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Vuk Vidor : « Les dirigeants du foot serbe sont des branques »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
Vuk Vidor : « Les dirigeants du foot serbe sont des branques »

En marge de son exposition The Newton Initiative à Paris, Vuk Vidor, artiste franco-serbe fasciné par les mythologies contemporaines, a accepté de parler foot serbe et Étoile rouge. Celle de Belgrade.

Tu es un mordu de football ?

Quand tu viens de Serbie et de Belgrade, tu es nécessairement dans ce sport. La Yougoslavie à l’époque et la Serbie par défaut maintenant, il y a des résultats sportifs déments par rapport à la taille du pays, surtout dans les sports collectifs. Le sport fait partie du quotidien et du patrimoine, que ce soit du basket, du volley ou même du tennis. C’est juste moins le cas du foot en ce moment. Ce sont des branques, pas les joueurs, mais les dirigeants, c’est terrible. Même en water-polo, on assure mieux. Le foot reste toujours pour nous le sport numéro un par défaut, mais notre équipe régresse malgré tous les bons joueurs que l’on a. On a des mecs incroyables, notamment des jeunes champions d’Europe U19 en 2013, mais ils n’arrivent pas à faire une équipe qui fonctionne. Il y a du potentiel, mais dès que cela doit être sérieux, cela part en couilles. Beaucoup de scandales mouillent notre Fédération, avec toujours les mêmes mecs en place qui font des trafics autour des joueurs… Donc même des mecs comme Branislav Ivanović ne peuvent pas faire grand-chose pour l’équipe nationale avec leur seule bonne volonté.

Tu es originaire de Belgrade. T’es donc obligé de suivre l’Étoile rouge ou le Partizan…

Si tu es neutre, c’est que tu n’en as rien à foutre du foot. Il y a d’autres clubs comme le Rad ou l’OFK, mais ils sont bien derrière l’Étoile rouge et le Partizan. Ce sont plutôt des réservoirs de joueurs pour les deux autres, le Partizan étant le club des flics, l’Étoile rouge celui de l’armée. C’est moins le cas aujourd’hui, on se dirige vers des privatisations des deux clubs, mais la distinction entre ces deux équipes est presque familiale.

Tu comprends la haine entre ces deux clubs ?

Je pense déjà que les mecs qui se foutent sur la gueule pour du foot ne sont pas des lumières. Cette rivalité est entretenue et mythifiée, également instrumentalisée. Pendant les guerres des Balkans, les premiers à partir se battre, c’étaient les membres de groupes ultras. Ont-ils envie de sentir qu’ils défendent une cause ? En fait, derrière ce type de groupes, il y a des choses beaucoup plus sombres comme des trafics de drogue, des réseaux d’indics pour la police. Ces gens sont d’une manière ou d’une autre connectés à la police, instrumentalisés par certains partis politiques. Ce qui ne les empêchent pas de réaliser des choses incroyables dans les stades pour mettre l’ambiance, plus particulièrement dans les matchs de basket de l’une ou l’autre des deux équipes. Parfois, c’est impressionnant l’ambiance qu’ils mettent.
D’une certaine manière, c’est sur les terrains de foot que la guerre a commencé

Tu es supporter de l’Étoile rouge, tu as déjà emmené ton fils au Marakana ?

Oui, ce n’est pas un problème d’emmener sa famille au stade. L’enceinte est grande, les ultras sont derrière les buts. Tout le reste du stade, ce sont des supporters classiques, des familles. Les ultras mettent l’ambiance, mais les excès de violence, les choses tragiques, c’est sûr que bon… Dans les années 90, j’avais assisté à deux derbys. C’était très chaud, les ultras des deux camps avaient beau être séparés et placés à l’opposé dans le stade, ils arrivaient à se mettre sur la tronche que ce soit en traversant le terrain ou en arrachant leurs sièges. Aujourd’hui, les incidents sont plutôt à l’extérieur du stade pendant les matchs internationaux, mais pour les matchs de championnat national, je t’avoue que c’est un peu pathétique, il n’y a pas le même niveau d’organisation. Mais bon, je crois qu’il y a moins d’incidents durant un Partizan-Étoile rouge qu’un Dinamo Zagreb/Hajduk Split en Croatie, où c’est vraiment très chaud. Les mecs s’organisent des combats dans les champs… Maintenant, il y a des discussions autour d’une Ligue yougoslave….

C’est un paradoxe vu ce qu’il s’est passé dans les années 90…

Mais dans tous les sports, ce type de projets marche. En basket, on a la Ligue adriatique par exemple, il n’y a qu’en foot que cela semble pouvoir poser problème parce que d’une certaine manière, c’est sur les terrains de foot que la guerre a commencé, c’est là qu’on a eu les premières étincelles.

C’est dans le football seulement que les ultras sont instrumentalisés ?

Les supporters de l’Étoile rouge, les Delije, je ne peux pas te dire si ce sont les mêmes qui vont assister aux matchs de foot et à ceux de basket. Ils ont les mêmes couleurs, les mêmes chants, car l’Étoile rouge est omnisports, comme le Real Madrid, mais est-ce que ces supporters vont assister à tous les matchs ? Cela m’étonnerait. En tout cas, il y a des groupuscules autour du foot, et comme la Fédération est corrompue et corrodée, ces groupes peuvent prendre pied dans ce sport. On se demande pourquoi ces groupes sont là et ce qu’ils ont à dire…

L’atmosphère d’un Étoile rouge-Partizan, cela ressemble à quoi ?

C’est très bruyant, il y a des chorégraphies, des effets visuels, des feux d’artifices même si c’est normalement interdit. Il y a aussi des messages politiques qui sont exprimés dans le stade. Mais c’est du haut niveau en matière de travaux de supporters. L’Étoile rouge et le Partizan sont deux clubs avec des supporters créatifs sur ce point. C’est le match de l’année, cela remplit le stade. Mais après, les matchs de Coupe d’Europe… Je me souviens d’un Étoile rouge-Bayern Munich en demi-finale l’année où on a gagné en finale contre l’OM à Bari (en 1991, ndlr). La chorégraphie contre le Bayern était hallucinante, ils avaient repris les drapeaux de beaucoup de pays en changeant les couleurs. Et vu qu’on était passés… (vainqueur en Bavière 2-1, l’Étoile rouge a obtenu le match nul 2-2 à domicile dans les arrêts de jeu et devant 80 000 personnes, ndlr).

C’est ton plus beau souvenir de supporter de taper le Bayern ?

Oui, mais taper le Partizan, c’est bien aussi (rires), mais tu les affrontes au moins deux fois dans l’année. Le Partizan, c’est peut-être plus un match à ne pas perdre.
Pour remonter le niveau du football serbe, la seule solution, c’est une ligue régionale avec les autres pays

L’atmosphère dans la ville change à l’approche d’un derby ?

Pas vraiment, à part le jour du match. C’est mieux au Marakana, car c’est plus grand, il y a 60 000 places, alors que le stade du Partizan fait un peu plus de 30 000. Avant le match et juste après, quand le public quitte le stade, tu as des marées humaines. L’équipe gagnante voit ses supporters faire la fête et klaxonner dans les grandes rues du centre ville pendant plusieurs heures…

Une famille mixte, c’est possible ?

Oui, je pense, mais mon père a toujours supporté l’Étoile rouge et mon fils aussi. Dans l’ex-Yougoslavie, l’Étoile rouge avait plus de supporters, car il y avait des gens qui la supportaient en Bosnie, en Slovénie… La diaspora serbe supportait en général l’Étoile rouge. Un pote a d’ailleurs écrit un livre humoristique intitulé 101 raisons pour lesquelles je supporte l’Étoile rouge. Ce club, comme beaucoup d’équipes très anciennes, a une vraie mythologie.

Une génération t’a marqué plus qu’une autre ?

On est beaucoup à avoir été marqués par la génération de 1991 avec Prosinečki, Savićević, Pančev, car c’était la dernière grande équipe yougoslave. Il y avait des Serbes, des Croates, des Macédoniens… même un Roumain-Serbe, Belodedici, et c’est la dernière qui a gagné quelque chose. C’était un exemple, il y avait vraiment la notion d’équipe, même si c’était plein d’individualités extraordinaires. Elles faisaient avancer un groupe.

La guerre a détruit le pays et son football…

Totalement, tu passes d’un pays de 27 millions d’habitants à des pays de 4 ou 5 millions… Le championnat lui-même n’a plus rien à voir. La Ligue serbe aujourd’hui, c’est 14 équipes, mais 6 seulement valent quelque chose. Les autres sont des sparring partners. Le foot est bizarrement le bon reflet de l’état d’une société, cela cristallise bien la situation politique d’un pays. Dans le foot serbe par exemple, tu as des mecs qui s’accrochent à leur pouvoir, mais cela commence à être dénoncé. Je pense que la privatisation des clubs est la seule solution pour que cela évolue. À l’Étoile rouge comme au Partizan, ils sont déficitaires et ne devraient donc pas avoir le droit de participer au championnat. Mais ils continuent de payer leurs clubs grâce à des sociétés annexes et de l’argent de l’État.

Le foot serbe a besoin de se régénérer ?

Il y a du talent, du potentiel, mais la politique doit être totalement changée. Et peut-être qu’il faut recréer une ligue qui intègre d’autres pays, pas seulement les pays de l’ancienne Yougoslavie. Les Croates ne veulent pas de quelque chose ressemblant à l’ancienne Yougoslavie, donc ils réfléchissent à avoir également des Bulgares, des Hongrois… Pour remonter le niveau, c’est la seule solution, une ligue régionale. Aujourd’hui, le nerf de la guerre, c’est l’argent, il suffit de voir les clubs anglais ou le PSG.

Vuk Vidor expose The Newton Initiative à la galerie Magda Danysz, dans le 11e arrondissement de Paris, jusqu’au 6 juin 2015.

Propos recueillis par Nicolas Jucha

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