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Un Euro sous le regard de Dieu ?

Par Nicolas Kssis-Martov et Aymeric Le Gall
8 minutes
Un Euro sous le regard de Dieu ?

Pendant que toute la France frissonne devant le hooliganisme, les églises chrétiennes se préoccupent aussi de l'âme des supporters qui parcourent nos rues, nos stades et nos zincs. Notamment les paroisses « étrangères » qui veulent malgré tout essayer de garder leurs brebis dans le droit chemin de la parole divine. Et les tenir, si possible, éloignées des mauvaises tentations qui pullulent pendant une telle compétition. Sans oublier évidemment de prier pour leur équipe nationale au passage, dans la mesure de ce que la fraternité en Jésus-Christ autorise...

« À l’appel du pape François, grand fan de football, l’Église à Paris invite ses fidèles à vivre et partager ces événements dans un esprit de vraie fraternité. » L’archevêché de Paris peut se prévaloir cette fois-ci d’une caution inattaquable : le Saint-Père, dont tout le monde connaît l’amour profond pour ce sport en particulier. Impossible pour la fille aînée de l’église catholique de faire l’impasse, et de nombreuses paroisses organisent parfois leur vie, notamment le dimanche, en fonction des matchs, surtout si les Bleus sont de la partie. L’occasion aussi de resserrer les liens avec la communauté et de s’ouvrir auprès de l’ensemble de la population, pratiquante ou non. Ainsi le 19 juin prochain, « environ vingt-cinq paroisses mobiliseront leurs fidèles et leurs voisinages autour de la projection, en leurs murs, du grand match France-Suisse. Pendant l’après-midi, des matchs, des animations, des prières et témoignages seront proposés à tous les participants. »

La religion et le ballon, pour le meilleur et pour le pire

De fait, Dieu n’est jamais très loin du ballon rond, surtout dans le christianisme. Personne ne peut oublier que dans l’Hexagone, il fut même employé longtemps comme un outil d’évangélisation d’une jeunesse éloignée de l’autel par les attraits du matérialisme et de la modernité. De plus, la dimension internationale en rajoute une couche en faisant vibrer la corde universelle de la spiritualité chrétienne. Paris notamment accueille de très nombreuses paroisses dites « étrangères » , destinées aux croyants issus des autres pays et désirant continuer à vivre leur foi dans leur culture d’origine. Elles voient de la sorte affluer de nombreuses nouvelles ouailles sur les bancs de leur temple. « Incontestablement, confie le père Dwayne Gavin, de l’Aumônerie des Irlandais, la messe de dimanche dernier a rassemblé vraiment davantage de monde que d’habitude. Nous avons même improvisé une petite fête dans la cour du centre culturel, certains fidèles m’ont bien sûr confié qu’ils étaient présents pour le match du lendemain. J’avais de mon coté réalisé une petite tournée des bars pour avertir les supporters de l’existence de cet office spécifique. C’était aussi touchant de voir des familles franco-irlandaises habituelles porter le maillot irlandais, même les enfants. »

La première préoccupation des prêtres reste bel et bien d’avertir leur éventuel auditoire de la tenue d’une cérémonie dans leur langue maternelle, afin qu’ils ne perdent pas les bonnes habitudes prises à domicile. « Je ne mets rien de spécifique en place, confirme le recteur Lorenzo Principe, de la mission catholique italienne, cependant n’hésitez pas à signaler à vos lecteurs l’existence de notre messe en italien. » Reste néanmoins ouvert un véritable dilemme théologique : a-t-on le droit de prier pour la victoire de son équipe, donc demander à Dieu ou à la Vierge Marie, la défaite de celle de ses « frères » de communion. De fait, le football est étrangement vécu par nos prêtres étrangers, ce qui peut sembler assez étonnant au regard de la multiplication des violences autour des stades, comme un vecteur de paix et de rapprochement. Avec parfois une touche d’humour taquin. « Apparemment, notre sélection ne viendrait à Paris qu’en cas de finale, ce qui pour l’instant me laisse un peu tranquille, confie en rigolant le père de la Mission catholique slovaque. Je propose que nous prions ensemble, Français et Slovaques, pour que cela arrive malgré tout, s’amuse-t-il enfin. Ce qui dans les deux cas ne se révèle pas forcément assuré. » « J’ai surtout prié pour que nos joueurs et nos fans profitent dans un bon esprit et dans la joie de cet Euro, sur le terrain et en dehors, confie, plus sérieux, le père anglican Nick Clark, de l’église de Chantilly, ou résident « Les Trois Lions » . Ce supporter de Watford se réjouit en outre « d’avoir pu rencontrer de manière informelle des joueurs et des membres du staff » . Tout le monde a le droit à ces petits plaisirs personnels un peu coupables.

« Je ne suis pas allée à la messe ce matin, mais il ne faut pas le dire ! »

À l’aumônerie croate, sur le parvis de l’église Saint-Cyrille-de-Méthode, dans le 20e arrondissement de Paris, le Père Tomislav Kraljevic, aumônier des Croates à Paris depuis plus de 5 ans, a troqué sa soutane contre un jean et un tee-shirt blanc délavé estampillé « Croatia » . Le temps est maussade et la bruine s’est invitée à la fête, mais cela n’entame en rien la motivation de cet homme d’Église, à quelques minutes seulement du coup d’envoi du match Croatie-Turquie au Parc des Princes. « Cela n’a rien d’un mauvais augure » , lâche-t-il, un sourire en coin. Deux heures plus tôt, cet ancien aumônier des Français de Zagreb de 46 ans prêchait la bonne parole à ses fidèles, sans que le thème du football n’ait envahi la parole divine. « C’était un prêche comme j’en fais tous les dimanches. Bon, j’ai tout de même eu un mot sur la fin pour notre sélection, mais ça s’arrête là. » À quelques mètres de là, deux femmes se grillent une dernière cigarette avant d’aller encourager Modrić et sa clique. Christine vient de Nancy, tandis que son amie, Sylvie, a fait le court trajet depuis Pontault-Combault pour assister à ce premier match des « Flamboyants » avec ses compatriotes. « C’est la première fois que je viens ici, explique Christine. Je ne suis pas allée à la messe ce matin, je ne suis venue que pour le match, mais ça il ne faut pas le dire !(rires) »

S’il n’a pas eu vent de cette confession, le Père Kraljevic n’en reste pas moins lucide : « Je pense que la plupart des gens qui sont venus assister au match n’étaient pas présents à la messe, mais ce n’est pas grave, l’important, c’est de se rassembler tous ensemble dans ce lieu pour voir la Croatie gagner. » Certains ont tout de même pris le temps d’écouter le prêche, et ce, malgré un programme chargé. C’est le cas de Mario, Français d’origine croate, qui s’affaire depuis 9 heures du matin pour préparer la grande salle située au rez-de-chaussée de l’église et qui sert de lieu de rassemblement pour la communauté. « Je suis venu tôt, d’abord pour installer les chaises, fixer la décoration, préparer le traditionnel cochon de lait qu’on a servi après la messe et charger le frigo d’Ozujsko, la bière de chez nous qu’on fait venir d’Allemagne. Mais j’ai quand même pris le temps d’assister au prêche du Père Tomislav, même si j’ai dû m’éclipser un peu plus tôt pour terminer les préparatifs. » Si c’est pour la bonne cause, Dieu te pardonne, mon fils. Au coup d’envoi du match la salle, noire de monde, n’a d’yeux que pour le rétroprojecteur installé au fond et réglé sur une chaîne du pays. La foi catholique laisse bientôt place à la folie footballistique quand, à la 41e minute de jeu, Luka Modrić expédie une hostie des familles sous la barre du pauvre Babacan Volcan.

Plus qu’une église, un lieu de vie

À la pause, le sourire est sur toutes les lèvres, et Branimir, 56 ans et originaire de Split, en profite pour faire un cours accéléré de l’histoire des lieux : « J’ai fui le pays et le régime de Tito en 1979. Depuis, je retrouve régulièrement cette communauté à Paris pour partager de bons moments comme celui-là. Car ce n’est pas simplement une église, c’est un vrai lieu de vie et d’échange. Il y a évidemment une salle de catéchisme, mais on y trouve aussi une bibliothèque et même une école de croate. Les professeurs sont directement envoyés par l’Éducation nationale croate pour une durée de 4 ans. Avant, on se réunissait dans une autre église, au métro Couronnes, mais elle a été rasée. Depuis, la mairie nous a attribué ce lieu et nous avons réalisé beaucoup de travaux pour qu’il soit tel que vous le voyez aujourd’hui. » Pendant ce temps-là, le match a repris et, avec lui, le service de Mario au bar, qui n’arrête pas de courir dans tous les sens pour désaltérer les fidèles au damier. « Je sers beaucoup d’alcool du pays, comme ce « Rama Podbor », une eau de vie à la prune qui décarcasse et nous permet d’éviter la nostalgie de notre beau pays ! » Finalement, les coéquipiers de Rakitić l’emportent logiquement 1 à 0, et dans la salle, la foule reprend en cœur « Lijepa Lisi » ( « Que tu es belle » ), ce chant traditionnel d’amour à la Croatie. « Maintenant, beaucoup de supporters qui étaient au stade vont arriver pour faire la fête avec nous » , conclut Mario, entre deux remplissages de gobelets en plastique. De son côté, le Père Kraljevic ne s’est pas départi du sourire qui l’accompagnait depuis le début de la matinée. Et pour cause, il ne s’était pas trompé, le temps morose n’avait rien d’un mauvais augure. Ce jour-là, le Dieu catholique avait choisi son camp.

Néanmoins, il ne faut pas pour autant imaginer une guerre des chapelles. Au contraire. Le football peut même apparaître comme un bel outil d’œcuménisme au sein des diverses familles chrétiennes, y compris dans des contextes tendus. « Je suis revenue d’Irlande dans l’avion la semaine dernière, explique Dwayne Gavin,avec un couple charmant d’Irlande du Nord, des presbytériens, donc protestants, qui venaient en France pour l’Euro. Nous avons longuement discuté, c’était très instructif. Nous avons entre Irlandais de diverses confessions beaucoup plus de choses en commun que nous ne voulons le penser. » Que Dieu les entende…

Lyon, au carrefour de ses ambitions

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