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Crise du jeu au Brésil

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili
Crise du jeu au Brésil

Neymar ou pas, Thiago Silva ou pas, Dunga ou pas, « je m'en bats les couilles », dirait certainement Claude Makelele. Peu importent les absents et les changements de sélectionneur, le Brésil ne joue pas plus ni mieux. Alors que le seul Carlos Sánchez a suffi pour détruire les plans offensifs brésiliens mercredi soir avec la Colombie, un bilan s'impose. La Seleção vit depuis de nombreuses années une crise profonde : une crise du jeu.

Thiago Silva déjoue le pressing de Falcao et sert Dani Alves. Bloqué par James et Téo, le Barcelonais remet sur le central parisien, qui transmet à Filipe Luís sans même avoir besoin de lever la tête. Là-bas sur le côté gauche, le latéral de Chelsea trouve Philippe Coutinho. Les noms sont alléchants et le circuit de la possession semble étudié. Alors, qu’est-ce qu’il se passe ? Rien. Le ballon reviendra sur le joueur de Chelsea, passera peut-être par les pieds frileux des milieux Fernandinho et Elias, pour atterrir dans ceux d’un autre milieu talentueux de Premier League : Willian. Et puis ? Rien. Le Brésil de Dunga allongera sa possession pour repasser par Dani Alves, qui trouvera peut-être une solution miracle. Ou peut-être pas. Alors, il faudra s’en remettre à un seul moyen, et toujours le même : le génie de Neymar.

Un déséquilibre structurel

Au bout d’une circulation de balle sans dynamique, l’héritier de Pelé quittera le marquage de son défenseur central, redescendra et récupérera le ballon à 40 mètres des cages adverses. Arrêté, tout comme tous ses coéquipiers, dans un style typiquement brésilien, il parviendra alors à déséquilibrer une défense entière à l’aide de deux dribbles et trois feintes de regard déroutantes. C’est ce qui est arrivé contre le Pérou dimanche dernier. Mais, après une série miraculeuse de onze victoires consécutives, le Brésil de Dunga a fini par céder contre une Colombie autoritaire. Finalement, il a suffi d’un Carlos Sánchez héroïque et d’un Murillo buteur. En conférence de presse, Dunga a expliqué la défaite comme à son habitude, évoquant son concept préféré : « le contrôle du jeu » . « L’équipe n’a pas su contrôler le jeu. (…) En face, la Colombie a de la maturité. Ils ont bien contrôlé le match, avec de l’expérience. » Et c’est tout ? En réalité, le 4-2-2-2 de Dunga n’a pas fini de s’étendre et de délaisser ses milieux centraux, pour finir le match dans un 4-1-5 laborieux.

Schéma tactique initial du Brésil en 4-2-2-2 (source Opta)

Organisation, équilibre et solidité en défense. Organisation, élaboration et création en attaque. Le football et la tactique peuvent se résumer en quelques mots. L’organisation des deux côtés du terrain, toujours. L’équilibre défensif pour la réduction des espaces, l’élaboration offensive pour la recherche de ces mêmes espaces. Et enfin la solidité pour gagner les duels en défense, et la création pour les dépasser. Aujourd’hui, si ces mots représentaient l’équation tactique imaginaire que toute équipe de football devrait résoudre, le Brésil s’arracherait les cheveux sur le mot « élaboration » . Cette crise du jeu, c’est celle de l’absence de création « en profondeur » au milieu. Et la conséquence est un assemblage de joueurs d’action sans l’élaboration nécessaire pour les mettre dans les conditions de créer. Dans les schémas de jeu de la Seleção, cette élaboration est prise en charge par les défenseurs centraux, les latéraux et un phare offensif ultra-talentueux, à savoir Thiago Silva, Miranda, Dani Alves, Filipe Luís et Neymar. Entre ces éléments de créativité, on retrouve de la solidité physique et souvent tactique, mais un vrai vide de construction et peu de liens. Au Mondial, ce vide avait été symbolisé par les rares participations offensives de Paulinho. Cette année, au Chili, c’est au tour de Fernandinho et Elias de faire circuler le ballon sans participer au jeu. Pourtant, la circulation brésilienne est propre (85% de passes réussies), longue (60% de possession) et même assez intense (565 passes, un nombre qui s’aligne sur les dernières performances de l’Argentine – 577 contre l’Uruguay – et du Chili – 654 contre l’Équateur). Alors, qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

L’abandon du cœur du jeu

Et ce manque d’élaboration se traduit directement dans ce 4-2-2-2 classique : puisqu’elle n’appartient pas aux joueurs adéquats, à savoir les milieux centraux, c’est Filipe Luís qui a dû jouer aux meneurs de couloir : 111 ballons touchés, plus que n’importe quel joueur dans la compétition, à l’image de Marcelo au Mondial. Dans l’axe, certains chiffres parviennent à traduire ce phénomène de crise du jeu. Tout d’abord, Fernandinho a passé un total de 22 ballons à Dani Alves et Filipe Luís (11 chacun), mais seulement 4 à Elias, qui lui en a rendu 5. En ce sens, le milieu se transforme en axe basique de circulation, mais pas plus. À eux deux, Fernandinho et Elias n’ont fait que quatre passes à Neymar, ce qui montre bien qu’ils ne sautent jamais l’étape prévisible des latéraux.

Un autre élément d’étude permet de souligner cet abandon du cœur du jeu : l’usage du jeu long. Contre le Pérou, le jeu long a été utilisé par Willian (9 longs ballons réussis sur 9) et Neymar (4 sur 5). Et Fernandinho ? Un seul. Et Elias ? Un seul. Alors que le Brésil n’a réalisé que 36 longs ballons contre la Colombie (contre 62 pour l’Argentine contre l’Uruguay, et 59 pour le Chili contre l’Équateur), la Seleção aurait grandement besoin de milieux capables d’envoyer eux-mêmes le jeu d’un côté à l’autre du terrain. Quand un ailier fait une transversale, la destination est connue. Quand c’est un milieu, la surprise est toujours plus importante. Après le coup de sifflet final de Brésil-Colombie au Monumental à Santiago, le célèbre journaliste et auteur Jonathan Wilson analyse : « En fait, si Luka Modrić était brésilien, la Seleção ne serait pas loin d’être la meilleure équipe au monde. » Et le 4-1-5 aligné après les entrées en jeu de Coutinho, Tardelli et Douglas Costa n’aurait peut-être pas été aussi désordonné.

La position du Brésil, après les changements, en 4-1-5 (Source Opta)

Le monopole créatif de Neymar

Seulement, ce n’est pas la première fois que le Brésil bute face à cette équation dans son histoire récente. Mais aujourd’hui, les pôles offensifs de création de l’équipe ne semblent pas pouvoir supporter une mécanique si peu dynamique. En 1998, Mario Zagallo avait pu compter sur le quatuor Ronaldo-Rivaldo-Bebeto-Leonardo. En 2015, Dunga n’a que Neymar : quand les lignes se resserrent, le Barcelonais semble être le seul à savoir lire le jeu dans le brouillard. Des 19 dribbles réussis contre la Colombie, Ney en compte 9 et Dani Alves 4. Au cours de la même rencontre, Neymar a su obtenir 5 fautes, soit autant que Firmino, Coutinho, Fred, Willian et Filipe Luís réunis. L’absence d’un autre pôle de création se traduit aussi dans le manque d’échanges au sein du quatuor offensif, malgré l’intégration de Firmino. Neymar-Willian ? Une seule passe. Neymar-Coutinho ? Cinq passes. Willian-Fred ? Trois passes. Willian-Firmino ? Six passes.

Finalement, la seule paire capable de tisser du jeu aura été Neymar-Firmino (17 passes). En conférence de presse, Dunga a ainsi pointé du doigt le manque de maturité de ses armes offensives, les poussant à attaquer plus : « Nous avons besoin et nous voulons des hommes qui prennent des décisions, même s’ils se trompent, et pas des enfants qui ne prennent pas d’initiative » , disait-il cette semaine en conférence de presse. Aujourd’hui, le plus étonnant et inquiétant pour les Brésiliens est le fait de compter sur des ressources de talent très importantes. Peu importent Willian, Coutinho et Firmino, tous convaincants en club, le Brésil ne joue pas plus ni mieux. Il manque un élément essentiel, et tout le talent au monde ne peut le remplacer.

Et la défense à trois ?

Pour le reste de la compétition, Dunga n’a donc plus le choix : le sélectionneur doit reconstruire un « groupe » capable de surpasser toutes ces limites techniques par de l’expérience et du « contrôle du jeu » . Ensuite, il pourra prier pour croiser la route d’équipes qui aiment posséder le ballon. Effectivement, il faut noter que si la Seleção a souvent réussi à déjouer les plans d’équipes joueuses – notamment l’Espagne lors de la Coupe des confédérations en 2013, le Chili au Mondial et en mars dernier – elle a toujours fini par tomber face à des blocs plus solides que le sien, comme les Pays-Bas en 2010, le Paraguay en 2011 et la Colombie cette année. En clair, le Brésil souffre surtout quand il doit prendre le ballon et créer le jeu.

Enfin, Dunga pourrait aussi tenter de résoudre l’équation à son tour. À la place d’utiliser un moyen technique, à savoir un nouveau regista, il utiliserait plutôt de la géométrie en modifiant le schéma de jeu de sa Seleção. Avec une défense à trois similaire à celle de 2002 – le trio Lúcio-Edmilson-Roque Junior –, le sélectionneur offrirait à ses brillants latéraux des conditions de création idéales sans perdre de contrôle dans l’axe. Avec Thiago Silva, Miranda et Marquinhos, ce ne sont pas les défenseurs centraux talentueux qui manquent. Après tout, ça fait une trentaine d’années que le Brésil n’a plus formé de grand regista. Et son manque d’élaboration chronique n’a pas empêché le Brésil de rester fidèle à son histoire victorieuse en 1994, 1998 (ou presque), 2002 et 2007. À moins que le jeu ait changé…

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili

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