Transferts, un agent dénonce !
Dans un livre-enquête pamphlétaire, Jérôme Jessel, journaliste et Patrick Mendelewitsch, ex agent de Jérémy Menez, entre autres, dénoncent les pratiques d'un football vicié jusqu'à la moelle. Eclairant.
Le livre s’intitule La Face Cachée du foot-business. Le genre de titre racoleur qui sent fort l’imposture. Et pourtant. Malgré la difficulté de l’écriture à quatre mains, les facilités de langage (l’expression récurrente « Les Maîtres du monde » , ce genre) destinées à aider les novices, les deux auteurs synthétisent parfaitement les affaires qui ont secoué le football français (les comptes de l’OM et du PSG, notamment), décryptent les mécanismes de la Fifa, éclairent sur la fonction des paradis fiscaux off shore (la fameuse île de la Tourterelle) et, surtout, entrent réellement dans le détail des mécanismes financiers destinés à noircir l’argent des transferts. Un livre qui dit beaucoup sur l’envers (l’enfer?) du décor d’un football qui, malheureusement, ne se préoccupe plus tellement du terrain. Entretien avec Patrick Mendelewitsch, premier agent à réellement « charcuter » le système.
Quels retours tu as eu sur le bouquin ? Rien du tout. Ils sont extrêmement prudents. Ce qu’on constate, c’est que la famille fait bien son taf, et leur stratégie consiste à étouffer le bouquin. Ils suggèrent l’autocensure à tout le monde et ça marche bien (ni L’Equipe, ni France Foot n’ont parlé du bouquin…, ndlr).
L’argent est souvent au cœur des polémiques du football. On charge l’agent tout seul, mais il faut être deux pour danser la valse.
N’empêche beaucoup d’agents font n’importe quoi, combien se contentent des 10% qui leur sont dus ? En fait, l’agent peut cumuler les casquettes d’agent du joueur – et prendre 10% sur le salaire du joueur – et d’agent du club qui l’embauche – et prendre à nouveau une commission. Poussons cette logique à l’extrême, et on a le cas Clerc. L’agent du joueur, Guerra, a accepté un mandat de l’OL pour persuader son joueur de prolonger à l’OL. Et il accepte également à quelques heures près un mandat de l’OM pour le faire venir à Marseille. Alors bon, là, c’était tellement gros qu’il y a quand même eu des sanctions: quelques matchs pour le joueur et une sanction pour Guerra, mais faut pas se leurrer, ce genre de pratiques ne choquent personne.
Comment un agent peut-il accepter ce genre de missions ? Ou il est fou, ou il sait qu’il n’y a pas de règles.
Bernès/Migliacio est actuellement la paire la plus active du mercato : ils sont agents de tous les entraîneurs tout en étant agents de joueurs en même temps… Ce n’est pas interdit.
Mais c’est étrange. Oui, il y a clairement conflit d’intérêts et on voit très vite à quoi ça donne lieu : chaises musicales, j’allais dire symphoniques parce que c’est plus de la musique de chambre, c’est carrément du philharmonique à ce stade et on se dit « Bah pourquoi ? » Bah parce qu’il faut bien que l’argent circule…
Ca c’est l’intérêt de Bernès et Migliacio, ok, mais l’intérêt des clubs là-dedans ? Il n’y a aucune explication logique. Quelque soit la manière dont on tourne le problème des transferts dans le football, et ce au niveau mondial, il n’existe aucune explication rationnelle. La seule explication qui vient, malheureusement on tombe toujours dessus, c’est la rétro-commission. C’est la seule explication possible.
Tout le monde se gargarise du mot blanchiment en ce moment… Moi ce que je pense, c’est que pour l’instant, toutes choses égales par ailleurs, le foot noircit en quantités industrielles mais il ne blanchit pas énormément. Noircir, c’est-à-dire que de l’argent officiel dont on peut sourcer la provenance qui va disparaître. Pour une caisse noire, souvent. Dans le foot, on a constamment besoin d’une caisse noire pour payer les compléments de ceci, de cela, comme le système est globalement déviant, ça veut dire que la lubrification à chaque étape, c’est la caisse noire. Maintenant, on s’aperçoit par le petit détour en Amérique du Sud dans le bouquin que l’on touche là du doigt, en plus du noircissement, le blanchiment. Et ça c’est très grave.
La gangrène est mondiale ? Evidemment. J’ai connu un Christian Letard, un entraîneur que j’aime beaucoup, un type honnête, un vieux de la vieille qui est parti il y a quelques années pour être sélectionneur d’un pays asiatique (le Vietnam, ndlr), il est revenu au bout de quelques semaines en disant: « C’est pas possible, le système est complètement pourri : le championnat est pourri, les sélections nationales résultent ni plus ni moins que de pressions des uns et des autres, etc. » , le football n’est plus un sport avec un doute sur l’issue. Face à cette situation qui est connue, tout le monde en a conscience à son niveau, mais ma thèse c’est qu’aujourd’hui le système est tellement impliqué qu’il ne peut plus réagir. De l’intérieur, il n’y a plus de réactions possibles. J’en suis le témoin.
Est-il possible d’avoir des recours extérieurs ? C’est la conclusion du bouquin: Platini le répète sans arrêt de manière un peu suspecte d’ailleurs : « Le foot doit rester aux footballeurs et c’est pas les juges qui doivent prendre les décisions pour le football, ce sont les gens du football eux-mêmes » …
Qui est aussi le leitmotiv de Blatter. Qui est le leitmotiv de toutes les familles du foot. Et on comprend pourquoi, parce qu’à chaque fois que la justice s’empare d’un dossier du football, ça fait mal. Mais en matière de football, l’exemple français est parlant: en France, la réglementation est précise, intelligente, c’est sans doute la réglementation la plus achevée au niveau des textes en Europe. Donc on pourrait se dire: pourquoi aller se faire chier auprès des tribunaux alors que tout est prévu par le système pour réglementer, arbitrer, sanctionner. Le problème, c’est qu’on est à un degré tel de compromission du système qu’il n’applique plus ses propres règles. Donc on est obligé d’avoir recours à la justice civile.
Pour assainir la profession d’agent que faut-il faire ? L’argument de ceux qui veulent qu’on continue comme ça consiste à dire que si ce n’est pas le club qui paie l’agent, ça coûte plus cher, parce que la rémunération de l’agent va être incluse dans la demande du joueur, donc traitée en salaires, c’est-à-dire avec des charges sociales en plus. Mais qu’est-ce que c’est que cette connerie? L’agent est censé envoyer une facture au joueur, avec la raison sociale et tout le tremblement. Avec TVA, c’est vrai: le joueur va devoir casquer la TVA et ne pas pouvoir la récupérer, certes, mais à la fin de l’année, quand il fait sa déclaration de revenus, il peut choisir la formule « frais professionnels » et passer la facture de son agent en « frais professionnels » , c’est tout à fait cohérent, le caractère de « frais professionnels » est indiscutable. Donc il va payer la facture de son agent, mais il va la déduire de son revenu imposable, conclusion, c’est transparent fiscalement et qui va payer la commission de l’agent, le trésor public, et pas le club. Il y a donc beaucoup plus économique pour le club que de payer la facture à 19.6% de l’agent, c’est de ne rien payer du tout. Trop rose. Personne ne veut de ce monde-là. Car si je ne paie plus l’agent, il ne va pas me rétrocéder l’argent derrière. Tout le système repose là-dessus. Pour retrouver l’essence du beau jeu faut arriver à la kalachnikov et nettoyer au sens propre du terme parce que la gangrène, jusqu’au genou on peut encore couper mais quand ça atteint le cerveau c’est compliqué…
Propos recueillis par Franck Annese
Lire la suite dans So Foot 45 à sortir le 2 juillet.
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