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David Régis : «  L’homme reste quand même une bête intelligente »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
David Régis : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span> L’homme reste quand même une bête intelligente<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a 20 ans, au stade de Gerland, États-Unis et Iran se rencontraient en Coupe du monde. Entre le « Grand Satan » et une « nation infréquentable », la méfiance était telle que les médias et les pouvoirs politiques ont poussé leurs sélections à rejouer à Lyon un duel que les pays se livrent depuis 1979. Le défenseur franco-américain, David Régis a vécu de près une des rencontres les plus politisées de l'histoire du foot.

Comment un Martiniquais se retrouve-t-il à défendre les couleurs américaines lors d’un Mondial organisé en France ?Je me suis marié à une Américaine en 1995, et Steve Sampson, le coach de la Team US, m’a repéré lorsque je jouais à Karlsruhe. On a fait en sorte d’accélérer les démarches pour que je sois naturalisé et le 10 juin 1998, jour de l’ouverture de la Coupe du monde 1998, j’ai eu mon passeport américain. Avant ça, j’ai pu faire quelques stages avec la sélection, j’ai participé à un match amical.

Quand on débarque dans une équipe à quelques heures d’une Coupe du monde, comment est-on accueilli ?Super bien, j’ai même été surpris. C’est comme si j’arrivais dans un groupe que je côtoyais depuis un bon moment. Je connaissais des joueurs qui évoluaient en Bundesliga comme Claudio Reyna, Chad Deering. Je faisais chambre commune avec Alexi Lalas. Et puis, je n’étais pas le seul naturalisé : le capitaine Thomas Dooley venait d’Allemagne, Tab Ramos d’Uruguay, Predrag Radosavljević de Yougoslavie, Roy Wegerle d’Afrique du Sud… Au départ, je pensais que le fait que je sois tout de suite titulaire allait poser problème, mais au contraire, ils étaient contents de pouvoir compter sur moi.

Le 21 juin, pour votre deuxième match, vous rencontrez l’Iran. Sûrement le match avec le plus d’enjeu politico-historique de ce Mondial. Le président de la Fédération américaine avait même qualifié cette rencontre de « mère de tous les matchs » au sortir du tirage au sort de la Coupe du monde. As-tu senti une pression particulière avant cette rencontre ?

On a eu l’impression d’être désignés comme des diplomates, sans qu’on ait demandé à l’être, comme si c’était à nous de refaire l’histoire.

Nous étions focalisés sur l’enjeu sportif, mais on ne pouvait pas ignorer les débats qui entouraient cette rencontre. On avait perdu notre premier match contre l’Allemagne, donc on devait à tout prix gagner. Ce sont les médias qui nous ont mis la pression. Ceux qui venaient nous interviewer n’étaient pas des journalistes sportifs, mais des journalistes politiques. Ça a fini par nous énerver : on est des sportifs et on n’a pas à répondre à des questions sur la diplomatie internationale. On a eu l’impression d’être désignés comme des diplomates, sans qu’on ait demandé à l’être, comme si c’était à nous de refaire l’histoire.

Quand tu parles de pression, ça se matérialise comment ?Il y a un peu de tout. Des journalistes de grandes radios ou de télés américaines sont venus juste avant le match face à l’Iran. Ils ne connaissaient rien de tout au foot et ils ne parlaient que de ça. Chez les politiciens, il y a eu des déclarations avant ce match. Moi, je ne lisais pas trop la presse, mais ce sont des choses qui participent à créer un climat particulier. Il y a un journaliste qui m’a demandé si j’allais serrer la main d’Ali Daei, la star de cette équipe qui jouait à Bielefeld. J’avais joué contre lui deux mois auparavant, je ne vois pas pourquoi cette fois je ne lui aurait pas serré la main. Entre-temps, il n’avait pas tué ma famille ou autre chose. C’était aberrant.

Le contexte a donc vraiment perturbé votre préparation.Oui, forcément. En 1998, on était basés dans la banlieue de Lyon, à l’écart de tout (Saint-Jean d’Ardières, N.D.L.R.), à regarder les matchs à la télé. Les Américains aiment sortir, manger leurs hamburgers. Et là, on ne pouvait pas sortir, il y avait des policiers partout. On se sentait coincés. Quand tu dois jouer un match de cette importance et que tu es coupé à ce point du monde extérieur, ça joue sur le mental du groupe. On n’était pas assez forts pour passer au-dessus de ça. En 2002, on était plus libres, ça s’est vu à notre parcours (défaite lors des quarts de finale face à l’Allemagne, N.D.L.R.).

Est-ce que tu as eu des échos sur la façon dont ce match a été vécu aux États-Unis ?Mon épouse était là-bas et m’a dit que peu de monde en parlait. Avec le décalage horaire, ça a calmé les choses. Le public n’a pas suivi l’hystérie des médias et des politiques. Pour moi, c’était un match excitant, où on pouvait comparer le football américain et le football iranien. La seule question politique qui pouvait être intéressante était : est-ce que le sport va permettre de rapprocher deux pays ou, du moins, permettre aux hautes sphères de se rapprocher et d’arranger les choses ? Rien de plus.


Les joueurs américains avaient-ils conscience des tensions politiques extrêmes entre les deux pays, comme la crise des otages américains en Iran en 1979 ou encore la destruction en vol de l’avion Iran Air 655 en 1988 ?Ceux qui avaient un intérêt pour la politique, oui. Mais on n’en parlait quasiment pas.

J’ai vraiment compris que dans certains coins du monde, les États-Unis, c’est vraiment l’équipe à battre, car considérée comme « Le Démon« .

Quand je posais les questions, on me répondait : « Dans chaque tournoi, partout où l’on va passer, il y aura toujours une équipe ou un joueur qui n’aimera pas les État-Unis. » Par rapport à nos matchs de qualification, j’ai pu le remarquer. J’ai vraiment compris que dans certains coins du monde, les États-Unis, c’est vraiment l’équipe à battre, car considérée comme « Le Démon » . Quand tu joues tes matchs de qualif’ au Costa Rica ou au Guatemala, des pays très anti-américains, c’est pire. Au Guatemala, on jouait dans l’après-midi et, pour des raisons de sécurité, et on ne pouvait sortir du stade qu’à deux heures du matin. Le 21 juin à Gerland, même si l’Iran avait un public nombreux et bruyant, la pression venait surtout du fait que si l’on perdait ce match, on était éliminés, pas de l’environnement.

Le guide suprême iranien Khamenei avait donné des ordres pour que l’équipe iranienne ne marche pas vers les Américains. Finalement, c’est vous qui brisez la glace et marchez les premiers vers eux pour les saluer en début de match. La photo où joueurs iraniens et américains sont mêlés, c’était prévu en amont ?Non, rien n’était prévu. L’homme reste quand même une bête intelligente. Nous, les seules consignes qu’on a eues étaient juste sur le match en lui-même. Pour le protocole, il fallait que quelqu’un fasse le premier pas, c’est tout. Je me souviens que le capitaine, Thomas Dooley, nous a dit tout simplement une fois après les hymnes : « Allez les gars, on va faire la photo tous ensemble. » Ça a suivi, il n’y a pas eu de réticence. Malgré ce qu’on dit, notamment que les sportifs n’ont pas grand-chose dans la tête, ils ont quand même un grand cœur.

Est-ce que tu as senti les Iraniens plus tendus que vous ?Pour eux, ça devait être plus difficile. Ils ont dû entendre d’autres discours, un peu plus durs, pour dire : « Montrez-vous » , « Marchez sur les États-Unis » … On ne sait jamais, avec les fanatiques qui étaient dehors, ce qui aurait pu leur arriver s’ils avaient perdu contre nous. Pour eux, ça devait être terrible. Ajoutez à ça le fait que les deux équipes avaient perdu leur premier match… Tu n’as qu’une envie : être sur la pelouse pour qu’on parle d’autre chose. De se lâcher.

Sur le plan du foot, que saviez-vous de la sélection iranienne avant ce match ?Pas grand-chose, mais on a étudié leur jeu. Ils avaient des joueurs très techniques, qui aimaient jouer au ballon, aller au pressing. On savait que tout passait par Ali Daei. Mais il ne fallait pas s’arrêter à ça. Sur le papier, on était plus forts, en matière de talent pur, mais ils y ont mis plus de cœur que nous. Les mecs les moins techniques ont couru ce jour-là à 200 km/h.

Dans les tribunes s’opposaient alors les soutiens de la présidente du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) en exil, Maryam Radjavi, qui s’opposait au régime des Molahs, et ceux qui soutenaient officiellement le pouvoir en place en Iran… Vous étiez conscients que les supporters iraniens étaient eux-mêmes divisés ?À un moment, je n’ai pas compris. J’ai vu qu’il y avait des échauffourées en tribune. Je me suis demandé si c’était des Américains qui n’avaient pas trouvé de place et qui se sont retrouvés au milieu de tout ça. Mais j’ai appris plus tard que c’était à cause des différends politiques au sein même des supporters iraniens.

Vous dominez globalement la rencontre, mais est-ce que vous aviez l’impression qu’ils avaient plus de hargne pour l’emporter ?Ah ben, ils avaient plus de cœur, plus de chance, tout ce qu’on veut. Ils ont couru plus que nous, jusqu’à la dernière minutes. Ok, on a eu plus d’occasions, mais on n’a pas été capables de marquer. Notre chance on l’a eue, eux ils ont su convertir les leurs et gagner le match (2-1, N.D.L.R.).


On parle d’un match engagé sans être pour autant violent. Toi tu t’en sors avec un carton jaune. De quoi tu te souviens sur ce plan-là ?Non, c’était un bon match. Je ne peux pas dire box-to-box, mais dès qu’il y avait une perte de balle, ça partait dans l’autre sens : à moi à toi, à toi à moi. Chaque personne avait peur. Mais le match en lui-même était plaisant. Techniquement, peut-être pas super beau parce qu’on a raté plein de trucs. Mais en matière d’engagement, c’était pas mal. C’était un bon match de Coupe du monde.

Est-ce que la défaite a été plus lourde à assumer du fait qu’elle ait été concédée face à l’Iran ?Non. Qu’on perde contre eux ou une autre équipe, ça signifiait que nos chances de qualification étaient moindres. On n’a pas pensé tout de suite à ça.

Si les politiciens ne peuvent pas se parler, les sportifs peuvent prendre le relais.

Finalement, malgré la tension qui avait caractérisé l’avant-match, la rencontre s’est déroulée dans de bonnes conditions. Et les deux équipes s’affronteront même sur le sol américain un an et demi plus tard, en 2000. Cette rencontre a été une réussite pour rapprocher ne serait-ce qu’un peu les deux pays.Oui, c’est ce qu’on s’est dit. Si les politiciens ne peuvent pas se parler, les sportifs peuvent prendre le relais. On a une autre mentalité, nous, les sportifs. On espère toujours que les hommes politiques prennent conscience de ça.

Les dirigeants de l’époque, que ce soit Bill Clinton ou le président Mohammad Khatami, avaient le souci d’apaiser les relations irano-américaines. Mais s’il s’était joué en 2018 sous la présidence de Donald Trump, qu’est-ce que ça aurait donné ?Ça aurait pu être pire ! Monsieur Twitter aurait balancé des trucs, il aurait attisé tout ça. Je ne sais pas dans quel sens parce qu’il est tellement imprévisible… Il y aurait eu des fous rires et des larmes.

Dans cet article :
La comparaison de gros beauf de l'entraîneur de Gijón
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Propos recueillis par Mathieu Rollinger

L'histoire complète de ce match est à retrouver dans le magazine So Foot #156, consacré au vingtième anniversaire de France 98.

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