça se passait la cohabitation ? Oh vous savez, j’ai l’habitude des excentricités…C’est moi qui ai fait débuter Caniggia lorsqu’il avait 17 ans et il était pas mal dans son genre aussi ! Quand on s’est retrouvés tous ensemble à Boca, ça a été une grande fête, et une grande joie. On parlait de tout, on se disait des conneries. On discutait beaucoup de musique, de cinéma, de football…C’est un grand souvenir ! Chacun avait son petit caractère, Caniggia était un faux calme, et Diego était plus explosif. De toute façon, j’ai toujours eu la chance de diriger des joueurs fantastiques.
Comment vous voyez Diego aujourd’hui ? Je le trouve très bien. Il y a quelques jours, je l’ai vu jouer contre le Chili lors d’un match de Showbol et il courait partout, il était content. A la fin de son match, on est allé se faire un asado, et je peux vous dire qu’il mange bien aussi !
Est-ce qu’il est immortel ? Oh c’est joli ça ! Mais Dieu seul le sait. Le seigneur lui a donné un cœur différent des autres êtres humains. C’est un miracle qu’il ne soit pas encore enterré. Mais vous savez, Maradona a cette faculté d’oublier ses problèmes, il ne regarde jamais derrière lui, sa vie c’est toujours le futur. La seule chose qui l’intéresse, c’est demain.
Est-ce que Maradona avait besoin d’affection ? Oui, s’il est revenu à Boca, c’est aussi parce qu’il savait que les gens ne le critiqueraient pas ici. Il a besoin d’affection continuellement. Le Showbol, c’est un moyen pour lui de ne pas s’ennuyer et de se sentir aimé. C’est très important pour lui. Il ne pourrait pas vivre sans football, car il pense encore comme un joueur. Au moment des hymnes, avant les matchs du Showbol, il était très concentré, super sérieux, pour lui c’était comme un match de coupe du monde, alors que c’est juste du spectacle, ce n’est pas très sérieux. Maradona était et restera toujours joueur.
C’est parce qu’il pense encore comme un joueur qu’il a échoué en tant qu’entraineur ? Je pense, oui, il n’a pas totalement fait son deuil de cette période. Ce qu’il aime, c’est jouer à la balle, participer, et non pas regarder le jeu depuis le bord du terrain. S’il avait été remplaçant dans sa carrière, peut-être que ça aurait été mieux, mais heureusement ou malheureusement pour lui, ça n’a jamais été le cas.
Vous lui avez donné des conseils pour sa nouvelle vie ? Des conseils non, mais je l’ai préparé mentalement à son départ. Je voulais qu’il ait une belle sortie, et je crois que c’est ce qui est arrivé. Zidane par exemple, je trouve qu’il aurait dû continuer encore un an. Ici tout le monde se souvient de son coup de tête, alors que c’était un joueur merveilleux. Maradona n’aurait pas supporté de quitter le football comme « Sisou » .
Vous vous êtes déjà affrontés en tant qu’entraineurs ? Oui, c’était pour un match de championnat, lorsque je suis revenu à San Lorenzo, lui était à Mandiyu. L’arbitre avait été mauvais et comme on a tous les deux des grandes gueules, on l’avait critiqué ; résultat, on s’est fait expulser tous les deux du terrain. Mais bon, on en a plus rigolé qu’autre chose.
Quand vous vous êtes rendu compte que c’était vous qui alliez le diriger pour la dernière fois, vous avez pensé quoi ? J’ai eu peur (rires). Vous vous rendez compte, le meilleur joueur de football de tous les temps arrête sa carrière avec moi ! C’était quelque chose ! Je l’ai fait jouer le dernier match, et je l’ai sorti en début de seconde période. A la pause, je l’avais prévenu, il n’en pouvait plus, et son émotion n’arrangeait rien: « Diego ça suffit, ne joue plus sinon tu vas tout te casser » . Sur le moment il n’a pas compris, puis finalement il a compris…
Au fur et à mesure que le match approchait de son dénouement, vous regardiez plus Maradona ou votre équipe ? Moi j’avais un œil sur l’être humain. Il était très silencieux, il semblait réfléchir et prendre conscience que la fin du match serait la fin de sa carrière. Quand l’arbitre a sifflé la fin de la partie, nous nous sommes embrassés longtemps, il était vraiment ému. « Ca y est Diego, C’est bon ! Tu ne peux pas donner plus, tu vas te faire du mal » . C’était comme si je parlais à un boxeur qui venait de perdre son combat.
Quel est votre meilleur souvenir avec lui ? Mis à part tous les miracles qu’il a réalisés tout au long de sa carrière, je crois que le jour de son retour avec Boca contre Racing m’a vraiment impressionné. La Bombonera était en délire, on aurait dit que le stade allait s’effondrer tellement il y avait de bruit. C’était vraiment hallucinant ! C’était une explosion de joie incroyable…
Pourquoi les gens pardonnent tout à Diego ? L’amour rend aveugle. (Rires).
Comment préparait-il ses matchs ? Quand il revient à Boca, il est très entouré. Il y avait Ben Jonhson, son préparateur physique, puis un kiné hongrois, une masseuse…Bref il avait tout préparé dans les moindres détails. Sauf qu’il s’était ramené avec un tapis de course gigantesque qui ne rentrait pas par la porte des vestiaires. Il a donc fallu défoncer tout le mur pour le faire passer ! Avant chaque match, il s’est senti obligé de l’utiliser ; il y avait toujours toute son équipe à côté de lui, il devait y avoir 60 personnes en train de le regarder courir. C’était le cirque, et un jour je suis rentré, j’ai vu tout ce bordel et j’ai dit : « Putain, ici il ne manque plus que Don King ! » (il éclate de rire). Il y avait Ben Jonhson, son manager, bref…On a beaucoup ri grâce à cette machine. Ben Johnson était très important pour Diego, c’était un coach mental, un préparateur physique, un nutritionniste, sans lui, il n’aurait peut-être pas terminé la saison.
Il raconte des blagues Maradona ? Oui il en raconte beaucoup, là je ne m’en rappelle plus, mais c’est souvent marrant.
Propos recueillis par Alexandre Gonzalez et Javier Prieto Santos, à Buenos Aires
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