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Alexander Geynrikh, l’Ouzbek allemand

Par Régis Delanoë
Alexander Geynrikh, l’Ouzbek allemand

L’Ouzbékistan, la plus grande des petites nations du continent asiatique, désespère de participer pour la première fois de son histoire à une Coupe du monde. Dans ses rangs, son atout offensif numéro un se nomme Alexander Geynrikh, qui a la particularité d’avoir des ancêtres allemands à l’histoire sacrément mouvementée.

Sur les photos d’équipe de la sélection ouzbèque, il dénote. Là où tous ses coéquipiers arborent les caractéristiques physiques centre-asiatiques de ce territoire fait de steppes, Alexander Geynrikh n’en a aucune. Les yeux ne sont pas bridés, la peau aucunement tannée par le climat aride de la région. Non, Geynrikh a l’apparence d’un blanc bec perdu sur cette terre du milieu. C’est pourtant là qu’il est né et il n’y a pas plus ouzbek que lui. Au sein de l’équipe nationale de football, il est d’ailleurs un incontournable depuis maintenant bien plus d’une décennie. À trente-deux ans, il reste encore aujourd’hui l’atout offensif numéro un de la sélection, avec 31 buts marqués – le deuxième meilleur buteur de l’histoire – en 91 sélections – le deuxième plus grand nombre de capes parmi les joueurs de champ actuels après le capitaine Server Djeparov. Dans cette campagne de qualification pour le Mondial 2018, il en est déjà à trois buts marqués, dont le dernier en septembre pour offrir une victoire précieuse 1-0 face à la Syrie. Après quatre journées, l’Ouzbékistan est deuxième du groupe A dans le troisième tour de qualification, derrière l’Iran, mais devant la Corée du Sud, son adversaire du jour à Séoul. Ce match s’avère donc déjà décisif pour les Loups blancs d’Ouzbékistan qui, s’ils parvenaient à rester à l’une des deux premières places, seraient donc de la fête chez le voisin russe dans un an et demi. Ce ne serait ni un scandale ni vraiment une surprise d’y retrouver cette sélection, qu’on pourrait qualifier de plus grande des petites nations du continent. Actuelle 74e au classement FIFA et 6e dans la zone AFC, l’Ouzbékistan tourne autour d’une participation au grand tournoi international majeur depuis pas mal de temps déjà. Lors des qualifications pour les Mondiaux de 2006 et de 2010, il a échoué les deux fois au dernier tour de barrage de la zone Asie. À chacun de ces rendez-vous manqués, Geynrikh était là, incontournable, inusable, le temps le faisant seulement passer de légèrement dégarni à carrément chauve durant ces dix dernières années. Son histoire, celle de sa famille, de ses ancêtres, est sacrément singulière et passionnante.

D’Allemagne en Ouzbékistan en passant par les bords de la Volga

Pour la comprendre, il faut remonter à l’année 1763 précisément. À l’époque, la Russie est dirigée par une impératrice d’origine allemande, Catherine II, qui récupère de l’Empire ottoman de vastes territoires quasi inhabités au niveau de l’actuelle Ukraine et de la région du Caucase. Pour tenter de coloniser ces grands espaces désertés, elle lance un décret adressé à ses anciens compatriotes, les incitant à y émigrer contre une foule d’avantages, dont l’exemption d’impôts et de service militaire ainsi que la liberté de culte. Des dizaines de milliers d’entre eux, majoritairement luthériens, vont ainsi faire le choix de s’y installer. Au début du XXe siècle, ils sont ainsi 800 000 de ces Allemands de souche à vivre sur les bords de la Volga, en plein territoire russe, et parmi eux les ancêtres de Geynrikh. Après la Révolution de 1918, une République socialiste soviétique des Allemands de la Volga sera même créée, avec deux tiers de ses 600 000 habitants d’origine allemande. Un pays à l’existence éphémère, qui disparaîtra au cours de la Seconde Guerre mondiale, dissous sur ordre de Staline, qui décidera même la déportation de ses habitants par dizaine de milliers dans les camp du Goulag de Sibérie et d’Asie centrale, dans le contexte d’extrême tension entre soviétiques et nazis. Parmi les survivants de ces déportations, la majorité décide de rester sur place. C’est la raison pour laquelle ces descendants d’Allemands, colons du temps de l’empire, puis persécutés du temps des Soviétiques, se trouvent aujourd’hui implantés dans les pays indépendants nés de la fin de l’URSS au début des années 90. Ils représentent 2% de la population au Kazakhstan et sont des dizaines de milliers au Kirghizistan et en Ouzbékistan, dont ce cher Alexander Geynrikh.

Gaby Heinze, le lointain cousin

Il n’est pas le seul footballeur issu de cette lointaine communauté. C’est le cas aussi de Gabriel Heinze, l’ancien Parisien, Marseillais et international argentin, né dans la ville de Crespo, où réside une forte proportion de population d’origine allemande comme lui. Une racine qui remonte non pas à la fuite des criminels de guerre d’après 1945, comme on pourrait le penser spontanément, mais à la vague d’émigration des Allemands de la Volga au dix-neuvième siècle vers le nouveau monde, Amériques du Nord et du Sud. Heinze partage donc une lointaine histoire commune avec l’attaquant international ouzbek, qui racontait dans une interview avoir vécu un court moment en Allemagne, au début de sa formation de footballeur. « J’y suis allé lorsque j’étais très jeune, mais je n’ai pas aimé du tout, disait-il. Ce n’était pas mon style de football, je suis vite revenu en Ouzbékistan. » Son pays, le vrai, celui où il a débuté en pro avant de mener une carrière qui l’a fait voyager en Russie, Corée du Sud, aux Émirats arabes unis et aujourd’hui au Kazakhstan, c’est l’Ouzbékistan. À la chute de l’URSS, l’Allemagne avait mis en place un droit au retour pour ces lointains descendants du Caucase et d’Asie centrale. Des « Aussiedler » comme ils sont appelés, qui se sont plus ou moins bien faits à cette réintégration. Geynrikh, lui, a donc fait le choix de rester citoyen ouzbek, sa seule et unique patrie, dont il défend les couleurs depuis 2002 et qu’il compte bien continuer à honorer au moins jusque 2018.

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