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Mélodie en TNT mineur

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Mélodie en TNT mineur

Y a pas qu'a la télé qu'on rêve. Vive le Carlier libre.

Dans la vie tout a une fin et un vendredi de juin dernier, Guy Carlier a annoncé sur les ondes de France Inter, après dix ans de bons et loyaux services, qu’il raccrochait ses crampons de la férocité et remisait ses protège-tibias cathodiques. Les fidèles de ses chroniques télé portent depuis le deuil de son humour. Ce coup d’arrêt marque l’heure des bilans pour cet homme déjà objet d’un avant match (So Foot, rubrique Rapido, n°22, mai 2005, page 10). L’occasion de revenir sur ces dix années de chroniques télé[1] rédigées par cet amateur de football, et l’invitation solennelle à remettre ça dans le monde du foot.

Qui êtes-vous réellement Guy CARLIER ? Un expert financier ? Un parolier célèbre ? Un esthète de la chanson ? Un chroniqueur de l’émission Le fou du Roi de Stéphane Bern ? Un trublion de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde (PSG de la télé du dimanche soir) ? Un ancien chroniqueur de France Inter qui opérait sous le pseudonyme de Monsieur Le Tallec, gaulliste de droite ? Un animateur de radio charmeur et roublard jouant avec notre goût pour la nostalgie des vacances de notre enfance ? Un joueur de football qui le 10 mai 1981 jouait sur une plage de Santa-Barbara en compagnie de Ryan O’Neal ? L’homme qui a osé un jour se repentir d’avoir écrit une chanson pour une enfant déguisée en femme par son producteur, le célèbre Orlando ?

Une chose est sûre : à lire ses commentaires sur la télé on comprend que Guy Carlier est tout cela à la fois et plus encore.

Guy Carlier a posé pendant dix ans une seule et unique question : Peut-on rire de la télé du matin, du midi et du soir ? En procédant à une compilation régulière de ses chroniques radiophoniques, Guy Carlier ne doit pas laisser croire qu’il ne satisfaisait qu’un public de fans. A l’heure des loft story, survivor, c’est mon choix, tous égaux, 1ère compagnie, nouvelle star, Oui Chef, Bachelor, et autres sucreries de la télé réalité, Guy Carlier nous racontait sa vision de la télé. Il n’hésitait pas, pour nous faire rire, à créer le néologisme de leperserie ni à nous offrir la cause des dérapages de l’animateur de questions pour un champion : le neurone défectueux à cause d‘une mauvaise descente consécutive à l’absorption d‘un acide. Usant de drôlerie, de férocité, de style, de décalages, de poésie, d’un grand talent de conteur, Guy Carlier donnait envie de découvrir ces moments de télévision composés parfois par le tourment pour les automobilistes parisiens d’avoir appris l’arrêt de 7 sur 7 et par voie de conséquence la fin du point sur l’état de la circulation sur le périphérique qui figurait en fond de décor ; la pratique excessive du régé-color par l’inspecteur Derrick; la torture gériatrique infligée aux spectateurs des chiffres et des lettres ; le côté rebelle, et pour tout dire rock’n roll, de Laurent Romesko ; l’impossibilité de sauver le soldat Sevran ; les rinçages mamie va à la messe d’un ancien premier Ministre ; la confirmation qu’être animatrice d’émissions matinales et épouse d’un journaliste sportif ne sert pas le développement de l’intelligence ; La terrible élocution de Cyril Lignac, cuisinier officiel du self de M6, ayant proscrit toute utilisation des voyelles.

Mais c’est sans bleus dans les yeux ni sans méchanceté gratuite qu’étaient écrits ces courts moments sur l’écume de la télévision. On riait beaucoup, on guettait les petites vacheries, on adorait les références hors télévision. Finalement, Julien Lepers, dont le cerveau possède des neurones qui n’en font qu’a leur tête, n’était que le mannequin des vestes et cravates de century 21. L’animatrice de c’est mon choix était assurément une artiste surréaliste.

Alors si Guy Carlier a un jour commis cette mémorable chanson « Y a pas que les grands qui rêvent » , lire ses florilèges passés et à venir permet de dire qu’il n’y a pas qu’à la télé qu’on rêve.

Guy Carlier nous donnait envie de regarder d’un oeil différent bon nombre d’émissions. Alors, aujourd’hui, lorsque la Ligue 1 offre les adrets de son football pour 600 millions d’euros par saison, l’ubac, le versant sombre du commentaire doit s’en montrer digne.

Puisqu’il n’y a pas qu’à la télé qu’on rêve, c’est à notre tour de demander à Guy Carlier de saisir sa plume pour appliquer la recette de son talent au monde du football.

N’en déplaise à certains mais le ronronnement télévisuel, s’il a de quoi faire pâlir de jalousie la télévision albanaise, n’en demeure pas moins marqué par le médiocre (qui est entre le grand et le petit, entre le bon et le mauvais).

Sans faire de mauvais esprit, l’analyse des matches s’apparente dans le meilleur des cas à du low cost, dans le pire des cas à du charter. Avant que le foot ne bascule dans les pages centrales de la Tribune ou des Echos, que les clubs ne soient analysés sur BFM, il serait temps d’entendre une autre chanson. Il ne s’agit pas de s’en prendre aux éternels clichés, formules à l’emporte pièce : les entames de match, physionomie de la rencontre, match sympa, dernière expression aussi pertinente que « j’ai un vêtement sympa » , pourquoi pas un « copain taille basse » !

Non, ce dont il s’agit, c’est la résistance contre la langue de bois, le sérieux de pacotille, le robinet d’eau tiède à tous les étages, l’absence quasi unanime de dénonciation du turbo capitalisme dont le foot est la plus belle illustration, l’impeccable bal des casse-pieds des bouffons du foot. Dans ce perpétuel renouvellement du libre-échangisme (économique, cela va sans dire), notre championnat est aussi un théâtre avec son cortège d’artistes : Thierry Gilardi qui fait croire aux distraits n’ayant pas suivi son départ sur Tf1 que Canal + n’est plus une chaîne cryptée ; Guy Roux qui commente désormais sur Canal + prouve que les costumes qualité française offerts par Tf1 ne durent qu’un temps et qu’il faut aller ailleurs pour obtenir une nouvelle garde-robe ; L’émission On refait le match rappelle que l’alcool est dangereux pour la santé ; Frédéric Thiriez qui tente de convaincre par son look des producteurs de faire l’adaptation ciné d’une obscure série les brigades du tigre ; Jean-Pierre Escalettes témoin vivant que la F.F.F offre de meilleures garanties que la Norwich Union ; Bernard Tapie qui chante le drame de réinsertion sur LCI ; Robert-Louis Dreyfus qui se demande si le budget de l’OM n’a pas été adossé aux comptes de la sécurité sociale ; les supporters du P.S.G qui se croient dans l’obligation de crier au Parc des Princes qu’ ici c’est Paris en guise de pénitence pour leurs excès ; Joël Müller, entraîneur du FC Metz, dont l’entrain et la joie de vivre ne sont pas sans évoquer Roger Gicquel, feu présentateur télé des années soixante dix ; Christophe Landrin qui pousse très loin les prouesses capillaires en mêlant la coupe Beckham et celle du footballeur allemand des vingt dernières années ; José Anigo, acteur protéiforme qui, non content de jouer un rôle à l’O.M, endosse les habits de l’inspecteur Vic McKay dans la série The Shield, et a cartonné cet été en interprétant le personnage de John Locke dans la série Lost – les disparus ; Ahn ma sœur Ahn, la nouvelle recrue du FC Metz…

Ces quelques exemples devraient convaincre Guy Carlier de revenir aux affaires, se pencher sur le foot français, abandonner Marc-Olivier Fogiel, le Jacques Fouroux de l’interview, nous régaler de son talent, et ne plus supporter Monaco, même pour rire. A défaut on gardera le souvenir qu’il est des gens pour lesquels, sans les connaître, on nourrit le sentiment de vouloir partager avec eux un repas, ou simplement un verre. Guy Carlier fait partie de ceux là. Ce n’est déjà pas si mal.

Jean-François BORNE

[1] Ouvrages déjà parus : J’vous ai apporté mes radios, Nouvelles chroniques télé, Chroniques radio, ultimes chroniques télé, Splendeurs et misères du petit écran, Les nouveaux bijoux de chez Carlier. A paraître : Je ne peux pas plaire à tout le monde, Putain dix ans de télé déjà.

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