- CAN 2010
La lutte finale angolaise
Le drapeau angolais dit tout : la bande rouge représente le sang versé et la couleur du gouvernement marxiste. La bande noire chante le continent africain et le chaos alentour. Les symboles jaunes décrivent les richesses du pays, dont ne profitent guère les habitants : la roue pour l'industrie, la machette pour les paysans et l'étoile pour le progrès et les rêves de la population. Ils s'entrecroisent à la manière de la faucille et du marteau de l'Union soviétique. Ne manque qu'un ballon pour rappeler l'époque et les rêves de CAN qui agitent tout un peuple.
De mémoire de festivalier de CAN, on n’avait pas souvenir de cérémonie d’ouverture pareillement fastueuse. Comme si l’Angola voulait faire oublier un temps ses hordes de lumpens (60% d’habitants sous le seuil de pauvreté) et appelait de ses vœux les étrangers à investir au plus vite. Deuxième pays producteur de pétrole du continent, cinquième exportateur mondial de diamants, le pays offre toutes les garanties du pays sous-développé. Pas de classe moyenne, des très riches y côtoient des très pauvres.
L’économie émergente a juste permis de financer l’organisation de cette Coupe d’Afrique pour près de 590 millions d’euros, rien que pour les stades. Les Chinois ont construit les stades (quatre ; flambant neufs), les Anglais se sont occupés des pelouses, les Français produisent les images TV, les Allemands gèrent la logistique (billeterie et marketing) et les Portugais exportent leurs reliquats de faux maillots et de casquettes pirates aux oripeaux des sélections africaines.
Après l’indépendance de 1975 arrachée au Portugal, l’Angola s’engouffre dans une longue nuit de guérilla entre le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (le MPLA gouvernemental, soutenu longtemps par Cuba et l’URSS) et les rebelles de l’Unita (financés par l’Af’Sud de l’Apartheid et les Américains). Vingt-sept années d’affrontements entrecoupés de quelques “cessez-le-feu”. La mort du leader de l’Unita en 2002 met fin aux querelles intestines et propulse le pays dans une autre dimension avec une croissance exponentielle. Comme au Nigeria, autour du delta du Niger, les zones pétrolières font l’objet de batailles rangées entre nervis des multinationales, pouvoir central et “areas boys” (les hooligans du terroir), comme dans l’enclave de Cabinda. Même topo pour l’extraction des diamants (rebaptisés “blood diamonds”). Malgré la fin des hostilités, l’espérance de vie ne dépasse toujours pas les quarante-cinq ans chez les Angolais…
Outre les routes défoncées, le long antagonisme aura également freiné l’émergence d’une sélection nationale de foot un peu consistante. Riche d’une forte culture de sports collectifs (volley, basket, hand), les Palancas Negras ne participent qu’à leur cinquième Coupe d’Afrique. La première ne pointant son nez qu’en 1996. Ils n’ont passé qu’une fois la phase de poules et les Hippotragues noirs (1) avaient tenu la dragée haute aux futurs vainqueurs égyptiens en quart de finale (1/2). Deux ans auparavant, les coéquipiers de Flavio avaient même créé la sensation en privant le Nigeria de son premier Mondial depuis 1990, et en faisant bonne figure en Allemagne (deux nuls et une courte défaite contre les demi-finalistes portugais (0/1).
Si elle a joué les trois dernières CAN, l’Angola ne se rendra pas chez son voisin sud-africain cet été puisqu’elle a été incapable de sortir d’une poule éliminatoire où se trouvait un trio de terreurs (Bénin, Niger et Ouganda). A l’image du pays, les Palancas Negras présentent un profil inégal et paradoxal. Après trois matchs dans cette CAN, la plupart des observateurs pointent les hommes de Manuel José comme un des favoris, que tout le monde veut éviter. A commencer par les Ivoiriens et les Égyptiens eux-mêmes.
Les récents incidents avec la délégation ghanéenne (un supporter expédié à l’hosto, un journaliste menotté, des tracas quotidiens pour les entraînements) ne sont pas étrangers à ce pronostic. La prime au pays hôte peut-être. Pas seulement. Si la qualification pour le Mondial 2006 a agi comme un déclic, l’arrivée du coach portugais Manuel José a tout changé. L’homme, qui a découvert Figo au Sporting, enlevé quatre Champions africaines avec Ah-Ahly, possède, comme Khinnah Phiri le sorcier du Malawi, une vraie emprise sur son groupe. Depuis son arrivée en juin dernier, les Angolais ne connaissent (presque) plus la défaite (7 nuls et 2 victoires en 10 parties). Avant, ils alternaient matchs nuls (un peu) et défaites (beaucoup). « Nous n’avons pas de grands joueurs, a commenté Manuel José en conférence de presse. Les nôtres évoluent dans des équipes intermédiaires, à l’exception de Flavio et Gilberto. Nous partons de loin mais nous irons encore plus loin (sic) » .
Bien que la moitié des vingt-trois sélectionnés évoluent à l’étranger, le championnat angolais, bénéficiant des subsides de quelques potentats locaux, affiche un bon niveau. On y trouve notamment quelques internationaux des pays alentour (Zambie, Mozambique, Malawi, Namibie). Ce dimanche, les Palancas Negras joueront pour la première demi-finale de leur histoire mais cela ne leur suffira pas. « Je suis fier de mon pays, fier de ce que nous avons réalisé et maintenant on en veut plus » , s’est enflammé Rui Marques, le capitaine qui joue à Leeds (la troisième div’ anglaise). Une place en finale, c’est le minimum syndical pour tout un peuple prompt à s’embraser.
L’Angola partira nettement favorite devant des Black Stars ghanéennes amoindries et, où la génération championne du monde des moins de 20 ans à l’automne dernier, qui a pris ponctuellement le pouvoir, est encore un peu verte. Mieux : elle bénéficie de la réussite des pays hôtes et se trouve dans la meilleure partie du tableau. Alors que de l’autre côté, on trouve trois mondialistes (Algérie, Côte d’Ivoire, Cameroun) et le double champion d’Afrique en titre (l’Egypte, seule équipe avec trois victoires au premier tour), la sélection locale devra, elle, en cas de succès aujourd’hui à Luanda (17h), affronter le vainqueur de Zambie-Nigeria. Pas tout à fait la même romance. En finale, il sera temps de voir. Tout est toujours possible pour une équipe capable se surclasser le Mali en lui infligeant quatre buts. Comme d’en encaisser quatre en onze minutes…
(1): L’hippotrague noir est un mammifère herbivore qu’on traduit Palenca Negra en portugais. Ce n’est pas une antilope mais ça y ressemble.
Par