- Polémique FFF/Médiapart
Le maillot bleu… Marine ?
Voici la polémique du moment qui arrive, presque, à éclipser l'attentat de Marrakech. Des dirigeants de la FFF, selon le site Mediapart, caresseraient des doux rêves d'apartheid footballistique pour calmer le bon peuple échaudé par Knysna. Depuis, les explications gênées et les dénégations plus ou moins convaincantes se multiplient. En tout cas, bienvenue dans l'arène.. Il est vrai que la tauromachie vient de rentrer au patrimoine culturel immatériel français.
Peu s’en souviennent aujourd’hui, mais au lendemain du piteux parcours des Bleus en Afrique du Sud, une trentaine de braves militants d’extrême-droite particulièrement inspirés avait envahi le siège de la FFF avec de fortes revendications tout en finesse dialectique : « Dites à M. Escalettes que l’on veut une équipe de France blanche et chrétienne, virez les bougnoules, les muslims et les Noirs. Dites-lui que l’on reviendra et qu’on cassera tout » . Les révélations, si elles s’avèrent exactes, de l’article paru hier sur Médiapart ont dû leur mettre rétrospectivement du baume au cœur. Le journal en ligne raconte ainsi par le menu détail et grâce aux fuites provenant de gens de l’intérieur « scandalisés » , que la fine fleur de la DTN, son nouveau patron François Blaquart à l’offensive et Laurent Blanc en tête, voudrait réduire le nombre de joueurs « noirs et arabes » en sélection nationale, notamment en les filtrant dans les centres de formation dès les 12-13 ans. Marine Le Pen, qui ne s’imaginait pas si performante, doit savourer l’info au même titre qu’un sondage l’annonçant au second tour. Une victoire idéologique dans le droit de fil de la stratégie de la Nouvelle Droite qui inspire tant son entourage et qui prétend conquérir d‘abord les esprits avant de prendre le pouvoir (comme la gauche en 81 selon elle). Et pas de meilleur terrain que le foot pour tester le taux de pénétration et de normalisation d’un discours partisan. Le nouveau FN veut faire le ménage. Le voilà désormais omniprésent, y compris dans la sacro-sainte religion du ballon rond qui paraissait guère à priori lui être la plus favorable à ses obsessions.
Pour revenir à l’essentiel, et à en croire les graves propos rapportés par nos confrères, n’importe qui serait alors déprimé par le niveau d’analphabétisme politique, voire simplement républicains, qui semblerait habiter les cadres “seniors” du foot tricolore. Tout le monde avait déploré l’absence totale de sens civique des joueurs après le dernier mondial. Pour le coup, on s’enfoncerait dans les abîmes. Apparemment, pour les grosses pointures de la DTN, les vrais Français de qualité seraient et resteraient les “blancs”. Les “blacks” et “rebeus”, voire les “musulmans”, relèveraient du second choix (rien de neuf, Georges Valois, futur fondateurs du Faisceau, écrivait à Charles Péguy au sujet de l’affaire Dreyfus, que peu lui importait l’attachement d’un juif à la patrie, il demeurera à ses yeux toujours « sous la tente » ). Bref des palliatifs tout justes acceptables pour marquer ou arrêter des buts. Avec, cerise sur le gâteau, les inévitables clichés sur les exclusives compétences athlétiques des “hommes de couleur”, genre de vacuité qu’on espérait absente des têtes techniciennes bien remplies comme celle de Laurent Blanc, auquel Mediapart prête la fulgurance suivante « Et qu’est-ce qu’il y a comme grands, costauds, puissants ? Des blacks. C’est comme ça. C’est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation et les écoles de football, il y en a beaucoup » . Des divagations à rapprocher des grands moments d’un Jean-Marie Le Pen s’épanchant sur « l’inégalité des races » en s’appuyant sur l’exemple athlétique (donc à défaut du reste) des coureurs blacks… Un Laurent Blanc, brusquement méconnaissable, qui semblerait d’ailleurs ne plus rien lire d’autre que le tweets d’Eric Zemmour : « Les Espagnols, ils disent : « Nous, on n’a pas de problème. Des blacks, on n’en a pas » » . Il est vrai que Luis Aragonés fut en son temps un grand progressiste, traitant Thierry Henry de « negro de mierda » ! Et passons sur l’hypothèse avancée de mettre en place des quotas qui fleurent bon les années trente. Cela dit, pour qui fréquente un peu les arcanes de la vieille maison fédérale, où dès qu’il s’agit de diriger, on se retrouve entre mâles blancs hétéros, ce type de sympathiques échanges verbaux ne constitue pas franchement une grosse surprise. André Mérelle, ancien directeur de l’INF Clairefontaine a ainsi admis sur RMC que ce genre de délire ne datait pas d’hier : « Oui, c’était sous la direction de Gérard Houllier. Il n’y avait pas de quotas à proprement parler, mais des réflexions sur le nombre de blacks et de beurs. Selon eux dont François Blaquart , il y en avait un trop grand nombre » .
Les mauvais esprits vous expliqueront qu’on récolte ce que l’on sème et que l’antiracisme béat de 1998 renvoie forcément en négatif l’alignement frontiste de 2011 dans un univers sportif où seuls les gagnants brillent. C’est oublier un peu vite le contexte, du débat sur l’identité nationale à celui sur la laïcité (enfin sur l’islam), avec souvent des “preuves” extraites du foot dans tous les faux débats d’I-Télé à RTL. Pour résumer tout ce qui tend à nous inculquer qu’il y a Français et Français d’origine. Le foot subit cette pression d’autant plus que le naufrage de Knysna a pour le moins libéré une certaine parole nationaliste et xénophobe (comme l’a bien expliqué Stéphane Beaud dans son livre sur « Les traitres à la nation » ), avec peut-être aussi la volonté chez quelques-uns de faire table rase de la précédente période Domenech.
Reste à s’assurer que les nombreuses citations qui parsèment ce buzz soient exactes (le syndrome “propos rapportés” peut faire mal au moment de la confrontation avec les accusés), car l’équipe de France, en pleine détox, n’avait vraiment pas besoin de redevenir politic addict. Le chef de presse des Bleus, Philippe Tournon, a déjà lancé la contre-attaque en forme d’esquive auprès de l’AFP. « Laurent Blanc récuse ces propos ineptes et contraires à sa philosophie. Il est outré qu’on puisse le mettre en cause de la sorte, toute discrimination étant insupportable à ses yeux, il répète que jamais, il ne cautionnerait cela » . Le sélectionneur se serait contenté d’aborder le problème « des joueurs qui possèdent une double nationalité, qui passent trois ans en pré-formation en France, puis partent ensuite à l’étranger sous d’autres maillots, ce qui ne peut pas ne pas poser problème, mais cela peut concerner aussi des Sud-Américains » . Laurent Blanc a depuis confirmé son indignation « Moi qui suis opposé à toute forme de discrimination quelle qu’elle soit, dire que je cautionnerais des critères de sélection ethniques est une ineptie et me révulse » . Cette histoire n’est de toute façon pas terminée au vu du flot de réactions (de Chantal Jouanno à Marie-Georges Buffet) qui se multiplient, notamment sur le net et sur les réseaux sociaux, et avec l’annonce par Médiapart de nouvelles révélations semaine prochaine. Pendant ce temps Fernand Duchaussoy annonçait en conférence de presse l’ouverture d’une enquête interne (pas de fumée sans feu?) avec une menace à peine voilée pour les journalistes qui ont provoqué le séisme: « Si ensuite, il y a des choses à reprocher aux accusateurs, nous contre-attaquerons » .
Nicolas Kssis-Martov
Lire : l’interview de Stéphane Beaud
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