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Cyril Domanico : « Les Russes sont venus faire cette démonstration de force »

Propos recueillis par Adrien Hémard-Dohain
Cyril Domanico : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Les Russes sont venus faire cette démonstration de force<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le 11 juin 2016, quelques centaines de supporters russes déferlaient sur le Vieux-Port de Marseille pour y attaquer leurs homologues anglais, en marge d’un match de l’Euro au Vélodrome. Six ans plus tard, le réalisateur marseillais Cyril Domanico sort un documentaire qui revient sur la bataille de Marseille, et surtout sur ce qui a suivi.

Vous sortez le documentaire Battle of Marseille sur France.tv Slash ce jeudi. Pourquoi revenir sur ces évènements six ans après ? Ce documentaire, c’est l’occasion de prendre le sport comme point de départ, et de raconter autre chose. Là, on montre que derrière, il y avait de la politique, une enquête policière. Et je suis marseillais, donc ça m’a touché de voir ma ville dans cet état. Je suivais les Bleus pour Canal+ et j’étais à distance quand les événements se sont passés. C’est via Twiter que je comprends qu’il se passe un truc inhabituel. J’appelle des collègues sur place, et je comprends vite que la réalité des évènements diffère de ce qu’on voit dans les médias, qui parlent d’affrontements un peu simples entre supporters. Il y avait quand même une tentative préméditée d’attaquer les Anglais de la part des Russes.

L’enquête a duré cinq ans. Et ça continue encore, puisque malheureusement, un supporter britannique est handicapé à vie.

Le sujet a fait la Une dans le monde entier, mais les suites sont beaucoup moins connues. Vous avez dû enquêter longtemps ?Ce qui m’intéressait, c’était de déterrer cette histoire oubliée pour raconter qu’en dehors de l’intérêt médiatique, il s’est passé plein de choses. L’enquête a duré cinq ans. Et ça continue encore puisque malheureusement, un supporter britannique est handicapé à vie. Il y a des gens qui ont été à peu près identifiés et qui sont toujours dans la nature et des responsables qui ne seront jamais arrêtés. L’histoire ne s’est jamais fermée.

La première étape a été de rassembler toutes les images d’archives pour reconstituer les évènements. Comment avez-vous fait ?Tout a été filmé en direct sur Twitter et Periscope. Et ça se passe dans un des endroits les plus surveillés de Marseille, avec beaucoup de vidéosurveillance. On a pris le temps de reconstituer tout ça, en se procurant même des vidéos que la police n’a pas eues. Ça nous a pris des mois. Je suis allé traîner dans tous les bars autour de la place. Petit à petit, les vidéos nous arrivaient. On s’est procuré des documents judiciaires aussi, de Scotland Yard (le QG de la police anglaise) et de la justice française.

Vous avez aussi réussi à interviewer Alexandre Chpryguine, le responsable des supporters russes à l’époque. Comment met-on la main sur ce personnage controversé ? À l’époque, de par son rôle et sa proximité du pouvoir, c’est quelqu’un qui a beaucoup parlé. Il n’était pas impossible de le contacter. Ce qui était difficile, c’était d’arriver à le convaincre de parler face caméra. On lui a assuré de donner du temps long aussi à ses arguments, sans lui donner une tribune. On voulait comprendre l’état d’esprit russe. Quand ils te disent « On est génétiquement différent », ils le pensent. On ne caricature rien.

L’autre tour de force, c’est d’avoir eu Scotland Yard…Quand on démarre l’enquête, ils n’avaient jamais parlé, sûrement à cause du contexte politique. Mais on a tellement passé un cap l’an dernier avec la guerre qu’ils n’en sont plus là, ça délie les langues, il n’y a plus la prudence diplomatique hypocrite. C’est aussi le moyen de réhabiliter le fait qu’ils ont très bien travaillé sur cette question.

C’est quand même assez fou que derrière du sport, on se retrouve avec Scotland Yard qui fait une enquête internationale.

Le documentaire prend parfois des allures de film de guerre, d’espionnage, avec la reconstitution du champ de bataille. On est loin du sport.C’est un choix de réalisation. C’est quand même assez fou que derrière du sport, on se retrouve avec Scotland Yard qui fait une enquête internationale. C’est un polar : il y a de l’identification, des écoutes téléphoniques… J’avais des références comme Le Bureau des légendes pour rajouter au documentaire un côté un peu rafraîchissant et utile aussi dans la narration. Je ne voulais pas que ce soit gratuit, mais que ça apporte une information. Le côté film d’espionnage a renforcé le propos en rendant ce film plus original.

Le doc montre également le fait que les Russes étaient coordonnés et préparés, mais on ne sait pas qui est derrière. On en sait plus aujourd’hui ?Les faits, c’est qu’il y a des Russes qui se sont organisés, qui se sont retrouvés là. En ayant vu les vidéos, je peux affirmer qu’il y a au moins deux groupes russes qui s’organisent et qui partent à un moment donné autour de 17 heures pour aller vers les Anglais. L’enquête de police britannique a identifié des leaders. Mais en dehors de ça, il est presque impossible pour nous comme pour la police de savoir exactement à quel point tout est orchestré. Il y a plein de choses officieuses dans cette histoire. On sait que les avions étaient affrétés par la fédération russe. Une partie des supporters violents, qui sont des anciens hooligans, sont arrivés par ces avions. Les autorités russes n’ont rien fait pour empêcher ça. Mais après, quand on veut remonter plus loin, même la police britannique n’arrive pas à établir des liens. C’est aussi la manière dont a souvent fonctionné l’État russe : tout n’est pas officiel. On laisse faire des coups de force par des gens qu’on connaît et qui représentent de manière officieuse le pays.

À deux ans du Mondial en Russie, ça pouvait être utile au pouvoir russe de montrer que la France gérait mal son Euro, en gros ?Exactement. Mais rien n’est officiel, donc on ne peut pas les incriminer. On ne peut pas dire aujourd’hui que c’est Poutine qui a payé des gens pour cela. En revanche si tu remontes, tu trouves des gens impliqués qui sont proches du Kremlin, dont Chpryguine, écarté de ses fonctions officielles juste avant la Coupe du monde…

Parmi les Russes, il y a des gens qui sont moins politisés, mais habitués à se battre, et ils viennent parce que l’Angleterre, à ce moment, c’est un symbole.

Une autre thèse, c’est que les Russes voulaient montrer face aux Anglais, qui plus est à Marseille ravagée 18 ans plus tôt lors d’Angleterre-Tunisie, que c’étaient eux les patrons du hooliganisme moderne.Oui, il y a aussi les supporters violents qui, eux, sont venus faire cette démonstration de force face aux Anglais qui représentent à la base le summum des hooligans. Bien sûr, parmi les Russes, il y a des gens qui sont moins politisés, mais habitués à se battre, et ils viennent parce que l’Angleterre, à ce moment, c’est un symbole.

Un symbole de terrasser les Anglais dans une ville qu’ils ont saccagée 18 ans avant…C’est exactement ça. Ce que l’Angleterre a utilisé derrière, d’ailleurs, pour montrer qu’elle, elle avait réglé ses problèmes de hooliganisme.

On n’a jamais réglé ce problème d’anticipation des phénomènes de masse et de violence urbaine autour du sport, parce qu’on préfère interdire aux gens de se déplacer, c’est plus simple.

La leçon de tout ça, c’est finalement qu’on n’a pas retenu de leçon. On l’a vu l’été dernier avec la finale de C1 au Stade de France. C’est vraiment quelque chose que je voulais qu’on retrouve dans le film sans que ce soit l’axe principal : les manifestations sportives en France posent souvent des problèmes. Même si les Russes étaient organisés et qu’ils ont voulu que ça se passe comme ça, même s’il était difficile de gérer une situation de guérilla comme ça, les autorités auraient pu faire mieux. On n’a jamais réglé ce problème d’anticipation des phénomènes de masse et de violence urbaine autour du sport, parce qu’on préfère interdire aux gens de se déplacer, c’est plus simple. On va avoir les Jeux olympiques dans un an. La philosophie autour du maintien de l’ordre et des déplacements de supporters pose problème en France. Pas qu’en sport d’ailleurs. Aujourd’hui, on n’est pas à l’abri que ça se passe à nouveau si on n’a pas changé notre manière d’aborder le supportérisme.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Adrien Hémard-Dohain

Retrouvez Battle of Marseille gratuitement sur France.tv Slash, ce jeudi à 18 heures

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