Malouda–Domenech : Je t’aime, moi non plus
Raymond Domenech est parfois drôle, toujours perfide. Un an après le fiasco de l'Euro, à l'occasion du match France-Turquie, il relance la tête de... turc favorite des Français. Florent Malouda. Un joueur qui lui ressemble assurément.
Ces deux-là étaient faits pour s’apprécier. Mal-aimés, bouc-émissaires tout trouvés, symboles d’un foot à angles droits, sans courbes, sans grâce, mécanique, froid … En un mot, hermétique. Mais depuis le 17 juin 2008, plus rien ne sera comme avant. Dans un troisième et dernier match de l’Euro que la France entame avec la lame de la guillotine pressant sur la jugulaire, Flo, titulaire très discuté par l’opinion mais indiscutable pour le Ray, est soudainement rayé du onze bleu.
Cassure puis divorce au mois d’octobre. Avenir international compromis. D’autant plus que le Blue envoya la sauce dans la presse, en accusant Domenech d’avoir suivi « l’opinion publique » (le 2e nom de Pierre Ménès ?), et d’avoir dissimulé à la France les consignes défensives qui corsetaient ses élans d’attaquant. Nostalgique, le mari d’Estelle s’est néanmoins laissé aller à regarder une vidéo des Blues et s’est rendu à l’évidence : avoir fauté avec Hiddink a rendu encore plus beau son Florent. Et ce petit chignon. Plus belle la vie.
Si Domenech avait voulu créer un joueur à son image, il s’appellerait sans doute Malouda. Le sélectionneur a avoué n’avoir pas de système de jeu, mais il a toutefois quelques principes siglés DTN. Surtout ne jamais se découvrir, bloquer les couloirs, blinder le milieu, et attendre la faute de l’adversaire. Malouda fait partie de ces attaquants appréciés des entraîneurs pour son volume de jeu et les gages défensifs qu’il donne à l’équipe. A Lyon, Paul le Guen en avait fait un arrière latéral de fortune, et ça lui allait plutôt bien.
Malouda en nul, ça donne Fabrice Pancrate. Mêmes déficiences dans le jeu long, la qualité de centre, la vision du jeu, mais en mieux. Malouda n’esquive pas ses adversaires, comme tout ailier de bon goût, il leur saute par-dessus, les pousse, défriche à la serpe. Un adepte du passage en force. Une esthétique de footballeur américain. Pour cela plus que pour la qualité parfois discutable de ses performances, Malouda générait alors une haine viscérale chez une bonne partie de la planète foot, d’autant plus intense que ce footballeur hurdler semblait préfigurer le joueur de demain, dans un sport où l’athlétique broierait la technique. Mais depuis, Messi, Xavi, Iniesta, Ribéry ont fait la nique au sens de l’Histoire. Et Malouda semblait avoir fait son temps.
Le Guyanais n’aurait déjà jamais dû disputer l’Euro. Il venait de boucler une saison piteuse avec Chelsea, où son manque de carburant avait alors cruellement mis en exergue ses déficiences techniques. Mourinho puis Avraham Grant n’hésitèrent pas d’ailleurs, à l’inverse de Domenech, à faire asseoir sur le banc des remplaçants, ou dans les tribunes, la fraîche recrue des Blues. Pas plus convaincu, Scolari préféra relancer Anelka, plutôt que son voisin des DOM-TOM.
Face à ces vents contraires, Malouda, c’est son mérite, n’a pas abdiqué. Dopé par l’arrivée de Guus Hiddink à la tête des Blues, sa deuxième moitié de championnat a révélé un joueur à nouveau tranchant, au mental de vainqueur. Celui qu’il fut pendant la Coupe du Monde 2006, quoi qu’on en dise. Alors ne mégotons pas : contrairement à sa place dans les 22 en Suisse, son retour n’a rien d’un vol à l’arrachée. Son éclipse a toutefois singulièrement fragilisé sa position, car son couloir affiche désormais complet. Ribéry et Henry : une concurrence XXL. Pas de droit à l’erreur. Mais un type qui a passé quatre ans à Châteauroux puis deux à Guingamp pour finalement disputer la finale de Coupe du Monde n’a sans doute pas peur de grand-chose. Et à force de batailler seul contre tous, et de parvenir à ses fins, on n’oserait pas parier sur son échec. Va-t-on même finir par l’aimer ?
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