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«Agnelli, un ennemi de classe»
Contre l'Atalanta, la Juventus a fait le spectacle, a marqué cinq pions, en a encaissé deux, autant de choses auxquelles elle ne nous avait pas habitués. Décryptage d'une schizophrénie blanche et noire avec Vincenzo Abbattantuono des Bravi Ragazzi, un groupe ultras local.
Ce n’est pas difficile d’être de gauche avec la famille Agnelli comme propriétaire de ton club ?
Non, puisque la politique est quelque chose d’intime. Et puis la Juventus a tout de même une grande tradition ouvrière, tout comme la ville. A partir de là, dire que le club ouvrier de Turin est le Torino est caricatural. Par exemple, lorsqu’un incident en ville lors de travaux avait entraîné la mort de plusieurs ouvriers, nous avions fait une banderole qui disait : « La Turin ouvrière pleure pour vous » . Les ultras du Toro n’avaient rien fait. Après, il est clair que parfois, il existe une certaine schizophrénie. Quand Gianni Agnelli est mort en 2003, il y a eu une minute de silence dans le stade. J’ai respecté cette minute de silence car il s’agissait du propriétaire de mon club. Mais une fois en dehors du stade, Agnelli est redevenu ce qu’il était, c’est-à-dire le roi des capitalistes, donc un ennemi de classe. Dès lors, je n’étais plus triste de sa mort. Beaucoup ont eu un comportement comme le mien : pleurer la mort d’Agnelli dans le stade, et y être indifférent une fois le match fini. Évidemment, il y avait ceux qui ne cessaient pas de pleurer. Après, cette schizophrénie s’applique également au reste du football italien, que ce soit avec Moratti ou Berlusconi.
Le scandale Moggi, le Heysel, ça a eu quel impact chez les ultras ?
On a reproché beaucoup de choses à Moggi, mais force est de constater qu’il est pour beaucoup dans le développement du secteur jeunes. C’est lui qui a insisté sur l’aspect primordial de la formation, le fait qu’il faille aussi inciter les jeunes dans le centre de formation à ne pas lâcher l’école… Pour le reste, laissons la justice rendre son verdict. En ce qui concerne le Heysel, je considère, tout comme mon groupe, qu’il ne fallait pas accepter cette coupe des morts. Nous sommes pour la restituer à l’UEFA, on ne peut accepter une coupe maculée du sang de 39 personnes. Cela a été un traumatisme, et ça l’est encore. Nous, nous n’avons pas oublié. Pour te dire la vérité, chaque religion a besoin de ses martyres, et ces morts ont un peu élevé la passion de beaucoup de Juventini au rang de religion. Sache aussi qu’après ce tragique évènement, ça a été la fête dans tous les stades italiens. Je dis bien la fête. On chantait nos morts, on en riait. Cela n’a fait qu’accentuer le côté « seul contre tous » , « aucun ami » . Nous sommes certes le club le plus aimé d’Italie, mais aussi le plus détesté. Cela nous rend, d’une certaine manière, très fiers.
Le style Juve, c’est quoi pour toi ?
On peut tout d’abord prendre l’exemple de Jean-Claude Blanc, qui n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Quand un arbitre a une décision litigieuse, Moratti se permet de dire des choses pour lesquelles j’irais en prison si je les avais dites. Blanc est toujours calme et ne conteste jamais. Pour te donner un exemple, je dirai que le meilleur exemple du style Juventus, c’est Michel Platini qui s’allonge sur le terrain en 1985 lorsque l’arbitre lui refuse injustement l’un de ses plus beaux buts. L’élégance, la classe, tout simplement. C’est ça le style Juventus. Après, moi je m’en tape un peu de l’esthétique, de la manière. Je veux la victoire, e basta. Quand Maifredi est arrivé avec son calcio champagne, nous on s’en battait les couilles. D’ailleurs, il n’est resté qu’un an. Au final, seule la victoire est belle. Le reste…
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