Barcelone-MU (2-0) : Ajax for ever !
Sir Alex est roi d'Angleterre et c'est énorme. Mais en face, il y avait Guardiola, jeune prince issu de la longue dynastie blanche et rouge d'Amsterdam : Rinus Michels, Johann Cruyff, Louis Van Gaal, Frank Rijkaard & Johann Neeskens. Le foot total de l'Ajax, conçu il y a 40 ans par Rinus Michels, son géniteur. Un truc génial et mystérieux qui dépasse les stars du Barça (Messi, Xavi, Iniesta) et le folklore Barcelonesque (Viva Catalunya, Blaugranas, Unicef, Mes que un Club, Nou Camp, Cules et tapas). Un truc génial et mystérieux qui a fait de Pep Guardiola le roi du monde...
L’Ajax d’Amsterdam n’a jamais gagné une finale de C1 avec quatre ou cinq buts d’écart. Pas la peine. Juste 1-0 contre la Juve en 73 et contre le Milan AC en 95 et seulement 2-0 contre le Panathinaïkos en 71 et contre l’Inter en 72. Même score pour le Barça, hier soir : 2-0 contre Manchester. Le score final aurait même pu monter à 3-0, ou bien à 4-0, vu l’emprise des Blaugranas sur la rencontre et des deux occases de Henry (duel gagné par Van der Sar) et Xavi (coup franc sur le poteau)… Un 2-0 sec a suffi. Dans ce « deux à zéro » le plus important, ce n’est pas le « deux » , mais le « zéro » . Le zéro de l’impuissance et de la fatalité pour Manchester, comme autrefois avec la Juve, l’Inter, le Milan, ou le Pana. Zéro = injouable.
Oubliez l’équipe du Barça, les noms de ses joueurs, ses absents, ses titulaires, ses remplaçants, ses postes, ses positions, son système, sa tactique, son animation. Arrêtez juste un instant l’image au moment où le Barça a le ballon. Appuyez sur la touche « Pause » . Neuf Barcelonais sont dans le camp de Manchester… Multipliez par 8 les potentialités de jeu pour le porteur du ballon et vous découvrirez des solutions exponentielles vertigineuses. Johan Cruyff l’a martelé depuis 40 ans : l’intelligence de jeu c’est parfois trouver la passe simple, même à un mètre de soi, pour décanter les situations en apparence bloquées. Alors OK pour Iniesta : une accélération dans l’axe, une courte ouverture sur le côté vers Eto’o et puis le reste appartient à Sam qui crochète et flingue : 1-0 à la 10ème ! Une percée plein axe : la marque des grands. Comme l’Ajax 95 et la percée axiale victorieuse Rijkjaard-Kluivert en plein cœur de la défense milanaise (1-0). Aucune équipe n’avait encore percé la muraille mancunienne, jusque-là infranchissable… Fin des illusions United et de ses dix premières minutes de domination en trompe-l’œil. Et c’est reparti pour Ajax-Juve 73 : maîtrise totale jusqu’à la fin, sans aucune menace de l’adversaire après le but de Rep de la tête marqué dès la 4ème minute…
United a coulé à pic. Parce que United n’a pas retenu la leçon hollandaise prodiguée par le Chelsea de Guus Hiddink. Hiddink, c’est Eindhoven, soit l’anti-Amsterdam pratiqué pendant des années en championnat des Pays-Bas : les « tripes » contre l’esthétisme d’abord, et ensuite le « style » . Ainsi Hiddink a régulièrement battu l’Ajax, il a battu la Hollande qu’il connaissait par cœur avec la Russie à l’Euro 2008 et il a failli battre le Barça avec les Blues en demies de C1 le mois dernier. Manchester a joué le « style » sans passer par la case « tripes » . MU s’est laissé griser par son titre en championnat anglais. Erreur Rédhibitoire. Manchester a oublié de livrer le street-fighting sur tous les ballons comme Chelsea l’avait si bien fait. A preuve la ligne rouge à 30 mètres des buts de Van der Sar normalement infranchissable que le Barça a violée facilement à plusieurs reprises, notamment sur le premier but barcelonais. L’absence de Darren Fletcher aura donc bien pesé plus lourd que celles d’Abidal, Marquez et Alvès. Giggs n’étant pas taillé comme l’Ecossais pour contrer le milieu barcelonais. La tenaille Essien-Lampard avait neutralisé le midfield catalan, à la différence de la paire Carrick-Giggs : c’est dans leur zone qu’Iniesta a trouvé la faille puis ouvert vers Eto’o sur le premier but.
Le génie tactique de Ferguson a également montré ses limites dans le domaine crucial du game-player, soit le meneur de jeu, ou N°10. Il a manqué un vrai milieu créateur, stabilisateur et distributeur au milieu mancunien. Jusque-là, MU s’en était toujours passé en déroulant des vagues offensives déclenchées par les récupérateurs. Sauf que là, le pressing haut des Barcelonais a annihilé les rampes de lancement vers les attaquants. MU a tenté le jeu long sur les côtés mais en vain. Il aurait fallu un Pirlo de la grande époque, ou un Fabregas, pour construire en dédoublements avec Rooney ou C. Ronaldo à partir du rond central, au lieu de sauter les lignes. Le Barça possède ces deux stabilisateurs et distributeurs avec Xavi et Iniesta. Ils sont au cœur de la mécanique blaugrana. Peu importe que Messi, Eto’o et Henry se soient peu montrés à leur avantage lors de cette finale : leur but était d’étirer la défense mancunienne (Henry et Messi), de la faire reculer (Eto’o) et surtout de servir de points d’appui constants au duo Xavi-Iniesta. Le reste appartenait à la fantaisie de la paire infernale.
Autre limite de la science tactique de Ferguson : il a exercé un coaching à l’Anglaise en multipliant platement le nombre d’attaquants, Berbatov et Tevez à la place de Park et Anderson, soit quatre attaquants avec Ronaldo et Rooney… Le problème et sa solution n’étaient pas là, mais plutôt au milieu, avec un trou béant à combler. On comprend mieux pourquoi Ferguson s’est lui aussi aligné dans la chasse au Ribéry. Lascarface pourrait créer le liant entre milieux et attaquants, lien qui a cruellement manqué contre le Barça.
A l’heure où l’Ajax originel est en train de disparaître aux Pays-Bas, l’esprit et l’âme de l’Ajax se perpétuent en Catalogne. Une formule, un style que Pep Guardiola a perfectionnés, notamment sur le plan défensif. Son Barça prend moins de buts que la Dream Team de Cruyff ou la Ronnie Team de Rikjaard. L’Ajax 1971-73 et le Barça 2009, ça a l’air simple et évident quand on regarde, comme avec Mozart, les Beatles ou Miles Davies, simples et évidents à écouter. Sauf que pratiquer cet art-là se révèle impossible au commun des mortels. Il faut avoir été “initié”… Guardiola l’a été. Ceux qui pensent qu’il a juste appliqué la « méthode Cruyff » en récupérant un effectif de grande qualité qu’il a un peu bonifié se trompent. Pep Guardiola y a mis sa griffe, en rajoutant sa part de mystère à la formule déjà mystérieuse élaborée par Rinus Michels et poursuivie par Cruyff et Rijkjaard. « Mystère » parce qu’à la vérité, ces choses-là nous dépassent.
Adulé et considéré comme l’Artiste suprême de son temps, Léonard de Vinci s’isolait pourtant souvent afin de contempler pendant des heures le tableau « Adam et Eve chassés du paradis » du peintre oublié Masaccio. Jusqu’à sa mort, le vieux Léonard avait tenté de percer le mystère du jeu de lumière et d’ombres portées éblouissant et inquiétant du fulgurant Masaccio, décédé autrefois à seulement 27 ans. Obsession vaine : De Vinci n’a jamais trouvé la clef. Alex Ferguson pourra visionner à l’infini ce Barça-Manchester de 2009. Pas sûr qu’il en découvre jamais le secret du génie guardiolesque…
Par