Liga : la prime au football ?
En Espagne, les "malettes" - primes offertes à un club pour que ce dernier batte un adversaire direct - sont actuellement au coeur du match qui oppose à distance le Barça et le Real. Et la morale, bordel ?
600 000 euros. Voilà le montant supposé des primes promises à chaque joueur de Majorque par les dirigeants barcelonais en cas de victoire contre « l’ennemi » madrilène. D’autres sources parlent de 3 millions d’euros pour l’équipe. Les maletines, comme on dit là-bas. Les joueurs de Saragosse auraient d’ores et déjà palpé 50 000 euros pour le nul contre Madrid. L’Espanyol aurait pris 250 000 euros pour le nul contre le Barça.
Officiellement, c’est interdit (art. 112 des réglements fédéraux), d’autant que le fisc est évidemment « oublié » dans cette affaire et que la somme est justifiée dans les comptes des clubs payeurs par des fausses factures mais « dans la vraie vie », tout le monde s’en branle et personne ne fait mystère de ces négociations. « Ca se fait toujours dans la discrétion, en même temps, je dis ça mais tout le monde en parle, tout le monde sait que ça existe et personne ne les a jamais vues. C’est comme Ben Laden ! », rigole Arteaga, ancien joueur de l’Espanyol Barcelone.
Suker avoue en avoir touché pour battre le Barça quand il jouait à Séville en 1995-1996, l’année où l’Atlético a été champion, tandis que l’attaquant Gil Ribero Gonçalves (Tarragone) a eu la bonne surprise de trouver « le lendemain l’argent liquide dans son casier » pour un match nul contre le Betis Séville lors de la 35e journée de Liga cette saison (L’Equipe du 16/06/2007) .
« Les primes, c’est un sujet très épineux. En tout cas, c’est une vaste hypocrisie quand on sait que les primes octroyées par un rival, que ce soit pour gagner ou perdre, sont illégales. Quand je vois qu’on parle que de ça, c’est fou !!! », s’offusque Pablo Alfaro, joueur au Racing Santander, ancien du FC Séville. « La fédération, la Ligue et les clubs laissent faire, puisqu’ici c’est presque une tradition. Moi, personnellement, je ne suis pas contre, mais il faudrait que ce soit clairement légalisé et géré », continue-t-il avant d’ajouter, avec malice : « Ceux qui n’aiment pas les primes sont ceux qui n’en reçoivent jamais ».
Ceux qui n’en reçoivent jamais, c’est-à-dire les joueurs des clubs en course pour le titre, et en particulier, ceux du Real Madrid. Vincente Del Bosque, ancien entraîneur du Real, confirme : « Ce que je peux dire c’est que le Real Madrid ne s’est jamais vu proposer de primes par des équipes rivales du fait qu’il sont toujours dans la lutte pour le titre. Ce sont les équipes fortes qui les proposent, ce sont elles qui perdent de l’argent dans ces trucs-là. Mais je n’arrive pas à concevoir qu’on puisse reléguer le football au second plan dans cette affaire. C’est indigne du football » !
Il est loin le temps où à la place d’enveloppes de billets les joueurs recevaient des jambons et autres produits régionaux. Le fait que la « récompense » se compte aujourd’hui en petites coupures n’est pas sans poser quelque question morale : corruption ? lobbying ? dérive ultra-libérale ?
Paradoxe, en Espagne, les « malettes » sont aujourd’hui un peu comme des acquis sociaux : difficiles de les supprimer. « C’est presque impossible d’éliminer le système de primes en Espagne. Pour nous les joueurs, c’est quelque chose d’acquis depuis longtemps, et qui a de surcroît toujours existé », justifie Arteaga qui ajoute : « Moi je trouve ça bien de gagner de l’argent pour gagner. C’est logique, du moment que ce ne sont pas des primes pour perdre, il n’y a pas de problèmes… J’irai même jusqu’à dire que ça permet de ne pas fausser un championnat, tout le monde joue jusqu’au bout sans calcul. Le champion en sort grandit. En France vous devriez faire la même chose, peut-être qu’il y aurait plus de buts et plus de jeu. Ca ne pourrait que vous faire du bien ».
« Les primes sont capitales en Espagne, complète Victor Munoz, ancien entraîneur espagnol de Saragosse. Elles représentent pour les joueurs un moyen d’augmenter considérablement leur salaire. Par exemple en France, j’imagine que les primes sont versées selon des objectifs à long terme, alors qu’ici c’est sur le court terme. Ca permet de maintenir le joueur sous tension. Le fait qu’une prime soit donnée par le club auquel appartient le joueur ou par un autre c’est pareil. Je compare toujours ce système de primes aux dons ou à l’héritage qu’une personne laisse à sa mort. Ca ne va pas t’aider à mieux faire le deuil, mais au moins tu auras plus d’argent. Les primes c’est pareil, elles ne vont pas t’aider à gagner, mais si tu le fais tu seras content. »
Des raisonnements bancals qui ne prennent pas en compte la dérive d’un système qui, poussé à son paroxysme, creuserait davantage encore le fossé qui sépare les clubs les plus riches des autres : en effet, qu’est-ce qui empêche le FC Barcelone ou le Real Madrid de verser des primes à chaque adversaire du concurrent direct pour le titre tout au long de l’année ? Ce que les clubs les moins puissants ne pourront évidemment pas faire – seuls ceux qui auront un « budget-malettes » suffisant pourront se le permettre, avec l’escalade inflationniste qui en découle (comme c’est d’ailleurs déjà le cas lors de cette fin de championnat). Une logique qui dénature un processus « sportif ».
Sans parler de l’image du footballeur-mercenaire ravageuse qui ne fera qu’encourager les réactions poujadistes qui écornent déjà l’image du football moderne. Le fameux « tous pourris » .
Giovanni Seri, propos recueillis par Javier Prieto Santos, sauf mention.
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