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  • 20 ans de la victoire de Lens à Arsenal

Le jour où Lens s’offrait la première victoire française à Wembley

Par Simon Butel et Eric Carpentier
13 minutes
Le jour où Lens s’offrait la première victoire française à Wembley

Le 25 novembre 1998, le RC Lens devenait la première équipe française à vaincre à Wembley. Retour sur un crazy Wednesday, une histoire évidemment racontée par les vainqueurs.

Arsenal 0-1 Lens

But : Debève (72e) pour le Racing (Expulsions de Parlour (89e) et Vairelles (89e)

Casting :

Daniel Leclercq : entraîneur du Racing de 1997 à 1999 et champion de France 98, aujourd’hui entre deux stages Raphaël Varane à La Réunion.Guillaume Warmuz : 427 matchs dans les bois entre 1992 et 2003, aujourd’hui titulaire du DES et « libre comme l’air avec (s)on diplôme en poche » . Yoann Lachor : 10 ans et un but pour l’histoire entre 1996 et 2006, aujourd’hui coach des U17 sang et or.Mickaël Debève : 198 matchs et un but pour l’histoire entre 1994 et 2002, aujourd’hui adjoint de Philippe Montanier à Lens.Tony Vairelles : 38 buts et encore plus de talonnades entre 1995 et 1999, aujourd’hui sur un projet de talent show autour du foot.


Prologue

Mickaël Debève : Il était logique avant la compétition qu’Arsenal soit premier et Lens dernier. Pour tout le monde, c’était ça.Yoann Lachor : Mais ce n’était pas du tout « mon Dieu, qu’est-ce qu’il va se passer ? » Plutôt « vite, il faut qu’on joue contre eux, ça va être de bons matchs, on va se faire plaisir ! » On avait à la fois cette innocence et cette envie d’aller se confronter. MD : À cette période des matchs de poule, on n’était pas très bien en championnat, il y avait un peu le feu. Les matchs de Ligue des champions nous permettaient de garder la tête au-dessus de l’eau. Je ne vais pas dire qu’on se préservait, mais il nous tardait de rentrer sur ces matchs-là.Guillaume Warmuz : Arsenal au tirage, c’est déjà un cadeau formidable, c’est le top en Europe. Le deuxième cadeau, c’est de savoir qu’on va jouer à Wembley parce qu’Highbury est trop petit. C’est purement exceptionnel.Daniel Leclercq : Wembley était quand même assez vétuste. À l’entraînement, on arrive, on ne voit que du vert, mais c’était des petites épines vertes qu’ils rajoutent au gazon pour donner un aspect plus intéressant. Et puis bien sûr, les ballons anglais. À cette époque-là, il fallait vraiment les frapper sèchement.


Jour de match

GW : Un jour de match, c’est forcément un jour complètement à part. On sait que le soir on va jouer, on y pense plus ou moins consciemment. Ça nous rend différents ! Mais il faut un contexte de sérénité pour être en paix, et puis entrer dans le match au dernier moment. Pas trop tôt, mais pas trop tard non plus. Si on arrive en retard… Après, chacun sa formule.

Wembley dans mes souvenirs, c’était la Coupe du monde 66 que j’avais vécue devant la télé. Et ils me donnaient la possibilité de vivre quelque chose de plus fort encore en étant acteur. Donc je les ai remerciés pour ça.

Tony Vairelles : Moi, j’étais du genre à ne pas préparer mes matchs. D’ailleurs, on me l’a reproché en arrivant à Lens. À Nancy, on était un groupe de potes, j’aimais bien déconner. Mais avant mon deuxième match à Lens, le coach me convoque et me dit : « Tony, il y en a qui essayent de se concentrer, va dans la salle avec les kinés si tu veux rigoler ! » GW : On a été se balader dans un parc en plein cœur de Londres, c’était une journée très calme, très sereine. Pour la sieste, j’étais avec mon ami Vladi’ Šmicer. On a bien dormi, dans des lits cosys, on a vraiment savouré le moment, quoi ! (Rires.) Ça bascule après la collation. Je ne me souviens pas très bien de la causerie du grand (Daniel Leclercq, N.D.L.R.). Ce que je sais, c’est qu’il nous a dit d’attaquer ! (Rires.) DL : J’ai surtout parlé de ce que représentait Wembley dans mes souvenirs, la Coupe du monde 66 que j’avais vécue devant la télé. Et qu’aujourd’hui ils me donnaient la possibilité de vivre quelque chose de plus fort encore en étant acteur. Donc je les ai remerciés pour ça. Pour le bonheur qu’ils me donnaient d’être là, à côté d’eux, au milieu d’eux, en jouant avec eux. On ne peut pas imaginer le bien que ça peut faire de trouver les mots pour rassurer les garçons, pour les sublimer.


Première période

GW : On entre sur le terrain, Fred (Déhu) est capitaine, Siko (Éric Sikora, N.D.L.R.) est juste derrière moi. Je lui dis : « Siko, on joue pour ça, pour vivre ces moments-là.r » DL : C’est exceptionnel à vivre. Cette musique, avant le match…MD : Dès le départ, on sent qu’ils essaient de muscler le jeu. Ils ont vite vu qu’on avait du répondant.GW : C’est un combat de boxe. À la base, ils sont plus forts que nous, mais on décide de ne pas être restrictif et de rendre coup pour coup.DL : Nos forces étaient de jouer notre jeu, fait d’enchaînements rapides vers l’avant, de courses, de provocations. J’avais des garçons comme Tony ou Vladimir vraiment capables de les transpercer au milieu et de leur faire mal derrière. Ils avaient quand même une relative lenteur en défense (34 ans de moyenne d’âge, N.D.L.R.). TV : Dès la première minute, j’ai senti comme si j’avais un contrat sur le dos. Est-ce que c’est le fait d’égaliser à la dernière minute au match aller ? Premier contact avec Keown, on se retrouve au sol tous les deux. Moi sur le dos, lui au-dessus, comme si tu couchais avec une nana, tu vois. Je vais pour le pousser gentiment et me relever, mais en fait il a sa main derrière ma tête et me tire les cheveux ! Même Parlour, pas quelqu’un réputé violent, quand il revenait défendre, il venait me mettre des coups de savate dans les jambes. Il essayait de viser le ballon, mais tu sens que le mec cherche aussi à te mettre des coups de latte.GW : L’arrêt qui me lance le plus dans le match, c’est la sortie sur Anelka à trente mètres du but. Je suis en retard, Anelka pousse le ballon, si je le joue tel qu’il est, je le fauche, c’est rouge et c’est un désastre à Wembley. Finalement, je prends la bonne décision, j’anticipe, je récupère le ballon et je relance. J’ai la réussite, ça lance mon match. Avant, il y a un centre en retrait de Freddy Ljungberg que je prends à une main. Et puis une frappe d’un international anglais du milieu (Ray Parlour, N.D.L.R). Boom, il met un beau carton côté droit, je la bloque. Et celui où j’ai le plus de réussite, c’est Overmars qui tente le lob, et finalement, je la récupère. Ces quatre-là, je m’en souviens bien.


Mi-temps

DL : J’ai dû leur dire de continuer dans cette voie-là, qu’on commençait à les mettre en danger à chaque fois qu’on percutait, qu’on enchaînait ces actions rapides. Et puis surtout, il y avait Fred derrière qui était en train de faire un gros, gros match en défense centrale. Ça apporte de la confiance.GW : On est à 0-0, on a les meilleures occasions… Bon, ben, on ne lâche rien, hein ! Le grand nous dit de continuer, et nous tous, on se dit : « Allez, on y va, on va la chercher ! »


But de Debève

TV : Moi, je suis dans l’arc des 18 mètres. La balle est à Wagneau (Eloi), elle arrive à Vladi’ Šmicer. Il feinte un centre, fait un crochet, déborde, centre, la balle traverse devant le but… DL : Le gardien, c’était Seaman, hein ? Pas n’importe qui ! Et puis Micka qui tacle pour la mettre au fond.

Tout devient différent, très très lent. Toutes les 30 secondes, je regardais l’heure, je me disais « Mais il marche pas leur truc ! »

MD : Si je suis hors jeu ? Moi, on ne me l’a pas encore prouvé. Il n’a pas été signalé en tout cas ! Donc non, pas hors jeu.TV : Là, on est explosé de joie, on sait qu’on a fait le plus dur. Nouma avait eu pas mal d’actions, mais il n’y arrivait pas. Et là, ça passe.GW : Jusque-là, je suis dans mon match, je n’y pense pas, et d’un coup, boom, on marque. Olalalala… Tout devient différent, très très lent. Toutes les 30 secondes, je regardais l’heure, je me disais : « Mais il marche pas leur truc ! » TV : Moi, mon but était d’aller en mettre un autre. Comme dit Gus, quand t’es gardien, ça doit être dur. En tant qu’attaquant, on sait qu’on va avoir des opportunités. Il faut bien défendre, mais aussi être prêt à jaillir. Parce que l’idée, c’est de mettre le ballon le plus loin possible de nos buts.DL : C’est la première fois que ça m’arrivait : on mène 1-0 et je ne regarde plus le match. Je regarde les supporters lensois. Il y a 70 000 ou 80 000 personnes dans le stade, mais on se croirait à Bollaert. On est à Bollaert ! C’est phénoménal. Ce qui s’est passé dans cette deuxième période, surtout après le but, c’était… (Il ne termine pas sa phrase.) Pas possible quoi, pas possible. Ils sont où les Anglais ? YL : Les supporters, ils étaient des milliers à être venus (8 000, N.D.L.R.). Il y avait vraiment une ambiance de fou.


Carton rouge pour Vairelles

DL : La fin de match, on se fait berner par les anciens de la défense. Tony s’est fait malheureusement avoir par… Comment il s’appelait lui, Dickinson ? (Lee Dixon, N.D.L.R.) TV : En fait, de l’autre côté du terrain, Parlour essaie de déborder Cyril Rool. Ça part un peu en sucette, ils commencent à se chamailler. Cyril Rool ne se laisse pas faire, ils s’accrochent, puis Parlour pète un peu les plombs et met un coup de pied vers Cyril Rool. Je ne crois pas qu’il touche Cyril, mais il y a le geste. L’arbitre met carton rouge à Parlour et jaune à Cyril Rool. Moi, je regarde tout ça, et là je sens quelqu’un qui vient me rentrer dedans avec son épaule. Et le mec, il tombe par terre ! Je me retourne, je me demande s’il fait pas un malaise, tu vois, je suis étonné. Et là, t’as tous les mecs d’Arsenal qui se retournent vers nous, qui me courent dessus. Adams me chope même par le colbac. L’arbitre arrive près de nous, il écarte les joueurs d’Arsenal, je me dis : « C’est bon, il a compris. » Il me met à l’écart, se retourne, main à la poche, bam, carton rouge. Je me souviendrai toujours, je regarde le tableau, je vois 89e minute, je me dis : « Mais c’est quoi ce cinéma ? » Je savais qu’une fois le carton sorti, c’est fini. Je ne suis pas du genre à me plaindre, à crier au scandale, à la Basile Boli qui se roule par terre. Donc je suis resté comme ça et je suis reparti aux vestiaires, comme un con.



Coup de sifflet final

Le fair-play anglais… Arsène Wenger ne m’a pas serré la main. Peut-être qu’il est mauvais perdant ?

GW : 75, 80, 85, 90… On y est quoi ! On sait qu’il y aura toujours ce dernier ballon, la dernière possession. Puis finalement on l’a au milieu, l’arbitre siffle et là… Tout le monde vient vers le kop, qui était juste derrière mon but en seconde mi-temps, et c’est une joie immense, très intense. Ce n’est pas la même joie que gagner un titre, parce qu’un titre, c’est beaucoup plus profond, plus puissant, mais c’est quand même une joie différente des autres. On est dans quelque chose de tout à fait exceptionnel, on le sait, on le lit. On communie bien avec notre public pendant un long moment, vraimentDL : Le fair-play anglais… Arsène Wenger ne m’a pas serré la main. Peut-être qu’il est mauvais perdant ? Pourtant on avait commenté des matchs de Coupe du monde à Bollaert ensemble ! Ce n’est pas grave, hein, mais de temps en temps, il faut quand même le rappeler. GW : Ça dure un moment avec les supporters avant de retourner aux vestiaires, à l’opposé, derrière l’autre but. Et là, une des choses qui m’ont le plus marqué dans ma carrière : monsieur David Seaman m’attend, ça fait un quart d’heure, vingt minutes, et il m’attend, en habit (il appuie), et il me félicite pour le grand match que j’ai fait et pour notre victoire. Voilà (un moment de silence). Alors ça, c’est… J’en suis resté… Ça m’a marqué toute ma vie, d’ailleurs ça me marque encore ! On a échangé les maillots, je l’ai toujours chez moi.


Épilogue

DL : Moi, je suis un peu comme Didier Deschamps : c’est très bien, mais si on se satisfait de ce qu’on a fait, ça veut dire que demain, on n’en fera pas plus. Soyons satisfaits de ce qu’on vient de faire, mais insatisfaits face à ce qu’il reste à faire.

Premiers vainqueurs à Wembley, on s’en fout un peu, en fait. Ce qui compte, c’est que Lens, que personne ne voyait champion l’année d’avant, a les clés pour être en quarts de finale de Ligue des champions !

GW : Je sors toujours le dernier du vestiaire et là, je ne sais pas pourquoi, je ressors par le tunnel et je vais m’asseoir sur le premier strapontin. Il n’y avait plus personne dans le stade et je suis resté cinq, dix minutes à savourer, en plénitude après l’euphorie, tout seul. Voilà, j’ai gagné à Wembley, je suis le premier Français à gagner là-bas, là où le cœur du foot a été inventé. C’est quand même plutôt pas mal !TV : Premiers vainqueurs à Wembley, on s’en fout un peu, en fait. Ce qui compte, c’est que Lens, que personne ne voyait champion l’année d’avant, a les clés pour être en quarts de finale de Ligue des champions ! Il ne faut qu’un nul à Kiev pour passer, sauf que dans ma tête, je sais que je n’y participerai pas. Les mecs viennent me voir, ils me réconfortent, « ouais c’est rien Tony, t’inquiète ! » Mais putain, c’est rien pour toi, mais moi je ne joue pas le prochain match alors que j’ai rien fait ! Certains sont un peu sceptiques au début, même mon propre père. Pourtant il me connaît, il sait que sur un terrain je ne moufte pas, que j’ai compris ça tout gamin. Tiens, pour l’anecdote, mon premier match en pro, c’était contre le PSG. Premier ballon, je vais à la tête avec Kombouaré, lui retombe à terre, moi sur mes pieds. Je lui tends la main et au moment où je le relève, il me dit : « Si tu recommences ça une seule fois p’tit con, je te pète les deux jambes. » Eh bien je n’ai pas bronché et je suis parti me replacer. Je sais rester calme, tu vois. MD : Mon but à Wembley m’a clairement mis en avant. Partout où je vais, même maintenant, on me parle du but de Wembley comme on doit parler du but d’Auxerre à Yo’. Donc quelque part, oui, c’est un aboutissement, parce que c’est la chose la plus grande qui me soit arrivée. J’ai été reconnu avec ce but-là et ça a récompensé tout ce que j’ai fait avant.

DL : Après, c’est fini, on passe à autre chose, c’est ce qui arrive quand on joue la Ligue des champions, ça va vite, ça s’enchaîne, on n’a pas le temps de digérer. Je ne sais même plus si on est rentré directement ou si on est resté à Londres. Même si ça a fait du bruit : à Bordeaux juste après, Élie Baup ne m’a parlé que de ce match, il avait été enthousiasmé !GW : Il me met le doute, le grand… Non, on est rentré, puisque le lendemain matin je me souviens emmener mon fils Mathieu à l’école. On m’avait interpellé, forcément.TV : Le lendemain,, tout le monde est content, ça fait la fête, mais moi, je n’y arrive pas complètement. J’avais envie d’avoir Dixon en face de moi pour qu’il m’explique pourquoi il avait fait ça à la dernière minute. T’es complètement con, t’as rien dans le ciboulot, ou alors tu l’as vraiment fait exprès et t’es un gros enculé ?MD : Avec un match nul contre Kiev, on terminait premiers. Mais se passer de Tony, qui était un pion essentiel, c’était dur, oui.DL : Je ne savais pas que personne n’avait gagné à Wembley avant. Au départ, on ne joue pas pour marquer l’histoire, on joue d’abord pour marquer trois points. Mais c’est vrai que vingt ans plus tard, on m’appelle pour m’en parler. Bon, bah, on va fêter ça, hein. Je n’ai rien prévu dimanche, mais si je n’oublie pas, on boira un coup ici, à la maison.

Dans cet article :
Le Cardinal : « Peut-être qu’on n’aimait pas ma gueule »
Dans cet article :

Par Simon Butel et Eric Carpentier

Propos de MD et YL recueillis par SB, propos de DL, GW et TV recueillis par EC

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