Adidas Über Alles
Hasard du calendrier ou coup marketing longuement préparé, deux films de cette rentrée cinématographique sortis le mercredi 12 octobre 2005 mettent en scène le mystère inexpliqué de la disparition de la technique, la pénibilité du foot business et la puissance écrasante du marketing.
France-Chypre tout d’abord, énième épisode du chemin de croix qualificatif de l’équipe de France pour la Coupe du Monde 2006. Goal, la naissance d’une légende ensuite, premier épisode d’une trilogie propagandiste vouée à la célébration de la FIFA et de l’équipementier ADIDAS.
Nous passerons sur France-Chypre et la magnifique victoire des coéquipiers de Zinédine Zidane qui offre à l’équipe de France un billet pour l’Allemagne et accessoirement plonge le président de la F.F.F, Jean-Pierre Escalettes, dans un état quasi extatique et une transe proche de celle s’emparant d’un inspecteur Derrick sous cocaïne.
Attardons-nous sur le film évènement Danny Cannon, injustement ignoré par le mensuel les cahiers du cinéma et la revue Positif, pour comprendre la magie du premier épisode de la future trilogie footballistique annoncée pour un budget global de cent millions de dollars.
A l’origine était Santiago Muñez, croisement de Laurent Robert et de Richard Virenque, jeune sans papier mexicain travaillant avec son père à l’entretien des pelouses de maisons de riches propriétaires des quartiers huppés de Los Angeles. A l’origine était Santiago Muñez dont la vie se résume à sa passion : le football qu’il pratique depuis son plus jeune âge. A l’origine était un footballeur dont le talent n’avait d’égal que son individualisme forcené. A l’origine était un conte de fées.
Mais lorsque l’on veut réussir dans le football, que l’on est mexicain, que l’on travaille la nuit dans les cuisines d’un restaurant chinois de Los Angeles, que l’on vit avec un père dont l’unique obsession est l’achat d’un pick-up pour monter sa propre affaire de jardinage, que son jeune frère a les oreilles décollées, que l’on a été membre d’un gang, il faut avoir de la chance.
Et la chance de Santiago Muñez s’incarnera en la personne de Glen Foy, ancien joueur de Newcastle, ancien recruteur du même club, reconverti dans la restauration de voitures de collection, et de passage providentiel sur la côte ouest des Etats-Unis pour suivre des matchs amateurs de foot en compagnie de sa fille. Un coup de téléphone du dénommé Foy en Angleterre et voilà notre Santiago Muñez en route pour la cité des magpies grâce à l’argent de sa grand-mère qui offrira le billet, les économies de son petit-fils ayant été ponctionnées par le père pour la réussite de son entreprise de jardinage.
Une fois qu’il sera parvenu en Angleterre, Santiago Muñez découvrira une toute autre vie. Aux palmiers de la cité des Anges succèderont les caprices météorologiques de la perfide albion. Car il pleut beaucoup dans le film de Danny Cannon. Les terrains d’entraînement sont des marres de boue dans lesquelles les footballeurs se roulent comme des cochons d’élevage. Les rayons de soleil ne sont filmés que pour mettre en valeur les nuances de gris d’un ciel menaçant. Un rêve éveillé de Gillot Pétré que ce temps de chien.
Santiago Muñez devra composer avec les caprices de la météo, les tacles appuyés de bouchers irlandais, l’hostilité de partenaires réticents, son asthme qu’il cache alors que c’est un avantage lorsque l’on est sportif de haut niveau, principalement si l’on fait le tour de France.
Santiago Muñez sera toutefois aidé dans sa quête par l’infirmière du club (c’est plus simple d’en connaître une si on se lance un jour dans une cure d’EPO), par la recrue du club, Gavin Harris, amateur de filles d’un soir, qui sera au passage remis dans le droit chemin par notre jeune héros.
Bien entendu Santiago Muñez triomphera du climat, de l’animosité ambiante, usera toutes les cartouches de son destin pour parvenir à son rêve, ne tombera pas dans le mirage facile des primes, des putes, de la drogue, des voitures de sport et de la notoriété. Parce que lorsqu’on est pauvre et mexicain on résiste à toutes les tentations chez les scénaristes d’Hollywood.
Avec son aspect clip fortement prononcé, Goal, la naissance d’une légende restitue à la perfection l’incroyable malentendu qui lie le football au cinéma. Si l’apport de la narration cinématographique est indéniable en matière de réalisation sportive, l’inverse est rarement vrai. Dès lors, foot et cinéma sont ces objets imparfaits où le sport occupe invariablement une place anecdotique et ridicule. Coup de tête (1977), A mort l’arbitre, A nous la victoire (1981), Didier (1997) ne sont que les exemples parmi beaucoup d’autres de cet impossible échange. Et le film me direz-vous ?
On passera sur la représentation du héros qui occupe la majorité de ses entraînements à courir seul, comme un Rocky Balboa d’opérette. Il est bien connu qu’une équipe de foot n’est forte que si ceux qui la composent s’entraînent dans leur coin.
On négligera la colossale finesse du personnage de l’infirmière du club dont le héros tombe amoureux et qui aime les joueurs qui ne se la jouent pas.
On oubliera l’apparition d’un David Beckham méconnaissable (était-ce lui ou le sosie utilisé dans l’incroyable Joue la comme Beckham ?).
On pardonnera les scènes situées dans un bar so british de Los Angeles où l’on boit de la bière en pleine journée devant un match de Newcastle.
En revanche, Goal, la naissance d’une légende réussit là où tous les autres ont échoué. Goal est au football ce que les James Bond sont au film d’espionnage : un vaste espace de préparation de notre cerveau au placement de produits. Mais parce que le public visé aime le football, donc est stupide dans l’esprit des rois du marketing, c’est une seule et même marque qui est déclinée pendant les deux tiers du film.
En l’occurrence la marque aux trois bandes qui se révèle être plus forte que nous.
Survêtements, chaussettes, chaussures (fabuleuse scène de vestiaire dans laquelle sont alignés tous les modèles de la marque à l’emplacement réservé à chacun des joueurs), maillots… Tout y passe à l’exception d’une hypothétique figurine collector de Bernard Tapie du temps où il était propriétaire de l’équipementier lié à jamais dans l’imaginaire collectif à ses origines allemandes.
Nous avons les moyens de vous faire acheter. Nous avons les moyens de vous faire croire à notre conception du football moderne. Tel est le credo d’ADIDAS et de la FIFA. Entre ici ADIDAS avec ton terrible cortège.
La conscience oblige à relever que Goal, la naissance d’une légende est aussi l’occasion des premiers pas de comédien de Zinédine Zidane. Il rejoint en cela le merveilleux Jean Alesi dont on garde encore en mémoire l’exceptionnelle interprétation d’un pilote de formule un dans Driven. Si ces rookies du cinéma indépendant ne totalisent à eux deux qu’une seule minute de présence à l’écran, ils représentent la quintessence du cinéma total. Qu’il s’agisse de Jean Alesi dans un film consacré à la formule un ou de Zinédine Zidane dans un film centré sur le football, ils sont l’élément du décor qui cherche à faire croire que tout ce qui nous est montré est possible. Un peu comme si l’on croisait sur un vol charter les héroïnes aperçues dans la série Lost.
Goal, la naissance d’une légende qu’on pourrait intituler la menace Muñez est un prélude à deux autres épisodes en tournage qui nous permettront de voir le prodige mexicain au Real de Madrid (l’attaque des galactiques ?) puis comme joueur lors de la coupe du monde 2006 en Allemagne (la revanche des jardiniers ?).
Goal, la naissance d’une légende distille en 120 minutes plus de clichés qu’Estelle Denis et Pascal Praud n’en délivreront jamais en dix de télévision.
On reste néanmoins satisfait. Les scénaristes n’ont pas débuté leur trilogie au P.S.G. Avec la volonté de coller à la réalité qui caractérise ce film, il aurait été question d’absence de délivrance de bon de sortie par la fédération du joueur, d’un transfert sous le coup d’une enquête judiciaire, d’un fax perdu, d’une revente à l’OM, de rémunérations occultes par l’équipementier du club, etc… Des choses qui n’existent pas dans le monde merveilleux de la FIFA et d’ADIDAS.
Continuons notre songe même si nous n’avons plus huit ans et que nous croyons percevoir des éclairs de nandrolone dans les yeux de nos idoles…
Jean-François BORNE
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