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Ce que le football brésilien doit à la capoeira

Par Nicolas Jucha
Ce que le football brésilien doit à la capoeira

Pelé, Garrincha, Socratès, Zico, Romário, Ronaldinho, Neymar... Depuis la seconde moitié du XXe siècle, le Brésil a offert au monde quelques-uns des plus beaux footballeurs de l'histoire. Une tradition qui prend en partie sa source dans la capoeira, l'art martial développé par les esclaves d'origine africaine.

Mi-juillet à Mestalla, le tout frais champion d’Europe Nani fait le show. Recruté en provenance de Beşiktaş, l’ailier portugais profite d’un spectacle de capoeira, l’une de ses passions, pour démontrer qu’il a quelques talents pour cet art martial brésilien souvent assimilé, à tort, à de la danse. Un coup de projecteur pour une discipline perçue au Brésil comme bien plus qu’un simple élément de folklore, mais bien une part de l’essence de l’âme auriverde. Et aussi l’une des sources des succès de la Seleção depuis les années 50.

Quel lien entre les coups de pied acrobatiques typiques de la capoeira et la maîtrise d’un ballon de football ? « Pour comprendre notre football, vous devez comprendre la capoeira » , assure le professeur Muniz Sodre dans l’ouvrage Football against the enemy de Simon Kuper. La relation tient en un seul mot, Ginga. Dans le dictionnaire Houaiss, une référence de la langue portugaise, on dénombre trois définitions : la démarche chaloupée du vaurien – la figure populaire du Malandro –, le mouvement de base de la capoeira, sorte de jeu de jambes rythmé qui permet d’exécuter des techniques d’attaque et défense, et enfin la propension des footballeurs les plus talentueux à jouer de leur corps pour tromper leur adversaire direct. « Des explications très claires pour situer ce concept comme une manière propre aux Brésiliens de voir le monde et de mouvoir son corps » , explique Olivier Guez, auteur de l’ouvrage Éloge de l’esquive aux éditions Grasset. « Chez les esclaves d’origine africaine est né un art martial qui devait être dissimulé en danse, en jeu, pour être toléré et qui se caractérisait entre autres par cette souplesse des hanches, assure-t-il. Les principes de la capoeira se retrouvent chez les attaquants brésiliens les plus spectaculaires, chez qui le dribble remplace l’esquive. »

Charles William Miller, Joga Bonito et Malandro

Entre les prémices du foot brésilien grâce à Charles William Miller – qui aurait ramené deux ballons et les règles du football au Brésil à la fin du XIXe siècle – et la traumatisante humiliation de l’équipe nationale en demi-finales du Mondial 2014, le football brésilien n’a pas toujours été synonyme de Joga Bonito. Initialement, les populations blanches monopolisaient la pratique officielle en tentant de reproduire le style « européen » , réduisant les communautés noires et métisses à une pratique plus sauvage. Dans ce contexte plus populaire où la capoeira est l’un des principaux patrimoines culturels avec la samba, les footballeurs d’ascendance afro-américaine développent leur propre version du jeu.

Loin des carcans du Vieux Continent, la prépondérance de l’impact physique et des duels fait place à la malice et à la technique. Le professeur Muniz Sodre dessine le tableau : « Si vous allez dans une favela, vous allez voir une femme – il n’y a aucun homme dans la maison – qui prend soin de ses cinq ou six garçons. Le plus malin de ces garçons, celui qui peut échapper à la police si nécessaire, celui qui peut se battre, est aussi un bon joueur de foot. Il sait dribbler les difficultés de la vie. Il peut fournir de la nourriture à sa mère. Il y a une connexion profonde entre le fait de tromper des défenseurs sur un terrain ou d’être un malin dans la vie réelle. Ce garçon, c’est un Malandro. »

« Faire face à la violence des joueurs blancs »

Dans la culture populaire des favelas, là où la capoeira est une nécessité pour savoir défendre son intégrité physique, le Malandro est l’homme qui sait survivre par son esprit et sa ruse plutôt que sa force brute. Il incarne l’esprit de la capoeira, dont l’art consiste à triompher de plus fort que soi. « Il faut comprendre que la capoeira est l’art de tromper son adversaire, pas comme dans la boxe où il faut être plus fort pour gagner, assure Muniz Sodre. C’est une philosophie du corps » où le relâchement et l’intelligence valent plus que la masse musculaire. Quel rapport avec le football ? C’est avec l’ouverture des équipes brésiliennes aux populations d’ascendance afro-américaine que la sélection auriverde a connu son premier âge d’or dans les années 50.

Des joueurs pas forcément capoeiristas eux-mêmes, mais baignés de cette culture qui magnifie le mélange entre grâce et ruse. « Les footballeurs noirs et métisses voulant s’intégrer dans les équipes de blancs dans les années 30 devaient user de subterfuges. D’abord de la poudre de riz pour se blanchir la peau ou des produits pour se lisser les cheveux. Mais ensuite, il fallait également pouvoir faire face à la violence des joueurs blancs, mieux nourris donc plus forts physiquement, mais aussi favorisés par l’arbitrage. Au lieu de répondre à la force physique par de la force physique, les joueurs noirs se sont appuyés sur la malice, la ruse, la créativité » , explique Olivier Guez. Une adversité qui va engendrer des légendes.

« Garrincha et Pelé, des inventeurs de mouvements comme les capoeiristas »

« Les plus grandes idoles de notre football sont des dribbleurs, comme Garrincha et Pelé, des inventeurs de mouvements comme les capoeiristas » , selon Sodre Muniz. La bicyclette de Leonidas en Coupe du monde 1938 en est le symbole, tant le geste s’apparente au coup de pied acrobatique caractéristique de l’art martial brésilien. Les héritiers se nomment Ronaldinho, Neymar, et dans un passé plus ou moins récent Rivaldo, Romário, Pelé ou surtout Garrincha. Selon la légende, l’homme à la jambe plus courte que l’autre aurait un jour tellement dérouté ses adversaires que son entraîneur lui aurait demandé comment il avait fait « pour que chaque adversaire fasse exactement ce qu’il attendait de lui » .

C’est en acceptant ces descendants d’esclaves comme une part intégrante de son identité que la société brésilienne s’émancipe à la moitié du XXe siècle, et connaît ses premiers succès en Coupe du monde de football. « Il faut voir que pendant longtemps, le Brésil se rêvait en pays d’Européens installés en Amérique du Sud, résume Olivier Guez, et finalement, ce sont les descendants d’esclaves qui lui permettent de rayonner, comme ces esclaves qui pendant quatre siècles ont permis sa croissance. » Une source de fierté quand tout va bien, et de profond complexe identitaire en temps de crise…

La capoeira précurseur du football

Perpétuellement inventer pour être imprévisible, prendre du plaisir – comme en dansant la samba – pour être inspiré, et toujours en mouvement – principe de la Ginga en capoeira – pour pouvoir agir vite. Pas un hasard si le peuple brésilien aimera toujours plus un Ronaldinho qui détruit les systèmes avec le sourire qu’un Thiago Silva – parmi les références mondiales à son poste – qui n’incarne pas ce mélange de beauté et de créativité. Le sociologue brésilien João Lyra Filho a un jour dit que la capoeira était « le précurseur du football tel qu’il est joué au Brésil, avec ses jongleries propres aux mulâtres » . Une idée tellement ancrée et considérée comme un fait avéré que Zico lui-même, pourtant « européen » par son ascendance portugaise, a recruté un professeur de capoeira en 2002 à sa nomination à la tête de la sélection japonaise. L’idée ? Enseigner la « Ginga » aux Blue Samurai, qui exaspéraient leur entraîneur sud-américain, car ils ne savaient pas s’éloigner de ses consignes.

Une incapacité qui tend à gagner le football brésilien en 2016 selon l’auteur brésilien Breiller Pires, pour qui aujourd’hui, « l’équipe de France a plus de ginga que le Brésil, à notre grand malheur » . La faute à un football qui se joue de moins en moins dans la rue et sur les plages, mais aussi à un monde pro qui tolère moins la roublardise et érige le professionnalisme en dogme absolu. Ce qui a valu son lot de critiques à Neymar, dernier grand représentant de la classe des Malandros, accusés de trop aimer les sorties nocturnes. « Mais s’il ne s’offrait pas ces écarts, il ne serait peut-être pas Neymar, comme Ronaldinho est peut-être passé à côté d’une plus grande carrière à cause de son goût pour les femmes et la fête, tente d’analyser Guez. Mais s’il avait voulu être plus sérieux, Ronaldinho n’aurait peut-être jamais été aussi génial. » Comme un maître de capoeira qui aurait voulu dissocier danse et combat pour être plus efficace, et n’aurait fait que perdre sa ginga.

Dans cet article :
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Par Nicolas Jucha

Propos du professeur Muniz Sodre extraits de Football against the enemy de Simon Kuper.
Propos d'Olivier Guez recueillis par Nicolas Jucha.

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