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Stéphane Auvray : « Cela faisait dix-huit ans que Saint-Martin n’avait pas gagné ! »

Propos recueillis par Florian Lefèvre
Stéphane Auvray : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Cela faisait dix-huit ans que Saint-Martin n’avait pas gagné !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

En septembre 2017, l’ouragan Irma a ravagé l’île de Saint Martin et tué 11 personnes. Depuis, forcément, la sélection locale n’évolue pas dans les meilleures conditions. Mais elle vient de remporter deux matchs au dernier échelon de la Ligue des nations de la CONCACAF face à la Barbade et les îles Caïmans. Quelle est la place du foot dans la reconstruction de l’île ? Entretien avec le sélectionneur, Stéphane Auvray, avant le dernier match de poule aux îles Vierges.

Tu es guadeloupéen et tu as grandi à Saint-Martin. Qu’est-ce qui a marqué ton enfance là-bas ?L’insouciance. Dans les années 1980, à Saint-Martin, j’allais à l’entraînement en stop. Mes parents étaient au boulot – mon père était chef cuisiner, c’est pour ça que mes parents ont déménagé à Saint-Martin. Je me mettais au bord de la route. Souvent, les militaires s’arrêtaient et je montais dans la Jeep avec eux, sur les bancs, à l’arrière. Ça pouvait aussi être un voisin ou un gars que je ne connaissais pas.

À quel moment tu as réalisé que tu pouvais devenir footballeur ?

Dans les années 1980, à Saint-Martin, j’allais à l’entraînement en stop.

J’ai fait un tournoi de foot à La Barbade avec Saint-Martin. J’avais douze ans, quatre ans de moins que les autres joueurs. Un ami de mon père lui a dit : « Tu devrais l’envoyer en sport-étude en France. » Comme mon père est normand, je suis parti à Caen. J’ai fait un essai au collège Jean-Moulin de Caen, ils m’ont demandé si j’avais un club : « Bah, non, j’arrive de Saint-Martin. » Donc je suis allé au Stade Malherbe, où j’ai intégré le centre de formation à quatorze ans. Il y avait Rothen, Gallas…

Ça s’est passé comment ?Le plus difficile, c’était le froid. Ne pas sentir ses pieds. T’as froid, donc tu respires mal. À Saint-Martin, on a un accent quand on parle français. J’ai essayé de le perdre, parce qu’on se moque de ton accent. Mais j’avais de la personnalité. Des anecdotes ? Ce dont je me rappelle, c’est que tous les matins, l’un d’entre nous devait aller chercher le pain à la boulangerie. Tu savais que certains matins, tu n’allais pas en avoir… Mais, avec les plus jeunes comme moi, t’étais sûr d’en avoir… Sinon, j’allais en entendre parler.

Qu’est-ce qui t’a manqué pour percer au Stade Malherbe ?Je pense que je me suis précipité. Je n’avais pas d’agent pour me conseiller. Sachant que mes parents ne connaissaient pas le milieu du foot. Avec un peu plus de patience, je pense que j’aurais pu intégrer le groupe pro. Finalement, j’ai remonté les échelons avec Vannes depuis le CFA. La finale de la Coupe de la Ligue contre Bordeaux en 2009 ? Malheureusement, ce n’est pas un super souvenir. Déjà, on perd 3-0 au bout d’un quart d’heure. (Rires.) J’entre seulement en seconde période, et étant titulaire indiscutable au cours de cette saison, quand tu vois le scénario…

Quels sont les meilleurs souvenirs de ta carrière ? Les Gold Cup avec la Guadeloupe : une demi-finale en 2007 et un quart de finale en 2009. On a eu une petite prime de match à la fin, mais les mecs étaient venus pour rien. On était venu parce qu’on voulait représenter la Guadeloupe et la Caraïbe. Quelque part, ça permettait de s’émanciper par rapport à la situation politique.

C’est-à-dire ?

Il était minuit, le parking de l’aéroport était plein parce que les gens étaient fiers.

En tant que département français, on n’est pas membre FIFA. On ne bénéficie pas des aides et des structures FIFA. Donc tu es quand même pas mal handicapé par rapport aux nations de la CONCACAF. Mais on avait des joueurs de qualité et un super état d’esprit, c’était logique qu’on aille en demi-finale en 2007. Je me rappelle surtout le retour en Guadeloupe. Il était minuit, le parking de l’aéroport était plein parce que les gens étaient fiers. On a communié à l’aéroport, c’était du partage à l’improviste. Ce qui n’est pas plus mal. Et puis, on est reparti de plus belle en 2009.

Un match référence ?Le deuxième match de poule contre le Nicaragua en 2009. On maîtrise notre sujet, on gagne 2-0. Je marque, il faut le signaler parce que je ne marquais pas souvent. (Rires.) J’étais au bon endroit, au bon moment, pour reprendre un centre d’Aurélien Capoue. Derrière, on avait David Sommeil, c’était le top. Jocelyn Angloma nous amenait de l’expérience. Mickaël Tacalfred était toujours solide en arrière droit, je suis vraiment content pour lui qu’il ait fait cette carrière en Ligue 1, il le mérite.

En 2009, toujours, tu quittes le Nîmes Olympique en cours de saison, c’est la dernière fois que tu joues en Ligue 2. Pourquoi ?Pour des raisons familiales, j’estimais qu’il était préférable de rentrer à la maison pour quelques mois, donc je suis allé voir Monsieur (Jean-Michel) Cavalli (le coach du Nîmes Olympique, à l’époque, N.D.L.R.). Je ne le remercierai jamais assez. C’est quelqu’un qui privilégie l’être humain, et à partir du moment où ça touchait à la famille, il m’a dit : « Pas de problème. » Quelques mois plus tard, je suis parti en MLS. Mes parents ont vécu aux États-Unis. Ayant grandi dans un domaine anglophone à Saint-Martin et ayant une épouse anglophone qui vient de Trinidad, ça m’a aidé.

On parle anglais à Saint-Martin ?C’est un mélange de tout : tu parles anglais, français et créole. Dans la partie française, tu as beaucoup de Français, dans la partie néerlandaise, tu as beaucoup de Néerlandais et d’Américains. C’est super, parce que quand tu es jeune, tu apprends à parler plusieurs langues.

Tu as joué aux New York Red Bulls, à la même époque que Thierry Henry.

J’ai redécouvert le football en jouant avec Thierry Henry et Rafa Márquez.

Oui, quand je suis arrivé à New-York, j’étais à l’hôtel, et c’est Thierry qui m’emmenait et me ramenait des entraînements. En bons Guadeloupéens, on a partagé de la nourriture antillaise. J’ai redécouvert le football en jouant avec lui et Rafa Márquez à New York.

Pourquoi ? Les deux venaient de Barcelone. Tu sens qu’ils sont tout le temps dans la compréhension du jeu. Comment fixer ? Comment donner ? Comment masquer ses passes ? Comment construire des triangles ? Ils ne doivent même pas le savoir d’ailleurs, mais j’ai appris énormément avec eux sur l’importance de la réflexion et de l’utilisation du cerveau. Surtout avec Rafa, car Rafa a moins de qualités athlétiques, donc il faut vraiment qu’il soit super intelligent sur le terrain. Finalement, en les côtoyant, tu vois des choses et tu as des idées que tu n’avais pas auparavant. Je n’ai pas pu en bénéficier comme joueur parce que j’avais déjà 30 ans, mais ça m’a vraiment donné envie de le partager avec les plus jeunes.

Après avoir passé tes diplômes, tu as monté ton académie à Kansas City, où tu avais joué avant d’aller à New York. Comment les choses évoluent ?Ça fait bientôt six ans que j’ai ouvert l’académie. Tous mes meilleurs jeunes, je les envoie au Sporting KC en MLS. On en est à dix-neuf jeunes qui ont intégré la franchise de MLS. C’est un travail qui porte ses fruits. Et puis, Saint-Martin m’a contacté en janvier 2019 et ça a commencé avec une revue d’effectif lors du dernier match de qualif’ pour la Gold Cup.

Quels étaient tes objectifs en prenant en charge la sélection de Saint-Martin ?Sortir Saint-Martin de l’anonymat, aider les jeunes à progresser et produire du jeu de qualité. J’ai soumis un projet au comité directeur en leur expliquant qu’il fallait avoir le renfort de joueurs de l’extérieur pour hausser notre niveau de performance et aider les jeunes à être exposés. Ils ont accepté mon projet, donc j’ai le droit de convoquer dix joueurs hors territoire pour chaque rassemblement. Forcément, tu vois la différence. On a gagné deux matchs sur cinq de la Ligue des nations.

C’est toi qui démarches les joueurs en Europe ?Oui. Sachant qu’à la base, la sélection est constituée de joueurs de Saint-Martin, mais aussi de la Martinique, de la Guadeloupe ou de la Guyane, on peut appeler des joueurs qui ont une origine caribéenne. Le plus connu, c’est Wilfried Dalmat. Les joueurs évoluent en National, en CFA, il y en a un en Grèce. De fil en aiguille, tu mets en place un réseau.

Les joueurs sont partants ?Oui, ils sont partants, mais je fais très attention. Mon discours est axé sportif sur la fin. Avant, je leur demande : « Quel est ton rapport avec la Caraïbe ? Pourquoi tu voudrais jouer pour nous ? » Je me renseigne sur leur état d’esprit. Je n’attends pas une réponse particulière, c’est plus un ressenti quand le joueur me donne sa réponse. Il faut que je sente que ça vient du cœur et que c’est vraiment important pour lui.

En septembre 2017, l’ouragan Irma a ravagé 95% de l’île. Comment as-tu vécu ce drame ?

L’ouragan Irma ? Même si ça a pris du temps, les assurances ont fonctionné pour reconstruire des maisons.

J’étais aux États-Unis. Tu veux aider, mais tu ne sais pas comment. Tu appelles tes amis, ils sont injoignables. Quand tu arrives à les joindre, ils te disent que la situation est précaire, qu’il n’y a pas d’eau potable. Donc tu as un sentiment de frustration de ne pas pouvoir aider. J’ai un ami dont le toit n’a été construit que l’année dernière. Avant, sa famille vivait sous une bâche. Même si ça a pris du temps, les assurances ont fonctionné pour reconstruire des maisons, je ne suis pas du tout négatif.

Où en est la reconstruction des infrastructures de foot plus de deux ans après ?On avait eu la chance d’avoir deux terrains en synthétique neufs juste avant Irma, et tout est tombé à l’eau – c’est le cas de le dire. On s’entraîne à Marigot, le centre névralgique de la partie française de Saint-Martin. C’est un terrain en stabilisé. Avec l’équipe nationale senior, on s’entraîne dans la partie hollandaise, car leur synthétique a survécu au cyclone.

Et vous jouez vos matchs à domicile sur l’île d’Anguilla.

Saint-Barth’ a eu la chance de recevoir une donation privée de Roman Abramovitch.

Oui, on fait une grosse quinzaine de minutes de bateau. On joue sur leur terrain, ce n’est pas extraordinaire, mais pour un terrain antillais, ça passe… Ça veut dire que sur celui-là, il y a de l’herbe. Chez nous, il n’y a pas que les terrains de foot à construire. J’ai entendu que ça allait se faire à l’horizon 2020. Notre voisin, Saint-Barth’, a eu la chance de recevoir une donation privée du président de Chelsea, Roman Abramovitch. Comme il habite là-bas, il avait envie de donner sa contribution, et le terrain a été reconstruit en trois mois.

Quelle est la fréquence des entraînements de la sélection ?J’ai un coach adjoint à qui j’envoie les séances. Il entraîne les joueurs deux fois par semaine. Ensuite, on a un préparateur physique qui les entraîne également deux fois par semaine. Saint-Martin progresse à une vitesse accélérée. Ce qui ressort, c’est que la formation française est tellement bonne que mes joueurs ont besoin de peu de temps pour se connaître.

Quel regard portes-tu sur la mise en place de la Ligue des nations ? Pour Saint-Martin, c’est super positif. Ça ouvre des portes pour permettre à nos jeunes d’aller jouer à l’université aux USA ou en CFA en France. Avant, même si tu avais des bons jeunes, tu ne savais pas comment les exposer. Étant donné que le niveau était très faible, ça n’intéressait pas les sélections de la Caraïbe de faire des matchs amicaux contre Saint-Martin. Et puis, avec la Ligue des nations, tu n’as pas le souci de « comment on va faire pour se déplacer » . Le transport, le logement, les coûts du voyage, c’est pris en charge par la CONCACAF.

Quel est le niveau du championnat local ?

Le championnat de Saint-Martin n’a toujours pas repris cette saison.

Il y a eu un championnat l’année dernière, mais il n’a toujours pas repris cette saison. On ne va pas se mentir, le niveau est très faible. En revanche, tu as des joueurs à fort potentiel. Mon arrière droit, Emmanuel Richardson, qui a 17 ans, il ne fait pas de match de championnat, mais en Ligue des nations, il ressort toujours du lot.

Il y a une culture du foot à Saint-Martin ?Il y en a eu une. Dans les années 1990, Saint-Martin était capable d’être au niveau de la Guadeloupe. Dans les années 2000, un écart phénoménal s’est créé. On a gagné un match le mois dernier, cela faisait dix-huit ans que Saint-Martin n’avait pas gagné ! On revient de loin. La Barbade, les îles Caïmans, c’est des nations qui bénéficient des aides de la FIFA avec des joueurs évoluant aux USA et en Angleterre. Alors, ramener deux victoires contre eux, c’est vraiment exceptionnel.


Samedi, vous avez donc battu la Barbade 1-0 « à domicile » . Il y avait du public ?Peut-être 200 personnes. Il faut savoir que les gens se sont désintéressés du football. Parce qu’ils avaient des impératifs à régler après le cyclone. Et aussi à cause du niveau de la sélection. C’est aussi notre boulot de les faire revenir.

Au bout de la première année, le bilan semble positif, donc ?Il fallait que les gens reconnaissent la qualité de notre football. Qu’un groupe se soit constitué. Qu’on ait réussi à prendre des points. C’est le cas. Le prochain objectif, c’est de viser la montée dans le groupe B lors de la prochaine phase de Ligue des nations.

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