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Maxime Beux : « J’ai hâte de tourner la page »

Propos recueillis par Thomas Andrei
6 minutes
Maxime Beux : « J’ai hâte de tourner la page »

Le 14 février 2016, Maxime Beux, un supporter du Sporting Club de Bastia, se réveillait à l’hôpital de Reims avec la moitié de l’œil gauche arrachée. Selon la police, il se serait blessé seul, en tombant sur un poteau. Lui assurait avoir été victime d’un tir de flash-ball. Après cinq ans d’une procédure pénible, il commence à entrevoir une lumière au bout du tunnel.

Retrouvez notre entretien réalisé avec Maxime Beux le 23 mars 2017

Le 25 janvier 2021, le tribunal administratif de Reims ordonnait la mise en accusation de Christophe Mercier, gardien de la paix, pour « violences volontaires avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné une mutilation permanente ». Comment as-tu réagi à cette nouvelle ? Plutôt bien. Mais sans crier victoire. Pour moi, c’est juste normal. On est dans la suite logique de la procédure. C’est très long. Je n’étais pas forcément de nature patiente à la base, j’ai appris à le devenir. L’instruction vient d’être bouclée. Le policier a fait appel, et on devrait avoir une réponse par rapport à son appel rapidement. Soit on donne raison au parquet et on va aux assises, soit il n’y a pas de procès. Voilà l’enjeu. Il ne devrait pas y avoir de mauvaise surprise. Mais on n’en serait pas à une mauvaise surprise près…

J’étais face à quelqu’un qui a dit que s’il avait à le refaire, il referait la même chose.

Tu as été amené à croiser ce policier lors d’une confrontation judiciaire. Ça s’est passé comment ?J’appréhendais beaucoup qu’il joue un jeu provocateur. J’avais peur de ma réaction. Psychologiquement, c’était toujours un enfer de retourner à Reims. Devoir être confronté à la personne suspectée d’avoir fait ça, c’est compliqué. Tu n’as pas à parler à la personne mise en examen, la juge d’instruction pose les questions. Mais c’est une ambiance très pesante. J’ai dit ce que j’avais à dire. J’étais en face de quelqu’un qui dit qu’il n’a rien à se reprocher et que s’il avait à le refaire, il referait la même chose. Je ne m’attendais pas à mieux.

Quelle place cette nuit rémoise occupe-t-elle encore dans ta vie ?Ce n’est pas pour faire de la victimisation mal placée, mais c’est quotidien. J’ai une prothèse oculaire que je dois enlever et remettre tous les jours. C’est contraignant. Après, ça m’emmerde de l’avouer, mais il y a des séquelles psychologiques. Devoir se battre pour dire qu’on a raison, c’est l’enfer. À 22 ans, je ne voyais pas mes cinq prochaines années comme ça. Il y a les faits de ce soir-là, mais aussi les conséquences, la médiatisation, le fait d’être reconnu partout à Bastia, juste pour ça, d’être la personne « qui a eu le truc à Reims ». Je ne suis pas que ça et je travaille à ne pas être réduit qu’à ça.

Le cerveau ne peut pas compenser totalement la perte de l’œil. Il s’adapte, mais tu ne recouvres pas non plus l’intégralité de tes capacités.

En 2017, tu expliquais qu’avec un œil en moins, tu avais l’impression de verser le contenu d’une bouteille dans un verre, mais qu’en fait tu versais à côté. Tu arrives à te servir un verre, maintenant ?Je dois toujours faire attention. Les notions de distance et de dimension sont toujours perturbées. Si je suis à table, je dois me mettre dans une position qui fait que je suis sûr d’être au-dessus du verre. Le cerveau ne peut pas compenser totalement la perte de l’œil, la perte de relief. Il s’adapte, mais tu ne recouvres pas non plus l’intégralité de tes capacités. Même dans dix ans, je ne serai pas encore totalement à l’aise avec le fait de n’avoir qu’un œil.

En 2016, les violences policières étaient moins communes. Les gens ont plus tendance à te croire maintenant que c’est banalisé ? Je pense. En Corse, on connaissait déjà. Dans les banlieues, c’était presque quotidien. Mais ailleurs, le contexte n’était pas favorable à la personne qui se plaignait de violences policières. On avait tendance à te répondre : « Si tu as un problème avec la police, c’est forcément de ta faute. » Maintenant, dans une ère où tout se filme, les gens ont plus de preuves. On a vu les manifs des gilets jaunes, celles de la Loi travail. Avec toutes les saloperies qu’on peut voir, les gens se rendent compte d’une réalité qu’ils ne soupçonnaient peut-être pas en 2016. J’ai eu une période où je m’y intéressais beaucoup. Je voulais comprendre. Puis j’ai eu une période de rejet total. Il y en avait trop, partout, tout le temps. Ça m’énerve, ça me fatigue et ça amène toujours le même débat, qui est très pénible. Je change encore de chaîne quand j’en vois.

La saison après la perte de ton œil, le Sporting était rétrogradé en cinquième division. Ça a rendu les choses encore plus difficiles ?En tant que supporter, j’étais dégoûté. En tant que membre de Bastia 1905, il y a eu cette ambiguïté : des gens pensaient que la descente était en partie de notre faute. C’est encore un peu le cas. Alors qu’il y avait 40 millions de dettes, on ne peut pas nous accuser de ça. Le fait que le Sporting disparaisse a changé quelque chose. Les gens avaient envie de se laver les mains du Sporting de cette époque là, qui englobait un certain nombre de choses dont mon affaire faisait partie. Le soutien populaire, le fait que les gens s’étaient sentis concernés par mon affaire, ça m’avait aidé. Et j’ai eu l’impression que ça s’est coupé net avec la descente du Sporting. Après, c’était aussi une période creuse de l’instruction. Quand il y a eu des avancées en 2019, ça m’a fait plaisir de voir que les gens suivaient encore.

Après ça, Bastia 1905 n’était plus un club de supporters. Tout devenait judiciaire. On était sur écoute, on nous suivait partout.

Ton affaire a-t-elle eu un impact sur Bastia 1905 ?C’était le début de la descente aux enfers du groupe. Quelques mois avant, on est à l’apogée de tout ce qu’il y a autour du Sporting. Fin avril, on était 40 000 à s’aimer les uns les autres au Stade de France. Même si on avait pris 4-0. Plus tôt, le groupe avait fait partir 3000 personnes en pleine semaine pour la demi-finale à Monaco. Dans 50 ans, ceux qui y étaient s’en rappelleront encore. Ils sont marqués au fer rouge. Il y a eu une énorme cassure à Reims. On a été touché dans nos chairs. Après ça, on n’était plus un club de supporters. Tout devenait judiciaire. On était sur écoute, on nous suivait partout. Au moindre dérapage, c’était dix personnes en garde à vue. C’était très pesant.

Que veux-tu, maintenant ? Qu’on aille aux assises. Que la personne mise en examen paie. J’aimerais que le commandant soit condamné aussi. C’est toute une équipe de BAC qui est responsable et c’est lui qui a ordonné l’interpellation. Mais il a trop de réseaux pour être condamné dans une affaire comme ça. Je n’ai pas envie de dire une phrase bateau comme « que justice soit faite », mais c’est ça. Ce n’est même pas de la rancœur et de la vengeance. Depuis cinq ans, je suis dans une espèce de schizophrénie ou de bipolarité : je suis obligé d’espérer des avancées et en même temps je dois essayer de ne plus penser à tout ça, parce que ça me ronge complètement. J’ai hâte de tourner la page définitivement. On n’y est pas encore. Après, est-ce qu’on pourra appeler ça une victoire ? C’est un autre débat. Je ne sortirai pas du tribunal les bras levés. Quand tu m’avais interviewé en 2017, je crois que je t’avais dit que de toute façon, j’avais déjà perdu. Je maintiens ça. C’est la vérité.

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Propos recueillis par Thomas Andrei

Crédit photos : Lionel Dumas-Perini

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