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Marc Sauvourel : « Sentir la ville de Liverpool était quelque chose de primordial »

Propos recueillis par Félix Barbé
Marc Sauvourel : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Sentir la ville de Liverpool était quelque chose de primordial<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Dimanche soir, Canal+ diffusera Out of the rain, un documentaire retraçant à la fois la belle épopée 2019-2020 de Liverpool, mais également la quête de trente ans des Reds pour retrouver les sommets. Au cours d'une saison mise en suspens par la crise du coronavirus, six supporters historiques du club racontent au réalisateur Marc Sauvourel leur passion, la culture ouvrière de la ville, mais aussi leurs souvenirs du drame d'Hillsborough.

Le documentaire s’appelle Out of the rain, comme le nom d’une chanson reprise dès le début du reportage par l’un des supporters. Pourquoi ce titre ? Dès le départ, je souhaitais faire une référence au You’ll never walk alone. Dans cette chanson, il y a une idée de pluie et de sortie de tempête. Comme tu le rappelles, l’un des personnages que j’ai rencontrés est le chanteur et le guitariste d’un groupe qui s’appelle les Hummingbirds. On a pu enregistrer une session acoustique avec eux, pendant laquelle ils ont chanté l’un de leurs titres, appelé Out of the rain. Dès qu’ils l’ont joué, je me suis dit que ma référence était là. Ce choix m’apparaissait évident.

D’où est partie l’idée de suivre toute cette saison de Liverpool ?On a laissé la saison démarrer tranquillement, et on a commencé à s’y intéresser pleinement fin novembre, lorsque Liverpool était bien lancé. Il fallait absolument suivre l’histoire de ce club qui essaie d’être champion et qui n’y arrive pas. On s’est dit que, même s’ils avaient déjà été plusieurs fois bien lancés et qu’ils s’étaient finalement effondrés, cette année était peut-être la bonne. Tout a commencé à ce moment-là.

L’important était de donner la parole à des gens qui attendaient réellement un titre depuis trente ans, et uniquement à ces gens-là. Les joueurs et les entraîneurs passent, les supporters restent.

Six fans interviennent tout au long du documentaire. Comment toi et tes équipes les avez dénichés ?J’ai contacté la BBC Radio Merseyside, qui diffuse chaque vendredi une émission avec des supporters. Un journaliste de la radio m’a envoyé une quinzaine de noms avec une petite présentation de chacun. J’ai fait une sélection dans cette liste, puis j’ai pu en rencontrer certains, qui étaient d’accord pour participer. Le casting s’est fait comme ça. Il y a juste Amanda, une supportrice qui apparaît dans le documentaire, que j’ai rencontrée à Anfield. L’important était de donner la parole à des gens qui attendaient réellement un titre depuis trente ans, et uniquement à ces gens-là. C’est pour ça que nous n’avons pas interrogé de joueurs ou de coachs. Les joueurs et les entraîneurs passent, les supporters restent.

As-tu connu des difficultés particulières dans la construction de ce doc ?Le souci majeur est arrivé au moment du Covid-19. On tournait depuis seulement trois ou quatre mois. On ne pouvait plus rien filmer, mais il fallait tout de même faire sentir qu’il y avait une attente de la part de la ville et des fans. J’ai enregistré beaucoup de Skype, et j’ai dû m’appuyer sur une équipe de journalistes et cameramans anglais que je pilotais à distance… C’était compliqué.

Dès les premières scènes, l’un des fans liste les titres accumulés par Liverpool dans les années 1970 et 1980. D’entrée de jeu, tu appuies ainsi sur le différentiel assez fou entre les années dorées des Reds et l’énorme trou qu’ils ont connu par la suite. Pour les gens qui ne connaissent pas tellement le football, il fallait tout de suite insister sur le fait que Liverpool est un club qui gagnait tout avant, qui marchait sur l’eau. C’était une vraie habitude. Cette scène permet de se demander ce qui a pu se passer pendant trente ans pour qu’il y ait un tel trou dans le palmarès. C’est une interrogation posée dès le début, à laquelle on répond à travers l’ensemble du documentaire.

Tout est vraiment très lié entre la politique, la vie de la ville, le côté social de la classe ouvrière et le club.

En dehors du football, tu insistes aussi sur la culture ouvrière ancrée dans la ville, notamment avec les dockers. Une culture qui permet encore mieux de comprendre la sensibilité particulière que porte la population pour le Liverpool FC.Sentir la ville était quelque chose de primordial. Pour sentir la ville, il fallait prendre conscience de son bord politique. La chronologie de notre documentaire démarre en 1990, en pleine période Margaret Thatcher. C’est une femme détestée à Liverpool à la suite de la tragédie d’Hillsborough, où elle avait accusé les supporters d’être quasiment responsables de leur propre mort. En développant les années Thatcher, on a pu basculer tout de suite dans l’identité politique des fans. Ils ne se sentent pas du tout affiliés au conservatisme lié à Thatcher, et c’est quelque chose de très important. Comme on le voit dans le documentaire, Robbie Fowler avait notamment enfilé un tee-shirt en soutien aux dockers au milieu des années 1990, lorsque des réformes allant à l’encontre de la classe ouvrière se mettaient en place… Tout est vraiment très lié entre la politique, la vie de la ville, le côté social de la classe ouvrière et le club…

L’un des moments forts du doc concerne le titre perdu par les Reds en 2014 sur la célèbre glissade de Steven Gerrard. À ce moment-là, on sent des supporters marqués par cette contre-performance, mais quasiment plus attristés pour Gerrard lui-même que pour le club… C’est tout à fait ça ! Pour beaucoup d’entre eux, notamment les plus jeunes, Gerrard a remplacé Kenny Dalglish comme meilleur joueur de l’histoire du club. Il a tellement apporté à Liverpool qu’ils ne lui en ont pas du tout voulu. En prenant du recul, ils ont d’ailleurs raison de ne pas lui en vouloir, car Liverpool perd réellement le titre la journée suivante, à Crystal Palace (3-3, après avoir mené 3-0 jusqu’à la 79e minute, N.D.L.R.). Ils ont simplement compris que leur chance était passée, et ont été abattus autant pour eux que pour lui. Leur discours aujourd’hui, c’est de dire : « S’il y en a un qui méritait plus que les autres d’être champion, c’était Steven Gerrard. » Si on leur demandait d’échanger le titre de cette saison avec un titre en 2014 avec Gerrard, peut-être qu’ils le feraient.

Si on demandait aux fans d’échanger le titre de cette saison avec un titre en 2014 avec Gerrard, peut-être qu’ils le feraient.

Après l’échec de 2014, puis la 2e place de la saison passée malgré 97 points, Liverpool a cette fois failli être piégé par le Covid-19. Tu as vraiment dû avoir l’impression de voir des supporters maudits lorsque la crise s’est déclarée ? Clairement. En France, nous avions quasiment deux semaines d’avance sur l’Angleterre par rapport à l’avancée du virus. À la mi-mars, quand les autorités ont commencé à reporter les matchs de Premier League, je me suis vraiment dit que le championnat allait être annulé et que ce club était maudit. Certains jeunes supporters avaient la même impression que moi, mais les générations plus anciennes étaient à 300 kilomètres de penser cela. Ils ne se rendaient pas compte de l’épidémie. Pour eux, c’était juste un petit virus qui ne durerait que quelques jours. Quand tout le pays a été confiné, c’est là qu’ils se sont tous rendu compte qu’il y avait bien plus grave que le foot. Roy, le supporter le plus âgé interrogé, a même reconnu que Bill Shankly, énorme légende du club qui a sa statue devant Anfield, avait eu tort en disant que le football était « bien plus important » qu’une question de vie ou de mort. J’ai trouvé ça très fort.

Le club s’est à la fois battu pendant trente ans pour un titre de champion, mais aussi pour obtenir vérité et justice à la suite de la tragédie d’Hillsborough.

Un fil rouge semble rythmer les 90 minutes : le drame d’Hillsborough. Pourquoi avoir choisi de faire revenir cette catastrophe à différents moments du documentaire ?Pour une raison toute simple : cette catastrophe a lieu en 1989, mais elle s’étale sur cette même période de trente ans. Le club s’est à la fois battu pendant trente ans pour un titre de champion, mais aussi pour obtenir vérité et justice à la suite de la tragédie d’Hillsborough. La première question que j’ai posée à tous les supporters rencontrés était : « Que faisiez-vous le 28 avril 1990, lorsque Liverpool a été sacré champion pour la dernière fois ? » L’un d’entre eux, Damian, m’a avoué qu’il n’était pas au stade, car il vivait un choc post-traumatique depuis Hillsborough, où il a fait partie des rescapés. Il m’a raconté toute son histoire et m’a ainsi fait comprendre qu’il s’était battu pendant des années pour obtenir justice. Cette histoire était tellement importante qu’il fallait la raconter en parallèle.

Les supporters avaient d’abord été accusés d’être responsables de la catastrophe, avant d’être réhabilités à partir de 2012. On a l’impression que cette disculpation est presque plus forte et importante pour eux qu’un titre de champion…Absolument. Pour beaucoup, Hillsborough a été le drame d’une vie. Damian me l’explique d’ailleurs très bien : il a tellement vécu de titres de Liverpool dans les années 1970 et 1980, que ce nouveau sacre, même trente ans après, reste anecdotique. Il avait déjà connu cette sensation. En revanche, le fait que la vérité sur Hillsborough éclate enfin en 2012 a été une grande première pour lui. C’était clairement le combat de sa vie. Il avait vécu toutes ces années à être traîné dans la boue comme un second traumatisme, après celui subi au stade ce jour-là. Pour des personnes comme lui, cette réhabilitation est évidemment plus forte qu’un titre.

Out of the rain est diffusé dimanche 19 juillet, à 20h45, sur Canal+.

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