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Dans les entrailles des baby-foot Stella

Par Eric Carpentier
Dans les entrailles des baby-foot Stella


Elle fait partie des classiques des baby-foot français. Ce week-end, la marque Stella a ouvert les portes de son atelier. Visite guidée.

C’est un entrepôt anonyme, perdu dans une zone d’activité de Tourcoing, dans la métropole lilloise. Un panonceau annonçant des portes ouvertes, quelques voitures garées sous la pluie. La porte franchie, l’ambiance se réchauffe de plusieurs degrés : une dizaine de baby-foot sont éparpillés, des adultes à l’esprit gamin discutent autour d’un gobelet de rouge ou, surtout, en taquinant les barres. Ici, point de demi, de gamelle ou de galinette cendrée. Les curieux sont avant tout des amis du nouveau patron de la marque, invités à redécouvrir les joies d’un jeu de café qui aspire à réinvestir l’espace familial. Nicolas Chantry accueille chaleureusement chaque arrivant, reprenant avec pédagogie les origines et spécificités des baby-foot Stella. Une histoire teintée de deux couleurs, le rouge et le jaune, et qui fait résonner le bruit caractéristique de la balle tapant le fond du but.

Stella – 62 Oye-Plage – Tel (16-28) 23 13 29

Si la marque est identifiée au Nord, Stella n’est née ni dans l’Artois ni aux abords de la plage du même nom, au sud de Boulogne-sur-Mer. Mais bien à Paris, au 4 rue Scipion, une adresse qui peut encore se lire sur les cendriers des premiers modèles, les Stella Champion produits à partir de 1928. Quant au nom, il s’agirait tout simplement de celui de la fille du fondateur, Auguste Sarrault. Caisse rectangulaire, pieds droits sur sabots, la table de foot d’origine présente un look définitivement hors du temps. Mais la forme restée mythique est celle de sa petite sœur, remplaçant l’aînée en 1959. C’est elle qui envahit cafés et espaces communs, avec sa caisse en forme de coque de bateau montée sur pieds rouges inclinés. Rachetée en 1971 et installée à Oye-Plage, entre Dunkerque et Calais, la marque devient la préférée des joueurs du dimanche – les incontournables Bonzini tirant plutôt vers l’excellence de la compétition – qui peuvent désormais tenter de rentrer des « cendars » entre les inscriptions « Stella – 62 Oye-Plage » accompagnées d’un numéro de téléphone à quatre plus six chiffres. Un attachement toujours d’actualité malgré le déménagement à Tourcoing en 1995.

C’est ici que tout se passe désormais. Avec cinq ouvriers, il ne faut, pour produire un baby-foot, pas plus de « huit jours entre la commande et la livraison » selon Nicolas Chantry. Mais si la ligne est optimisée, il ne s’agit pas pour autant d’une production industrielle. Avec 8% de parts de marché et 1200 exemplaires produits en 2014 (1000 pour Stella, 200 pour la marque allemande Deutscher Meister, détenue par Stella), la fabrication se fait de manière artisanale et quasiment exclusivement à flux tendu. Suffisant pour être le challenger français n°1 de Bonzini et ses 30% de baby-foot vendus, aux côtés des Petiot ou René Pierre. Pour aller titiller Bonzini de plus près, il faudrait se mettre aux normes des règles harmonisées par l’International Table Soccer Federation et être homologué pour les compétitions officielles à l’instar de Bonzini, Garlando ou Roberto. Sauf que cela se ferait aux dépens des particularités qui font la fierté des tables Stella : le jeu de tête grâce à des joueurs plus grands, et les balles sautées via les bandes latérales obliques. Et pour Stella aujourd’hui, pas question d’abandonner ce qui fait son ADN.

Placement des joueurs et Franck Ribéry

Avant d’en arriver au jeu, il faut passer par le travail, « avant tout un métier de menuiserie » . Si les toupies et dégauchisseuses des années 60 ne sont plus là que pour l’ornement, toutes les pièces de bois sortent de l’atelier grâce à une machine numérique qui envoie la coupe en dix minutes d’après les formes modélisées. Certaines pièces passent ensuite à la peinture, celles de medium non recouvertes d’un apprêt préalable, avant l’assemblage de la caisse. Les fonds de jeu sont montés à l’ancienne, selon une structure permettant une certaine souplesse, et recouverts de ce bon vieux linoleum en voie de disparition heureuse dans les intérieurs actuels. Puis les cages de buts, les cendriers et, enfin, les barres et les joueurs. C’est là le point le plus sensible : la ligne et l’arrondi des barres doivent être vérifiés manuellement – les parties métalliques proviennent de fournisseurs français ou italiens – et rectifiés le cas échéant. Les joueurs sont ensuite placés sur des tables maison, reprenant par des petites cales en bois les espacements correspondant à chaque ligne. Plus de moulage désormais, mais une vis au cœur de chaque joueur pour un meilleur SAV : si une barre est tordue, il n’est plus besoin de perdre ce cher milieu au pied délicat, quelques coups de visseuse et une nouvelle barre permettent de repartir d’attaque. Avant d’en arriver là, un coût certain : un baby-foot Stella Champion actuel verse dans les 1 500 €.

Malgré ce prix, les baby-foot se vendent bien, les augmentations de chiffre d’affaires sont significatives sur les dernières années. Cela malgré la chute vertigineuse du nombre de cafés, passés de 220 000 dans les années 60 à peu ou prou 40 000 aujourd’hui. La mode du rétro d’une part, et la recherche, selon Nicolas Chantry, de « nouveaux réseaux sociaux » . Ainsi que la découverte d’utilisateurs inattendus : dans les maisons de retraite ou les centres de rééducation, des « billards chinois » sont installés pour des vertus avérées de l’ordre de l’activité douce et de la stimulation intellectuelle. Il y a aussi des amateurs plus fortunés : récemment, un baby-foot Stella a été livré chez Franck Ribéry, à Munich. L’histoire ne dit pas s’il s’autorise les pissettes.

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