Entretien avec Serge Tisseron
Psychiatre et psychanalyste, Serge Tisseron est aussi un spécialiste des relations avec les images ("Psychanalyse de l'image", éd. Dunod, "Vérités et mensonges de nos émotions", éd. Albin Michel). Dans cet entretien, il revient sur le geste de Zinédine Zidane et sur la communication du joueur.
Qu’avez-vous pensé de la façon dont Zinédine Zidane s’est exprimé sur cette affaire ?
Il est apparu gêné et partagé. Visiblement ses excuses ont été arrachées et faites par rapport à un acte dont la violence peut servir de violence. Tout en reconnaissant son influence sur le public, le joueur avouait qu’il était aussi un homme et que l’insulte lui était insupportable. Il semblait être dans la difficulté d’intérioriser l’idée de sa représentation. Au moment du coup de tête, il y a eu une confusion des espaces. Par cet acte, Zinédine Zidane a répondu comme à une affaire privée alors qu’il était dans un espace public. Cela diminue beaucoup la portée de ses excuses.
A t-il su recoudre l’image déchirée par cet acte ?
Très partiellement bien qu’il bénéficie d’un capital de sympathie exceptionnel. Zidane n’a pas présenté d’excuses, n’a pas demandé pardon auprès du public qui croyait que les Bleus pouvaient gagner le mondial. Cela reste par conséquent problématique car il cristallisait les espoirs de beaucoup de supporters. Il avait un côté touchant, pas du tout prétentieux. Mais il s’est trompé d’espace et n’a pas joué le jeu de l’héroïsation.
Comment un joueur aussi chevronné peut-il littéralement craquer ?
Il faudrait voir l’effet des substances qu’absorbent les joueurs, les cocktails tonifiants, même si la FIFA refuse les contrôles. Il ne faut pas oublier la tension terrible qui prévalait à dix minutes de la fin du match et le poids des responsabilités, trop lourdes à porter pour un seul homme. Et puis Materazzi l’a titillé en l’abreuvant d’insultes.
ZZ a déclaré : « Je suis un être humain. J’ai essayé d’être le plus honnête avec ce que je suis et ce que je représente. » A t-il inconsciemment voulu briser cette image de gentil véhiculée par les médias ?
La seule certitude c’est qu’il a modifié son image de personnage public. Il y a un moment où la distance entre le personnage public et sa réalité était trop grande. Sa manière de se comporter était adaptée à certains milieux mais certainement pas à celui du stade. Il a répété qu’il était fier d’être un homme face à un autre homme. D’ailleurs, quand Zinédine Zidane déclare qu’il va prendre une licence amateur pour jouer avec ses amis d’enfance, il nous donne le mode d’emploi de sa réaction qui est celle d’une identité privée. C’est un grand footballeur qui n’a pas renoncé à son côté « mauvais garçon ».
Zidane parle de réaction suite à une provocation. Est-ce une manière de prôner la légitime défense ?
Oui, mais il faut comprendre que les insultes étaient continues, dans un état de stress permanent. Cependant, il y a des règles sociales. Ce n’est pas le même degré de gravité que d’insulter ou de frapper. Il y a une différence entre penser la violence et agir dans la violence. Dans ce cas présent, il y a une gradation et la légitime défense apparaît comme l’argument le plus fragile. L’escalade de l’agression est problématique car le joueur n’en a pas pris conscience dans ses explications. En revendiquant son existence personnelle, il a eu un comportement suicidaire symbolique. Zidane dit implicitement qu’il y a erreur sur la personne et qu’il a le droit de cogner. En présentant ses excuses, il affirme que si c’était à refaire, il le referait. C’est sa morale à lui par rapport au personnage qu’on a voulu lui faire jouer. On ne lui pardonne pas d’avoir cassé cette image. De ce fait, il n’entre pas dans la légende comme un héros.
Il dit ne pas regretter son geste en affirmant que c’était une manière de ne pas donner raison à celui qu’il appelle le provocateur. En quoi le passage à l’acte rétablit-il une vérité ?
C’est une réponse adaptée à sa logique intime. L’erreur est d’avoir transposé cette règle sur une finale qui portait les espoirs de millions de supporters. Il a réagi comme s’il était le seul en cause en déplaçant la violence vers un espace public.
Cela est très subjectif…
S’il n’ y avait eu personne pour le voir, il n’aurait probablement pas présenté ses excuses.
Dans ses propos, il laisse transparaître une double sanction : son expulsion et l’impunité de celui qu’il appelle le provocateur.
Il demeure dans sa logique personnelle, je le rappelle, qui est différente de celle du personnage médiatique. Il n’a pas endossé le costume de héros mais a réagi comme avec ses copains.
Propos recueillis par Nasser Mabrouk
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