Du conte de fées au chemin de croix
« La Regionalliga (la D2 de l’époque) était constituée de groupes régionaux. À Berlin, c’était presque une ligue municipale, c’était beaucoup plus amateur qu’aujourd’hui, situe Hagen Nickelé, le responsable des relations presse du club berlinois. Il y avait un énorme fossé avec la Bundesliga. » Un fossé large comme la disette connue dans l’élite par le Tasmania, incapable de s’imposer durant 31 matchs consécutifs en championnat, un triste record qui tient depuis près de 55 ans et est aujourd'hui sous la menace de Schalke 04. Tout avait pourtant si bien commencé pour les hommes de Franz Linken, accueillis par pas moins de 81 000 badauds à l’Olympiastadion, l’antre habituel du Hertha, pour leur baptême en Bundesliga face à Karlsruhe, le 14 août 1965. La confirmation que le club vient de basculer dans une autre dimension. Et le signe que les supporters du voisin ne lui tiennent pas trop rigueur de cette promotion politique aux dépens de leurs protégés.
« La Bundesliga venait seulement d’être lancée, la ville était divisée, et les gens étaient contents d’avoir au moins une équipe à voir jouer dans le championnat, avance Nickelé. Ils étaient aussi curieux de découvrir cette nouvelle équipe. » La curiosité laisse le 14 août place à l’euphorie : porté par cette invraisemblable assemblée et un doublé de Wulf-Ingo Usbeck en deuxième période, le Tasmania tape Karlsruhe et achève cette 1re journée sur le podium. Joie de courte durée. Sept jours plus tard, les Berlinois se font démonter par le Borussia Mönchengladbach (5-0) et redescendent sur terre. Une branlée annonciatrice du chemin de croix à venir pour le Tasmania. Malgré la présence dans l’effectif de l’ancien Intériste Horst Szymaniak, cinq fois nommé pour le Ballon d’or entre 1957 et 1961 et présent aux Mondiaux 1958 et 1962 avec l’Allemagne de l’Ouest, le promu prend valise sur valise et voit son coach rendre le tablier dès l’issue de la 11e journée et un naufrage à la maison face à Cologne (0-6). Ce, devant 20 000 spectateurs. L’engouement initial a vécu. Et le fameux choc psychologique n'a pas lieu, lui.
De l'art d'exceller dans la médiocrité
Avec son successeur Heinz-Ludwig Schmidt, les résultats ne sont guère plus reluisants. Si l’équipe gratte quelques nuls par-ci par-là, dont un le 15 janvier 1966 face à Gladbach devant... 827 pèlerins, pour ce qui reste la plus faible affluence - hors huis clos - de l’histoire pour un match de Buli, celle-ci empile les records de nullité sur une saison dans l’élite. Records au mieux égalés, mais pour la plupart jamais dépassés, à l’exception du plus grand nombre de minutes sans marquer (831), propriété actuelle du FC Cologne. Et qui valent aujourd’hui au Tasmania d’être considéré - et de se revendiquer - à travers le pays comme l’équipe la plus claquée de l’histoire du foot allemand. Non sans une certaine fierté, étalée sur les T-shirts, sweats et autres produits dérivés. « Au moins, on est connus pour quelque chose » , se marre le RP. Dans le désordre, cela donne : plus grand nombre de défaites (28), de défaites à domicile (12), de revers consécutifs (10), y compris à la maison (8), plus petit nombre de points (8, 10 avec la victoire à trois points), plus grosse défaite à domicile (0-9 contre Meidericher le 26 mars 1966), plus petit nombre de victoires (2) et pire différence de buts (-93).
Seule équipe de l’histoire de la Bundesliga à avoir bouclé une saison sans victoire à l’extérieur, le Tasmania pourrait donc être rejoint dans les livres d'histoire par Null Vier ce samedi. « Mais nous, minimise un Nickelé tout sourire, on l’a fait sur une seule saison. C’est autre chose. » Après tout, le Grand Chelem, en tennis, ne vaut que s’il est calendaire... Le prestige est sauf, donc. L’honneur aussi, quelque part. Car pour sa dernière à la maison, le 21 mai 1966, le Tasmania parvient à mettre fin à sa disette en arrachant un second succès face au Borussia Neunkirchen (2-1, 33e journée), l’autre futur relégué. « Cela ne vaut pas le premier match, admet Hagen Nickelé. Mais les joueurs du Tasmania étaient des amateurs qui s’entraînaient le soir après le boulot. Ils n’ont jamais lâché. Cette deuxième victoire leur a permis de quitter le championnat la tête haute. » Pas sûr, même en cas de succès cet après-midi (15h30) face à Hoffenheim, que les joueurs de Schalke puissent en dire autant en fin de saison.
Par Simon Butel Propos de Hagen Nickelé recueillis par SB.
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