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Pourquoi l’Autriche peut être la sensation de cet Euro

Par Maxime Brigand, à Düsseldorf
8 minutes

Battue une seule petite fois depuis l’automne 2022, l’Autriche de Ralf Rangnick, qui a rapidement su faire infuser ses idées dans la tête d’un groupe de joueurs récupéré il y a à peine deux ans, a toutes les armes pour embrouiller un groupe D intrigant. Voilà lesquelles.

Pourquoi l’Autriche peut être la sensation de cet Euro

Croisé dans un couloir de stade, à Vienne, en juin 2022, quelques minutes après un dîner avec l’équipe de France, David Alaba avait haussé les épaules, puis lâché dans un sourire : « Pourquoi avions-nous l’air si libérés ce soir ? Peut-être car nous en avions assez de jouer le type de football que l’on pratiquait ces dernières années… » À l’époque, l’Autriche du foot n’était qu’au tout début de son histoire avec Ralf Rangnick, 65 ans, nommé dix jours plus tôt après un intérim qui était tout sauf un cadeau à Manchester United. La sélection n’attirait pas les foules, avait échoué à attraper son billet pour le Mondial au Qatar, sortait d’un cycle passé à pratiquer un football plus restrictif et ne faisait pas flipper grand monde. Depuis, voilà : si la réception des Bleus avait été suivie de trois défaites – au Danemark et en France, puis face à la Croatie –, elle l’a surtout été par un bilan de douze victoires lors des seize matchs suivants et par un seul petit revers, face à la Belgique (2-3), au bout d’une rencontre qui avait quand même vu les Burschen montrer de nouvelles belles promesses. Oui, l’Autriche arrive à cet Euro en forme et oui, Rangnick, inspiré dans sa vie par Valeri Lobanovski et Arrigo Sacchi, a, encore une fois, réussi le coup de faire adhérer un groupe de joueurs à sa vision fiévreuse du jeu.

Pressing ardent

En regardant le futur adversaire de l’équipe de France sur un gazon, une première chose saute évidemment aux yeux : son pressing ardent, à l’affût du moindre contrôle adverse fébrile ou de la moindre passe négative, qui ne cherche qu’à étouffer coûte que coûte. Lors d’un long entretien pour So Foot, début 2020, Ralf Rangnick justifiait ainsi l’utilisation de cette arme : « D’un point de vue statistique, plus de 60% des buts arrivent après une phase de transition, et parmi eux, seuls 10% surviennent après un temps de possession supérieur à 20 secondes. Si vous prenez ces chiffres en compte, vous vous rendez compte à quel point la phase de récupération du ballon est importante. C’est pour cela que c’est devenu un thème central pour moi, aussi bien en match qu’à l’entraînement. Si on maîtrise cet aspect et que l’on est fort en transition, les probabilités d’avoir une occasion de but sont énormes. Et plus on a d’occasions de but, plus on peut marquer de buts, donc plus on augmente nos chances de victoire. Alors oui, c’est plus risqué, notamment dans nos passes, mais ça nous permet de nous trouver dans une meilleure situation de départ que lors d’une longue phase de possession. »

L’Autriche n’est évidemment pas suicidaire et n’avance pas bêtement, tête baissée, dans les circuits de relance de ses proies. Son approche sans ballon suit des repères précis, et on voit ainsi d’abord, souvent, le même ballet, où les deux attaquants, les deux milieux de terrain et les deux ailiers, qui forment les deux premières lignes de pression d’un 4-4-2 ultra-discipliné, tournent autour des milieux adverses, se contentant de fermer consciencieusement l’accès aux passes intérieures et forçant alors, assez souvent, un jeu long. C’est au moment où un adversaire affiche clairement son intention que la machine se met en route, portée par un grand nombre de joueurs nourris à la chasse et aux attaques rapides, mais aussi par une ligne défensive assez haute, devant être en alerte d’éventuels lancements dans la profondeur ou de décrochages entre les lignes.

Séquence symbole de l’animation défensive de l’Autriche face à l’Allemagne. On voit bien le 4-4-2 en place, compact, autour des milieux allemands.

La passe de Hummels vers Goretzka va alors servir de « starter » pour le pressing autrichien, Seiwald sortant vite et fort sur le milieu du Bayern…

… empêchant alors l’Allemagne de progresser et la forçant à aller sur le côté, où il est plus facile de l’enfermer. Chaque pressing est orienté, déclenché au bon moment, de façon à couper toutes les lignes de passe vers le cœur du jeu.

Obligée d’aller le long de la ligne, l’Allemagne, toujours en infériorité numérique, s’expose et voit Mwene récupérer le ballon dans les pieds de Brandt.

Moins de dix secondes plus tard, le même Mwene est en position de centre.

Un centre repoussé, mais l’Autriche a déjà créé les conditions d’une récupération rapide autour de la surface adverse avec Seiwald, notamment.

Gnabry a beau s’arracher pour récupérer, un mur attend Sané devant lui…

… et Mwene peut retrouver Schlager dans une position idéale.

Son centre ne trouve pas Gregoritsch, mais l’intention était là.

Autre situation face à la Turquie, de pressing plus haut, à la suite d’un six mètres, où l’Autriche, naturellement en place, va couper son adversaire à la source…

… gratter un bon ballon par son ailier gauche (ici Schmid) et ouvrir le score.

Si le pressing est une arme redoutable de cette Autriche, que le staff des Bleus craint, mais qui reste vulnérable face aux changements d’aile si les pressions ne sont pas effectuées dans le parfait timing, il est toujours curieux de voir si elle peut être conservée à forte intensité tout au long d’une rencontre. Néanmoins, attention : cette troupe possède aussi de nombreuses idées avec le ballon, que l’on a forcément déjà aperçues dans les différentes équipes du groupe RedBull lors de la dernière décennie, Ralf Rangnick ayant été l’architecte à la base de toute cette révolution.

« En fait, je veux que mon équipe attaque presque tout le temps »

Première d’entre elles, un 4-2-2-2 en phase de possession, classique des équipes de Rangnick, animé par deux ailiers intérieurs agissant comme des meneurs (Laimer et Sabitzer) derrière un connecteur – Baumgartner, en feu depuis l’arrivée du nouveau sélectionneur – et un 9 mobile, aussi à l’aise dos au jeu que dans le petit jeu de déviation ou pour démarrer au bon moment sur les phases de transition (Gregoritsch). L’objectif de l’Autriche, qui a des mécanismes solides pour ouvrir ses ailes, est alors assez simple : arriver aussi vite que possible dans le camp adverse, soit grâce à l’audace balle au pied de ses centraux pour toucher des joueurs entre les lignes pendant que d’autres étirent le bloc adverse avec des courses à vide, soit via un jeu long en direction de Gregoritsch et le gain de seconds ballons notamment favorisé par la supériorité numérique générée par la présence d’un carré offensif très dense. Ralf Rangnick, dopé à l’urgence, le détaillait, toujours en 2020 : « L’idée, selon moi, est que l’équipe se trouve rapidement dans une zone qui peut représenter un danger de but pour l’adversaire. Ainsi, si un ballon au sol ne parvient pas à casser les lignes adverses, nous utilisons les passes longues ciblées. Il faut toujours se montrer proactif, imprimer son rythme de match à l’adversaire, que ce soit avec ou sans le ballon. En fait, je veux que mon équipe attaque presque tout le temps : soit en jouant en direction du but adverse, soit en attaquant la possession de l’adversaire pour pouvoir, ensuite, se projeter vers son but. »

Dans ce contexte, le professeur va cependant devoir faire sans deux cadres : David Alaba, victime d’une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche en décembre et qui sera dans le staff pour l’Euro, et Xaver Schlager, pièce centrale du double pivot autrichien aux côtés de l’indispensable Nicolas Seiwald, lui aussi touché au genou gauche. Le premier devrait être remplacé dans le onze par Maximilian Wöber, très à l’aise balle au pied. Le second pourrait l’être par Florian Grillitsch, à moins que Konrad Laimer soit reculé d’un cran. Ce qui ne changera pas, en revanche, c’est la manière d’avancer de l’Autriche, qui cherche constamment à être en supériorité numérique à la relance, soit en utilisant son gardien pour épauler les centraux (certainement Patrick Pentz, Alexander Schlager étant, lui aussi, forfait), soit en faisant décrocher un milieu pour faire sortir un joueur du bloc adverse et ainsi ouvrir des lignes de passes pénétrantes.

Exemple ici face à la Turquie, où Schlager décroche, Mwene fixe Kahveci côté droit, laissant ainsi Wöber progresser et pouvoir toucher potentiellement l’un des meneurs intérieurs (ici Schmid).

Une bonne dizaine de minutes plus tard, même approche, avec cette passe parfaite de Wöber vers Baumgartner.

Autre variante dans la sortie de balle : Schlager a, de nouveau, décroché, faisant sortir Kahveci sur Wöber…

… l’Autriche recule alors avec Schlager qui peut chercher Mwene, libre…

… lequel va, en première intention, jouer avec Schmid…

… dont la première touche va faire la différence, et deux secondes plus tard…

… l’Autriche est dans la surface adverse.

Le match face à l’Allemagne (2-0), en novembre dernier, celui face à la Turquie (6-1), en mars, ou encore les derniers matchs de préparation ont été des démonstrations de l’arsenal géant que détient cette Autriche, qui tourne à plus de deux buts par match depuis l’automne 2022 et compte dans sa poche des jeunes têtes à suivre de près (Prass, Wimmer).

Le 4-2-2-2 bien visible face à la Serbie, en préparation.

Tout sera-t-il suffisant pour embrouiller l’équipe de France ? Bonne question, tant les Bleus, supérieurs individuellement, ont parfois peiné à répondre physiquement lors de certaines batailles récentes et tant on est en droit de s’interroger sur leur capacité à tenir le rythme. Cet Autriche-France pourrait, dans tous les cas, mettre en lumière une partie des limites de la troupe de Deschamps, mais aussi la hauteur de sa marge. Certitude : aucun retard ne sera toléré, les Autrichiens démarrant très souvent leurs rencontres à 200 à l’heure. Aux armes.

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Par Maxime Brigand, à Düsseldorf

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