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L’allégeance du blond

Par Antoine Donnarieix
5 minutes
L’allégeance du blond

Meilleur Madrilène de tous les temps, Alfredo Di Stéfano aurait dû devenir un joueur du FC Barcelone. Un épisode polémique, rapidement éteint par la grande star merengue lors de son premier Clásico, fer de lance de la domination madrilène des années 1950 et 1960.

Vingt ans, pour les plus vieux, c’est l’âge d’or de la jeunesse et de l’insouciance. Vingt ans, pour les plus jeunes, c’est le moment de prendre son indépendance, de tenir son avenir entre ses mains. Vingt ans, c’est aussi la durée de la plus grande période de disette pour le Real Madrid dans le championnat espagnol. De 1933 à 1953, et même si l’entre-deux guerres a empêché la tenue de trois éditions, le Real n’a jamais été sacré champion d’Espagne durant ce laps de temps. La faute aux deux clubs sévillans, tous deux sacrés une fois, au FC Valence, à l’Athletic Bilbao et à l’Atlético de Madrid. Mais surtout la faute au FC Barcelone, déjà sextuple vainqueur de la compétition et double tenant du titre au moment où démarre le marché estival pour la saison 1953-1954.

Avec son arme fatale tout droit débarquée de Hongrie, le buteur László Kubala, le Barça apparaît comme la grande équipe d’Espagne. Tellement grande qu’elle attire tous les grands noms du football, à commencer par le buteur des Millonarios de Bogotá, un certain Alfredo Di Stéfano. Un an plus tôt, l’avant-centre avait gâché la célébration du cinquantenaire merengue d’un doublé qui a marqué les esprits madrilènes… et surtout un cerveau catalan. Venu assister à la rencontre en tant que simple spectateur, le secrétaire technique du Barça, José Samitier Vilalta, tombe sous le charme du joueur et souhaite immédiatement l’enrôler. La suite, c’est un transfert avorté en Catalogne qui reste en travers de la gorge des Culés et qui débouche sur cette signature sous la pression au sein d’un Real Madrid instrumentalisé par Franco pour ses intérêts politiques personnels. Une transaction qui va changer à tout jamais l’histoire du football espagnol, tant l’aura de Di Stéfano va émerger au soir du 25 octobre 1953.

Duel de flèches dorées

« Quand je suis arrivé en Espagne, Laszi m’a invité chez lui et, à partir de ce moment-là, nous sommes devenus plus que frères. » Si Don Alfredo et son alter ego revêtissent durant trois rencontres amicales la tunique blaugrana avant que la Saeta Rubia s’engage à temps plein pour le Real, ce premier Clásico de la saison dans l’enceinte du nouveau stade de Chamartín prend l’ampleur d’un combat de titans. Qui de Di Stéfano ou Kubala va remporter ce premier duel ? Di Stéfano a-t-il les épaules assez larges pour supporter la pression d’un tel événement ? L’attente est immense à Madrid. « Au Real Madrid, il y avait une grande culture du football. Les gens en Espagne souhaitaient savoir ce dont j’étais capable, raconte Di Stéfano dans un documentaire diffusé par Canal + Espagne. Mon arrivée m’a permis de me faire des amis pour la vie entière. » Pour l’heure, Di Stéfano doit surtout satisfaire la volonté madrilène de vaincre le rival honni. Après six journées de championnat, le Real est leader, mais vient de s’incliner contre le FC Séville. En embuscade, le Barça est deuxième, un point derrière, mais toujours invaincu. Et quand l’arbitre, García Fernandez, lance la pièce en combo short-chemise blanche-veste de costard, Barcelone et Madrid déglutissent un dernier coup avant de se lancer dans l’arène.

Très vite mis sous pression, le Barça se rend compte qu’il débarque dans une fosse aux lions. Les 75 145 spectateurs de la rencontre basculent dans la folie populaire quand Di Stéfano, servi face au but vide, ouvre le score du pied droit (10e). Un temps revenu dans la partie malgré ce retard au tableau d’affichage, le Barça coule complètement avant la pause. Deux buts coup sur coup de l’Argentin Roque Olsen (34e, 35e), puis un service en retrait millimétré pour Luis Molowny (39e) mettent un terme définitif au suspense du résultat final. Le Real écrase le Barça, la dynamique des deux clubs s’inverse en l’espace de 45 minutes. En face, Di Stéfano fait partie de l’équipe en pleine possession de ses moyens, aussi bien sur le terrain qu’en tribune, où le président Santiago Bernabéu applaudit sa réussite à la venue de cette machine à marquer. Pour lui rendre la pareille, la recrue madrilène boucle cette démonstration collective par un ultime face-à-face remporté contre Juan Zambudio Velasco (5-0, 85e). Si cette manita peut apparaître comme une humiliation pour le Barça et une fierté merengue, les conséquences de cette claque où Di Stéfano plante un doublé iront bien au-delà du simple cadre sportif.

« Marquer des buts, c’est comme faire l’amour… »

Auréolé du titre de champion tant attendu en fin de saison, le Real Madrid d’Enrique Fernandez succède à lui-même l’année suivante. En coulisses, le Barça souffre. Victime d’une tuberculose, Kubala voit ses performances se réduire et l’impact du plus gros palmarès espagnol commence à battre de l’aile. La décision du Barça de répondre négativement à l’invitation du directeur de L’Équipe, Jacques Goddet, afin d’organiser la première édition de la C1 pour la saison 1955-1956 sera symbolique de sa phase de léthargie. Pendant ce temps-là, le Real Madrid en profite et Di Stéfano rayonne. « La grande qualité d’Alfredo, c’est qu’il était contagieux dans sa manière d’être, se souvient José Emilio Santamaría, coéquipier à partir de 1957. Si tu étais sur le terrain et que tu le voyais courir, alors tu allais te mettre à courir aussi. Si tu étais dans le vestiaire et que tu l’entendais sortir une blague ou chambrer un coéquipier, tu allais aussi te mettre à rentrer dans son jeu. Il faisait mieux que de participer aux sessions collectives, il les initiait. » La grande histoire du Real aussi.

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Par Antoine Donnarieix

Propos de Santamaría recueillis par AD

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