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On a vécu le sacre du Racing à Avellaneda

Par Markus Kaufmann, au Cilindro à Avellaneda (Buenos Aires)
7 minutes
On a vécu le sacre du Racing à Avellaneda

Dimanche soir, avant la dernière journée du championnat d'Argentine, le Racing comptait 2 points d'avance sur River Plate, champion de la Sudamericana ce mercredi. L'Académie de Diego Milito devait donc battre Godoy Cruz à la maison pour mettre fin à une attente de 13 ans. L'histoire d'une soirée qui pourrait bien durer une nouvelle dizaine d'années…

Entre le triplé de 1966-1967 et le dernier titre de champion en 2001, le Racing de Avellaneda avait dû attendre un titre national durant 35 longues années. Une période de souffrance qui aura forgé l’identité d’une hinchada « qui ne changera jamais, peu importe si tu perds ou si tu gagnes » , comme dit la chanson. En 2001, le Racing compte déjà Diego Milito dans ses rangs, et remporte enfin le Tournoi de fermeture. Des années en dents de scie, de la seconde à la dix-huitième place, de Diego Simeone à Roberto Ayala, sans jamais réussir à finir premier malgré les vingt-six championnats écoulés. Une attente qui n’aura pas empêché le monde du Racing de s’impatienter ces dernières semaines : River ayant repoussé d’une semaine la dernière journée des deux équipes à la suite de sa qualification en finale de Sudamericana, l’Académie a donc eu le temps de faire, défaire et refaire son monde, tout seul en tête du classement.

Ce dimanche, le Racing est donc venu tôt au stade, pour chasser le vertige et tuer l’attente. Dans les petites rues tranquilles d’Avellaneda, les hinchas dévorent leur choris, dégustent un bout de viande, enfilent les Quilmes et Isenbeck et discutent. Un père tient sa fille de 7 ans par la main : « ÉEcoute mon amour, je veux que tu te rendes compte de l’importance du match d’aujourd’hui. Tu sais, nous, on est catholiques. Mais dis-toi que pour que les choses aillent bien pour nous, on est prêts à se mettre à genou devant n’importe quel Dieu aujourd’hui. Vraiment n’importe lequel, ok ? » Entre football et religion, la gamine sourit timidement et se dirige vers le stade. À plus de deux heures du coup d’envoi, toutes les tribunes sont déjà pleines à craquer. En attendant le match et la nuit, les chants montent et descendent passionnément.

Le but concret de Ricky Centurión le fantaisiste

Très attendu, le traditionnel recibimiento donne son lot de frissons, entre fumée bleu et blanc, papiers volants comme des âmes ivres et jeux de lumières. Mais après quelques secondes de jeu, lorsque l’arrière droit Ivan Pillud remet mollement une tête en retrait vers son gardien El Chino Saja, le Cilindro d’Avallenada réalise la portée de l’événement. Les chants et le soutien sont vite remplacés par les bruits et l’angoisse. Et quand le gardien adverse prend son temps dès le premier dégagement, c’est de la colère qui tombe des gradins. Si tout le stade est debout, l’enjeu rend le jeu sourd, et le Racing semble attaquer avec des œillères. Si le Cilindro est venu pour une célébration, il ne semble pas préparé à la guerre : il faut quelques minutes avant de voir la magnifique arène porter les siens. Malgré trois énormes occasions, dont une sorte d’aile de pigeon de Milito, les acteurs rentrent aux vestiaires à 0-0. La bonne nouvelle, c’est que River n’a pas marqué contre Quilmes.

La seconde période démarre sur le rythme des dribbles de Ricardo Centurión. Joueur fantaisiste ayant raté son passage en Europe au Genoa, Ricky réunit tous les traits du football argentin de notre époque. Défiant la terre entière sur chacune de ses prises de balle, l’ailier portant le numéro 10 est aussi infatigable qu’irritant. Après un contrôle acrobatique d’une esthétique indéniable, Centurión s’emmêle les pinceaux et perd un nouveau ballon. Il agace le public, mais se bat, récupère, fait une touche de trop, enrage, perd à nouveau la balle et parvient finalement à la tacler in extremis vers Milito. Décalage vers Gastón Diaz, qui centre au second poteau. Là, bien au-dessus de ses pieds capricieux, Centurión catapulte le ballon de la tête. Le Racing mène donc 1-0, porté par la pureté d’un coup de tête qui fait grossièrement contraste avec les paillettes des numéros du cascadeur. Le Racing recule, et à dix minutes de la fin, Milito offre un but injustement refusé au Demonio Hauche, autre figure de la saison. Au coup de sifflet final, la joie explose des gradins et les larmes coulent dans toutes les tribunes, autour d’une pelouse envahie de joie.

Diego Milito : passé, présent et futur

Le Cilindro rugit jusqu’à minuit passé : Milito est porté, les joueurs grimpent sur la transversale du but sous leur virage, et le titre est célébré sous les notes de Gustavo Cerati, célèbre chanteur hincha du Racing décédé pendant la saison. Diego Milito a finalement le mot de la fin : « J’étais revenu avec un rêve. Et voilà que sans avoir eu le temps de m’en rendre compte, Racing est de nouveau champion. » Feux d’artifice et chaleur sincère pour un règne qui est celui d’un groupe construit en moins de quatre mois. Quatorze nouveaux joueurs, dont neuf titulaires, et un nouveau coach, tous arrivés entre juillet et août. C’est aussi la victoire de l’éphémère : dans ce championnat argentin hystérique, le club qui a tout changé a trouvé le temps de progresser plus vite que les autres. Mais ce règne, c’est surtout celui d’un Prince. En 2001, Diego Milito était un futur. Un attaquant intelligent qui préférait lancer les attaques plutôt que les finir. Après une carrière de buteur de surface en Italie et en Espagne, il était revenu avec l’ambition de devenir une idole du club de sa vie. « Le Racing, c’est ma vie » , répétait-il. En 2014, Milito devait donc démontrer qu’il était encore un présent, en plus de son immense passé. « Un nom ne fait pas un joueur » , disait-il en arrivant. À en croire le nombre de numéros 22 volant dans Avellaneda dimanche soir, et les ovations suivant chaque prise de balle du buteur réinventé en meneur de jeu, la principauté de Diego semble même avoir un futur, à 35 ans : la Libertadores.

Si l’intérieur du stade était préparé, le reste du quartier ne l’était pas du tout. Alors que les joueurs avaient donné rendez-vous à l’Obélisque, au milieu de l’avenida 9 de Julio, dans le centre de la capitale, les hinchas se rendent vite compte qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour s’y rendre. Il est plus de minuit, les rues sont bloquées, les taxis ont disparu, les bus sont trop petits. Alors, des milliers de supporters de l’Académie perdent leur bon sens et partent à pied. « Un cortège de champions » , disent certains. « Une bande de fous » , pour le propriétaire d’un kiosque, qui poursuit : « On est dimanche soir, personne ne bosse demain ou quoi ? » Car entre le stade et le monument, iln’ y a pas moins de 7,8 kilomètres de marche sur le bord d’une autoroute… Les images font penser à un exode heureux : les femmes portent les bébés, les hommes ont les enfants sur les épaules, et tout le monde avance joyeusement, guidé par les chants, pétards et klaxons des voitures, scooters et camions qui s’engagent également vers le Nord, embarquant avec eux un maximum d’hinchas. Alors que le reste de Buenos Aires dort déjà, le convoi rêve éveillé. Et fatigue.

L’histoire du périple de Santiago

Au bout d’une heure et demie de marche, entre la sortie vers Constitución et celle de l’avenida de mayo, aux alentours de deux heures du matin, un vieil homme boîte et ralentit le peloton. Tout en survêtement et baskets compensées, Santiago a 70 ans et sort de sa poche son bien le plus précieux : la carte de socio « Noces d’or » , que seuls les socios ayant été fidèles plus de cinquante ans détiennent. Mais pourquoi marche-t-il seul ? « Je devais retrouver ma femme après le match. Mais quand j’ai vu le bordel qu’il y avait, j’ai vite compris et je me suis mis à marcher. Et me voilà encore là. Il est quelle heure, au fait ? » Boitant, mais « pas fatigué » , l’homme aux cheveux blancs profite du périple pour raconter ses cinquante et une années de « mariage officiel » avec son Racing : « Lorsque j’avais 5 ans, en 1950, mon père m’a emmené au Cylindre pour l’inauguration du stade. Pour le titre de 1951, j’étais là. En 58, aussi. En 66, pareil. En 67, pour la Libertadores contre Nacional, j’étais là. Pour la Coupe du monde la même année, contre le Celtic, j’étais à Montevideo pour voir le but d’El Chango. Pour la Sudamericana en 88, j’étais là. Et en 2001, j’étais encore là. J’ai tout vu depuis le début de l’ère professionnelle. Et me voilà ici, en plein milieu de cette route, en 2014. Cela fait beaucoup de titres, mais malheureusement, je pense que c’est mon dernier. » Noces de champions.

Un derby, deux grands corps malades

Par Markus Kaufmann, au Cilindro à Avellaneda (Buenos Aires)

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